Un petit garçon au Bangladesh tenant un yaourt

Peut-on diriger une entreprise sans vouloir gagner d’argent ?

© Danone Grameen Ltd

C’est le pari du professeur Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix en 2006. Il montre la voie pour devenir une entreprise sociale (y compris aux grandes boîtes), même si elle n’a rien d’aisé.

80 ans, 50 entreprises sociales et un prix Nobel de la Paix en 2006. Le palmarès du professeur Muhammad Yunus en jette. Celui qui est surtout connu pour son activité de micro-crédit avec la banque Grameen n’est pas avare quand il s’agit de dispenser des conseils aux entreprises. À l’occasion d’une rencontre organisée par Publicis, il est revenu sur les fondamentaux des « social business » (entreprises sociales).

Money making vs problem solving

Tout est une question d’intention. Quand on l’interroge sur l’essence des entreprises sociales, Muhammad Yunus n’y va pas par quatre chemins : l’objectif n’est pas de gagner de l’argent, mais de résoudre des problèmes. « La différence entre une entreprise classique et une entreprise sociale, c’est le point de départ. Il y a les gens qui trouvent des idées pour faire du profit, et ceux qui voient des problèmes et qui essayent d’y trouver une solution business. Je fais partie de la deuxième catégorie. » Le ton est donné. Et d’ajouter : « aujourd’hui, les problèmes sont plutôt résolus par les associations. Sauf que celles-ci sont limitées. Elles font sortir de l’argent pour résoudre un problème, mais il ne leur revient pas par la suite, contrairement aux entreprises sociales. »

C’est possible aussi pour les grandes entreprises

L’exemple qui vient en tête immédiatement est celui de Danone. L’entreprise a, au Bangladesh, mis au point un yaourt plus nutritif à bas prix pour que les enfants mal nourris puissent se le procurer. « C’est une sous-branche de Danone : toute l’entreprise ne peut pas s’y mettre d’un coup, reconnaît Muhammad Yunus. Mais les équipes ont trouvé le moyen de créer une activité purement sociale, qui ne rapporte pas d’argent, au sein de l’entreprise. »

Même combat chez Renault, où François Rouvier dirige le programme Mobilize. « J’ai été immergé dans l’écosystème du social business il y a quelques années », se souvient-il. À l’époque, il est frappé par le cercle vicieux qui enferme toute une partie de la population.  « Ne pas avoir les moyens de s’offrir une voiture, c’est parfois pénalisant pour trouver un travail. Et acheter une voiture d’occasion sur leboncoin, c’est risquer de devoir aller au garage deux jours après pour une panne. » Il entend parler de « garages solidaires », une centaine d’établissements en France qui aident, à titre associatif, les automobilistes. Plutôt de la débrouille de quartier que de la vraie qualité… « On s’est dit qu’on pouvait changer ça en apportant l’expertise du réseau. On a sondé les équipes en demandant qui était disposé à réparer des voitures à prix coûtant, sur la base du volontariat, et ça a été un réel succès. »

Réinventer les modèles économiques

La démarche n’a rien d’aisée : François Rouvier rappelle que la réparation des voitures constitue une part importante des bénéfices de l’industrie automobile. « Depuis 8 ans, nous essayons d’inventer de nouveaux modèles économiques dans l’entreprise. Nous cherchons des entreprises qui veulent développer des projets de mobilité à impact. En plus des garages, nous avons un projet de merchandising et d’accessoires équitables, en vendant des produits issus du recyclage – comme des ceintures de sécurité, par exemple. Nous avons aussi un projet de mobilité partagée pour les zones rurales. Nous avons prouvé qu’il était possible de couvrir nos coûts tout en faisant du business social : nous ne cherchons pas à gagner de l’argent, mais à développer et à innover. »

Vers un monde triple zéro

Pour Muhammad Yunus, impossible de changer le monde sans passer en mode entreprise sociale. « Nous devons créer un monde triple zéro – zéro pauvreté, zéro chômage, zéro carbone, revendique-t-il. L’environnement est un désastre, la répartition des richesses est un désastre. 99% des richesses sont détenues par 1% de la population. La société va exploser. Plutôt que d’en arriver là, peut-être pourrions-nous repenser l’économie ? »

Pour lui, la solution est claire.  « Si toutes les entreprises devenaient sociales, et qu’elles s’attachaient à résoudre des problèmes plutôt qu’à gagner de l’argent, on éradiquerait la question de la répartition des richesses et de la pauvreté. Et bien entendu, plus de problème d’environnement puisque les entreprises ne pourraient plus être polluantes. »

Comme ça, ça a l’air facile. Mais concrètement, on fait quoi ? « Si vous le pouvez, quittez votre boîte et lancez votre entreprise sociale. Si ce n’est pas possible, transformez votre entreprise actuelle en entreprise sociale. Et si ce n’est toujours pas possible, créez une sous-branche pour développer une activité sociale au sein de votre entreprise – comme le font Danone ou Renault. Tout le monde peut le faire : il suffit de choisir un problème qui vous préoccupe, et de s’interroger sur la façon dont on peut le résoudre. Essayez, vous verrez : c’est addictif. »

Ambitieux, radical... mais réjouissant.

