Un avion rouge près d'un cochon

Shopping en gare, graisse de cochon, téléconducteurs : 3 signaux pour redémarrer la mobilité (ou pas)

© Le père noël est une ordure

Des gares SNCF transformées en temples du shopping aux téléconducteurs virtuels de Las Vegas, en passant par l'hydrogène qui patine, la mobilité oscille entre disruption, commerce et désillusion.

Les gares SNCF, nouveaux temples de la consommation captive

Fini le temps des gares-cathédrales où les voyageurs attendaient stoïquement leur train, entre deux courants d’air. Depuis 2020, SNCF Gares & Connexions pilote la rénovation de ces lieux de transit, très orientée sur le commerce, révélant un nouveau visage de l’économie de la mobilité, à laquelle Les Echos consacre une enquête.

Les grands travaux ont commencé par Paris Saint-Lazare, inaugurée en 2012 après dix ans de chantier, avec 80 commerces et 10 restaurants. Depuis, le modèle essaime, intégrant des enseignes variées, de l’épicerie fine à la dernière brasserie à la mode, en passant par le point presse ou la supérette de gares : Carrefour prévoit d’ailleurs d’en ouvrir 150 d’ici 2030.

Le coup de jeune a rendu le « travel retail » de nouveau désirable. Les ventes au mètre carré atteignent 30 000 à 40 000 euros, dépassant largement celles du centre-ville. À Saint-Lazare, Carrefour accueille 7 500 clients par jour et dégage 10 millions d'euros de ventes annuelles. Depuis 2019, les revenus commerciaux de Gares & Connexions ont augmenté de 40 %.

Les gares deviennent des destinations urbaines, attirant riverains et flâneurs : à Lyon Part-Dieu, on compte deux tiers de voyageurs pour un tiers de non-voyageurs. « Au Monopoly, la gare a augmenté sa cote », plaisantait Marlène Dolveck, alors directrice générale de Gares & Connexions. Il s’agit aussi de mieux s’intégrer au paysage urbain : les gares se transforment en centres d’échanges intermodaux, avec parkings vélos et parvis végétalisés, renforçant le sentiment de sécurité.

Et ce n’est pas fini : Gares & Connexions investit un milliard d’euros par an dans la rénovation de 3 000 sites, qui accueillent 10 millions de visiteurs quotidiens. Paris-Austerlitz illustre l'ampleur de la transformation avec la rénovation de la grande halle et 60 espaces commerciaux d'ici 2027. Avec parfois de gros couacs : la rénovation de la gare du Nord a été stoppée en 2021 après la rupture du contrat avec Ceetrus, jugé trop coûteux – la foncière d’Auchan a dû verser plus de 47 millions d’euros à la filiale.

En juillet 2025, Marlène Dolveck a quitté son poste (très convoité selon nos confrères de L'Informé), alors que la nomination de Jean Castex à la tête de la SNCF est pressentie pour cet automne. Dolveck est, elle, attendue à la CMA CGM, autre géant des transports – maritimes, cette fois – comme Executive Vice President chargée de la transformation digitale, de l’IA et de la cybersécurité. Elle laisse derrière elle une entité qui pèse près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel.

Hydrogène : la panne sèche

Le rêve d’avions à hydrogène s’éloigne à nouveau. Malgré la présentation d’un nouveau concept en mars 2025 destiné à entretenir la flamme, Airbus a repoussé de cinq à dix ans les essais de son premier prototype, freinant les ambitions du secteur aérien. Les défis techniques restent majeurs : stocker l’hydrogène liquide à –253°C réclame des réservoirs volumineux, incompatibles avec l’aviation commerciale actuelle. À cela s’ajoutent l’absence d’infrastructures adaptées et la nécessité de repenser entièrement l’architecture des appareils, prolongeant ainsi plus d’un demi-siècle de promesses non tenues.

À défaut, l’industrie mise aujourd’hui sur les e-fuels, des carburants de synthèse produits à partir d’hydrogène vert et de CO₂ capté. Leur bilan énergétique et leur rentabilité restent problématiques : remplacer la totalité du kérosène consommé annuellement en France exigerait deux tiers de la production nucléaire nationale, selon Jean-Baptiste Fressoz, historien au CNRS, dans une tribune au Monde. Un vol Paris-New York en e-fuel consomme près de 7 300 kWh d’électricité par passager.

