
Alors que 40 % des Français ne se reconnaissent pas dans la publicité, Maison Mercury Jones met la diversité au cœur de sa démarche artistique.
Selon le baromètre « Inclusion & Diversité dans la publicité française » de Kantar Insights et The Good Company, 70% des Français attendent des marques qu’elles soient inclusives et fassent preuve de diversité dans leur publicité. Mais si, de prime abord, le branding d'une marque est associé à son image « visuelle » en réalité, il comprend bien plus de choses que ce que l’on croit. « Logo sonore », « identité sonore », ou encore « signature sonore », l'audio impacte. Aurélia Havet, directrice stratégie de Maison Mercury Jones, fait de l'inclusion et de la diversité dans le branding sonore son cheval de bataille. Quels sont les enjeux ? Explications.
Mettre plus de diversité dans la publicité est au cœur de votre travail. Est-ce un sujet si délicat ?
Aurelia Havet : Nous nous sommes rencontrés avec Ilā Kamalagharan (directrice de la création) dans une agence d'identité sonore à Londres, il y a trois ans. Lorsqu'on proposait des femmes compositrices extrêmement talentueuses ou des personnes issues de la diversité non européenne, on nous faisait souvent la même réponse : « stop pushing your agenda » . Bien évidemment, la question dans l'autre sens ne se posait pas. Pourtant, la majorité des agences sont dirigées par des hommes blancs, hétéros qui ne font appel qu'à des hommes blancs hétéros... C'est un petit club, qu'on appelle les Frat Boys. Jusqu'au jour où on a reçu un brief pour une marque dont le board était majoritairement féminin, et l'audience une cible féminine. On s'est dit que c'était l'occasion de travailler avec une compositrice. Ça faisait sens. Ça permettait d'être aligné avec les valeurs du client. On a alors proposé une collaboration avec Anna Phoebe, violoniste et compositrice, qui a remporté le prix du meilleur compositeur au Underwire Film Festival (affilié aux BAFTA – British Academy Film Awards). Ils se sont demandé si elle était « capable » (WTF). Ça nous a estomaqués. Là encore, ils ont proposé en majorité des compositeurs blancs, hétéros. Ça a été le déclencheur. On a créé l'agence le jour de la Journée internationale des droits de la femme. C'était assez symbolique pour nous.
Pourquoi cette représentation est-elle aussi importante, le son n'est pourtant pas visible ?
A. H. : Publicité, radio, message audio et aujourd'hui podcast : le son impacte la société et la culture. À ce titre, il est aussi important que l'image. L'identité sonore renforce la visibilité de la marque et crée une émotion, un lien avec le public, des souvenirs... Netflix, McDonald's, Apple, Microsoft ont une identité sonore immédiatement reconnaissable. On pourrait presque parler de « logos audio ». Avec la multiplication des canaux et des outils : vidéos, YouTube, social media... Les marques sont de plus en plus mobilisées sur la question du son parce qu'elles savent que ça accroît leur impact. La musique participe du storytelling qui est aujourd'hui incontournable. Il y a un vrai enjeu de démarcation. Nous, on a toujours eu cette conviction que la diversité est un terreau fertile.
Quels sont les enjeux pour les marques ?
A. H. : La question de la diversité et de l'inclusion est essentielle et centrale. Les jeunes générations sont dans l'ensemble plus « conscientisées ». Elles challengent les marques et elles n'hésitent pas à les boycotter. Pour répondre à ces attentes, les marques doivent aller au-delà des postures. En juin, par exemple, de nombreuses marques vont arborer un rainbow logo pour le Pride Month. Mais qu'est-ce qu'il y a derrière ? Est-ce qu'elles travaillent avec des artistes de la communauté LGBTQ+ ? Sont-elles engagées le reste de l'année ? Où est-ce juste du pinkwashing ? Même chose pour la Journée des femmes. Sauf qu'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, les marques sont scrutées et tout décalage, tout ce qui est jugé comme de la simple « communication » est sanctionné. Les marques ont du pouvoir, ce qui les « oblige ». Elles ont un devoir de représentation et de représentativité.
Les marques qui viennent vous voir le font-elles par conviction ou pour des enjeux business ?
A. H. : Les jeunes générations les boycottent, leurs actionnaires leur mettent la pression… Certaines le font donc par intérêt économique et marketing. Elles ont conscience d'avoir une image qui n'est pas suffisamment Diversity, Equality and Inclusion. Ils voient dans une collaboration avec les artistes de notre agence une façon plus simple et plus rapide de faire un premier pas. Elles souhaitent capitaliser sur l'artiste, le mettre en avant dans une future campagne de communication. Nous ne sommes pas dupes. Les artistes non plus. Mais ce qui compte, c'est qu'on donne de la visibilité à des artistes sous-représentés. C'est une situation win-win. Et puis, il y a des marques qui sont fondamentalement éthiques et réellement engagées dans cette démarche. C'est important pour elles de supporter des artistes et des compositeurs sous-représentés. Plus les marques donneront de la visibilité aux différentes communautés, plus la société changera. Si chacun met sa pierre à l'édifice, le club des Frat Boys devra s'ouvrir.
Certains artistes refusent de s'associer avec des marques qui ne représentent pas leur valeur ?
A. H. : On le voit avec certains rappeurs par exemple. Certaines marques veulent ajouter une petite touche de coolitude à leur image. La vraie question est de savoir si ça colle avec le message qu'elles veulent délivrer, et avec leur target audience. Mais l'inverse est aussi vrai. Il est fondamental que les artistes travaillent avec des marques qu'ils aiment et avec lesquelles ils sont alignés. Il en va de leur crédibilité. Ça permet d'être beaucoup plus créatif et impactant. C'est une collaboration étroite. Beaucoup d'artistes se renseignent sur la marque. Où sont fabriqués les produits ? Sont-elles écoresponsables ? S'ils sont fiers de représenter une marque et ses valeurs, ils en parlent à leur communauté sur les réseaux sociaux. C'est un cercle vertueux.
Au-delà, les marques qui misent sur la notoriété ne prennent-elles pas le risque de s'effacer derrière l'image de l'artiste ?
A. H. : Tout à fait. On va dire : « c'est la pub avec la chanson de Dua Lipa » sans se souvenir du produit. Le risque est de ne pas être identifié. Sur les 30 dernières années, le morceau Happy Together des Turles doit avoir le palmarès de la chanson la plus utilisée dans la pub. Les gens connaissent et aiment le morceau. Le message est facilement compréhensible. Mais sert-il la marque ? Pour impacter, une identité doit être unique.
Parmi vos piliers, l'innovation technologique, pourquoi ?
A. H. : Depuis trois ans, nous avons un partenariat axé sur l'IA et le branding sonore avec l'Université de Sheffield. Nous travaillons sur les manières dont l'innovation technologique peut servir l'univers de l'identité sonore. Beaucoup s'inquiètent que l'intelligence artificielle remplace les compositeurs. De notre côté, nous partons du principe que l'IA peut aider, si et seulement si, elle est guidée humainement. L'idée créative viendra toujours de l'humain. Nous envisageons la technologie comme libératrice de la créativité. On parle d'intelligence artificielle, mais de quelle intelligence parle-t-on ? Il y a différentes formes d'intelligence. L'intelligence émotionnelle ne peut pas être remplacée par une machine. La technologie augmente les possibilités, ouvre le champ des possibles et permet aux artistes de se focaliser sur la composition et in fine sur la human touch.
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