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.
commentaires

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  1. Avatar martine myrmirian dit :

    bravo? enfin un projet qui remet l humain au coeur de l économie;;;
    comme je suis nulle en économie pourriez vous expliquer de quoi vivent
    les travailleurs?

  2. Avatar Marie Paulette ABOGO ONDO dit :

    Bonjour,
    Je profite de l'occasion afin de vous présenter l'initiative prise par notre entreprise d'économie sociale afin de solliciter, auprès de vous, des orientations nous permettant de faire aboutir nos objectifs.

    Près de 75% de la population vit en zone urbaine, dont 50% à Libreville et à Port Gentil. Le reste de la population est répartie le long des axes routiers et fluviaux.

    L’économie gabonaise demeure très peu diversifiée et très dépendante des cours du pétrole. Le secteur forestier et les industries de transformation qui jouent pourtant un rôle négligeable sont insuffisants pour se substituer aux revenus pétroliers. La question du chômage, notamment des jeunes, des femmes et des hommes démunis restent une importante préoccupation des pouvoirs publics.

    C’est dans ces conditions que différents besoins sont exprimés par les populations pour :
    • La diversification de l’économie et la réduction de la dépendance de l’économie vis-à-vis des activités pétrolières et forestières. ;
    • Le développement et la compétitivité du secteur privé ;
    • L’appui à l’amélioration de la productivité des activités ;
    • La mise en place des moyens supplémentaires pour faciliter l’entrepreneuriat des populations locales, en général, des jeunes et des femmes en particulier;
    • La participation des gabonais dans les projets d’activités locales créatrices d’emplois dans les zones rurales, urbaines et périurbaines ;
    • La mise en valeur des potentialités des provinces dans le respect de l’environnement.

    Le rôle positif des entreprises dans la création d’emplois et le développement du capital humain n’est plus à démontrer.

    Malheureusement, dans notre pays, les entreprises du secteur informel à faible productivité et pourvoyeuses de travailleurs pauvres, occupent une place prépondérante dans l’écosystème économique au détriment des entreprises du secteur formel. L’élargissement de la base de l’économie gabonaise au travers du développement d’entreprises dans les secteurs d’économie verte, la pêche et l’élevage pourrait être un moyen pour développer des opportunités nouvelles, la création de richesses et d’emplois durables des jeunes.
    Cependant, ces Activités Génératrices de Revenus (AGR) de l’économie imposent la prise en compte de la valeur du capital naturel en tant que facteur de production et de croissance. Une attention particulière doit être prêtée aux problèmes sociaux et aux problématiques d’équité sociale.
    Objectif spécifique
    Il fallait, au sein de notre association, de :
    • Envisager des perspectives novatrices de l’autonomisation effective, afin de
    faire des jeunes et des femmes des acteurs majeurs de la vie économique, sociale et culturelle de notre pays ;
    • Se déployer sur l’ensemble des provinces où l’Association FPG est implantée
    dans le but d’apprécier les potentialités économiques et environnementales de chaque localité ;
    • Mesurer la pertinence de l’offre politique de l’« Egalité de Chances » du
    Président de la République, Chef de l’Etat, et sa vision stratégique de développement économique et social, basée sur l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes ;
    • Permettre aux jeunes et femmes et pourquoi pas aux hommes de mutualiser
    leurs expériences et de disposer d’un cadre d’échange et de collaboration en vue de promouvoir, concrètement, l’économie verte basée sur l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes ;

    Nonobstant, une grave crise budgétaire causée par la baisse mondiale des prix du pétrole limite les entrées de notre Gouvernement et donc ses possibilités d'intervention.

    Cependant, le secteur privé gabonais ne s'intéresse pas au genre de projets comme le nôtre. Les banques et autres institutions financières s'y préoccupent encore moins, délaissant le monde rural à l’abandon, comme on le constate, malheureusement, dans notre pays. La micro-finance a jusqu'à ce jour donné des résultats très limités, pour dire le moins. L'on ne peut compter sur elle pour réaliser des projets qui sortent le grand nombre de l'appauvrissement.

    Dans ces conditions, le partenariat extérieur, directement ou indirectement, reste la seule issue capable d'apporter à notre initiative le soutien dont nous avions besoin.

    Je compte sur vos orientations.

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