Reste alors l’option low-tech : les « Sustainable Aviation Fuels » (SAF). Ironiquement, cette technologie d’avenir nous ramène aux chandelles du passé, en brûlant des graisses animales et végétales. Les compagnies aériennes s’arrachent désormais les déchets d’abattoirs, au détriment des fabricants de croquettes pour animaux. Une étude de l’ONG Transport & Environnement révèle qu’il faudrait la graisse d’environ 8 800 cochons pour un seul vol Paris-New York. « Côtelette is in the air » , grince Fressoz.

Le malaise dépasse largement le secteur aérien. Dernier coup dur : mi-juillet 2025, Stellantis a abandonné tout projet de véhicule utilitaire à hydrogène et s’est retiré de sa participation dans Symbio, invoquant un marché trop étroit et une absence de rentabilité. Ce retrait – après celui de Renault – fragilise un écosystème en difficulté, notamment en France, entre la faillite du fabricant d’électrolyseurs McPhy et les critiques de la Cour des comptes sur l’inefficacité des aides publiques.

Le téléconducteur, nouveau métier de l'ère post-Uber ?

C’est à Las Vegas qu’une start-up allemande ambitionne de transformer le transport urbain, avec un service hybride, quelque part entre la voiture autonome et le VTC classique. Vay propose ainsi des véhicules électriques; pilotés à distance par des « téléconducteurs ». Le principe ? Vous commandez une voiture via l'app, un opérateur la conduit jusqu'à vous depuis un centre de contrôle équipé d'écrans et d'un volant, puis vous prenez le volant pour votre trajet. Une fois arrivé, vous abandonnez simplement le véhicule dans la rue – le téléconducteur reprend les commandes pour le client suivant.

Lancé en janvier 2024, Vay revendique plus de 10 000 courses avec une flotte qui a doublé depuis début 2025 et devrait atteindre les 100 véhicules à la fin de l’année, grâce à sa nouvelle usine de production de 8 500 m² à Sin City, qui équipe les véhicules du système de conduite développé par l’entreprise et des caméras ad hoc. L'entreprise recrute aussi massivement ces nouveaux chauffeurs virtuels. Selon le Las Vegas Review Journal, les profils recherchés mélangent, entre autres compétences, expérience du transport et culture gaming – dans une hybridation caractéristique de l’époque.

À en croire la startup, ce sont eux qui détiennent la clé de l'efficacité économique : un seul téléconducteur peut superviser jusqu'à 10 véhicules par jour, se « téléportant » d'une voiture à l'autre après chaque livraison client selon TNW. Résultat : 35 cents par minute de conduite et 5 cents par minute d'arrêt selon le Las Vegas Review Journal, soit « toujours deux fois moins cher que le rideshare traditionnel », d'après Vay. D’autres innovations devraient suivre, selon Vay, avec le lancement du « Remote Driver Parking », permettant de lâcher la voiture au téléconducteur arrivé à bon port, sans plus avoir à se soucier du stationnement… Une option pour laquelle 66 % des utilisateurs accepteraient de payer.

Pourrait-on bientôt voir Vay débarquer sur les routes européennes ? Pas si sûr… Malgré son origine européenne, et 34 millions de dollars octroyés par la Banque européenne d’investissement sur les 150 millions de dollars levés au total, Vay reste bloqué par la réglementation. À Berlin, les tests nécessitent encore un conducteur de sécurité à bord, bridant le potentiel commercial. « Nous avons la technologie, elle fonctionne, elle pourrait être partout en Europe. Mais la politique s'en mêle », déplore le CEO Thomas von der Oh à TNW.

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances de L'ADN. Computer Grrrl depuis 2000. J'écris sur les imaginaires qui changent, et les entreprises qui se transforment – parce que ça ne peut plus durer comme ça. Jamais trop de pastéis de nata.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
le livre des tendances 2026
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire