Face à l'inexorable métropolisation du monde et à l’indomptable plateformisation de nos économies, la ville peut-elle encore devenir un territoire d’empowerment et de reprise de contrôle de nos données ?
Faut-il réinventer la smart city ?
Elle devait nous assurer sécurité, mobilité, efficacité, rapidité et pourtant, aujourd’hui, le concept peine à convaincre. Pire, certains voudraient la voir disparaître, l’accusant d’être une énième machine à cash, un puit de données pour les GAFAM, ou d’être simplement stupide. Pour d’autres, les villes intelligentes sont la promesse d’une destruction de la démocratie. Des critiques et des risques qui ont contraint Sidewalk Labs à revoir ses ambitions. La filiale d’Alphabet, maison mère de Google, qui tente depuis 2011 de transformer Toronto en smart city, a vu ses possibilités de collecter des données se réduire comme peau de chagrin.
Il faut dire que la tentation est grande pour les municipalités de moderniser leurs villes à coup de trottoirs connectés. Pour rappel, dans 30 ans, les habitants des villes représenteront les deux tiers de la population mondiale. L’enjeu ? Encore et toujours l’attractivité ! Aujourd’hui, les villes se plient en quatre pour accueillir les entreprises. Combien de capitales font les yeux doux à Elon Musk pour accueillir une Giga Factory ou à Jeff Bezos pour espérer voir sortir de terre un de ses immenses entrepôts ? Mais au-delà des potentielles retombées économiques de la smart city, c’est bien un enjeu démocratique qui se dessine à mesure que les technologies se veulent de plus en plus sophistiquées et gourmandes en data…
Demain, une smart city au service de la démocratie locale ?
« Le gros challenge est que les citoyens ne savent pas ce qu’est une smart city et je suis sûre que si vous arrêtez un passant dans la rue à Paris pour lui demander ce que c’est, il vous répondra probablement qu’il ne le sait pas et qu’il s’en moque. En quoi la smart city va changer ma vie ? », témoignait Francesca Bria, ex CTO de la ville de Barcelone dans le cadre du Mastercard Innovation Forum, le 14 novembre 2019 à Paris. C'est que l'imaginaire de la ville intelligente, quand il est connu, peine à séduire les Français. La ville connectée arrive en dernière position des types de ville où ils souhaitent vivre, selon Forbes. Le futur de la smart city réside-t-il dans sa désirabilité et son acceptabilité ? Une conviction pour la capitale catalane qui s’engouffre dans la démocratie participative et connectée. « Je pense que Barcelone est regardée comme un exemple dans le monde entier pour sa démocratie participative. 60% des projets de la ville viennent directement des citoyens. On veut prouver aux citoyens que la technologie leur permet d’avoir plus de pouvoir », poursuit-elle.
Touche pas à ma data !
Remettre le citoyen au cœur de la smart city ? Une évidence pour Jillian Campbell. La statisticienne du programme des Nations Unies pour l’environnement parle de science citoyenne : « les données générées par les citoyens ont un énorme potentiel pour nous aider à surveiller les objectifs de développement durable. L'implication des citoyens dans le processus de collecte de données améliore la sensibilisation et l'action de la communauté ». Et quand les villes ne mettent rien en place, les citoyens jouent la carte de la collaboration et de l’open data.
À Lyon, on nourrit une carte collaborative et en open source pour enregistrer les pistes accidentées pour les cyclistes. À Buenos Aires, une ONG a lancé une page web qui explique le fonctionnement des technologies de reconnaissance faciale et les impacts de ces outils sur les libertés civiles. Présenté comme une stratégie de résistance, aux États-Unis, un GitHub recense toutes les données qui échappent aux citoyens. Vente et prix dans le monde de l’art, personnes exclues du logement public, crimes racistes, mobilité pour les personnes handicapées… tout y passe ! « La notion de ville intelligente dans sa forme entièrement contemporaine semble provenir des entreprises », écrit Adam Greenfield dans son livre Against the Smart City. Faut-il ainsi redéfinir la smart city par et pour le citoyen ? On parle déjà d’une smart city européenne, comme d’un contre modèle aux smart cities asiatiques et américaines. Celle-ci serait neutre, dépourvue de traçage nominatif mercantile et respectueuse de l’intime.
«La ville de New York a été invitée hier à reconnaître le droit du public à savoir en lui donnant plus d'informations sur les affaires de la ville», c’est ainsi que débute un article du New York Times datant de 1958. En ce début d'année 2020 marqué par le triomphe du capitalisme de surveillance, un autre consensus s’installe. La ville pourrait bien être la meilleure échelle de l’expérience démocratique. Un désir qui aurait donc échappé jusqu’ici au contrôle de la smart city…
POUR ALLER PLUS LOIN :
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>> 2020 : la surveillance de masse technologique est partout. Et qui s'en fout ?
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