Frédéric Fougerat fédère sur Twitter une communauté engagée, à laquelle il livre au quotidien sa vision de la communication. S’il ne s’agit pas d’un compte dédié à l’univers de l’entreprise pour laquelle il travaille, celle-ci bénéficie pourtant de son succès.
Vous bénéficiez d’une forte communauté sur Twitter. Quelles sont les clés pour engager ?
Frédéric Fougerat : Il faut faire des choix. Il faut toujours savoir pourquoi on s’engage et ce que l’on veut promouvoir. On peut se servir des réseaux comme d’un outil personnel et raconter sa vie, ou pour partager des opinions politiques. Si l’on veut en faire un outil professionnel, cela demande une certaine ligne de conduite : est-ce qu’il s’agit de promouvoir sa personne ? Sa fonction ? Son expertise ? Son entreprise ? En ce qui me concerne, j’ai fait le choix de promouvoir mon expertise : la communication, le digital, le management. Je me limite à une ligne éditoriale qui ne sort jamais de mon expertise.
Le maintien de cette ligne éditoriale est très important : cela m’interdit de parler de beaucoup de choses. C’est strict, mais ça contribue au succès de mon compte. Les gens me suivent pour une raison : dès que j’aborde un sujet sous un faux prétexte, l’engagement chute. Il faut une certaine lisibilité pour avoir une légitimité.
Il faut aussi choisir son réseau et ne pas se disperser sur plusieurs canaux, le nourrir avec cohérence et régularité, et surtout le plus humainement possible. L’automatisme ne pardonne pas.
Vous êtes un peu votre propre community manager…
F. F. : Indéniablement, ça fait partie du job ! Avoir un compte et l’alimenter, c’est du travail. Ce n’est pas un hobby : je le fais de façon professionnelle, et pour arriver à ces résultats cela demande de l’implication. Je sélectionne les informations à partager, je choisis des contenus qualifiés, la fréquence de publication, les jours, les horaires… Le tout dans une optique d’engagement – en moyenne, mes tweets comptabilisent une cinquantaine de retweets. Au plus haut, je suis monté à 500. Cela demande aussi de personnaliser les contenus, valoriser les publications d’autres comptes, proposer des informations exclusives… Et d’éviter de tomber dans les mauvaises pratiques : le mass following, les réponses automatisées…
F. F. : Je suis connecté en permanence. Il y a une part de veille, et pour la production en tant que telle je dirais une à deux heures par jour… ou par nuit ! Je fais partie de ceux qui ont entre 70 et 100 tweets d’avance en brouillon : dès que j’ai une idée ou un sujet qui m’intéresse, je le transforme en tweet – que je ne publie pas forcément dans l’immédiat.
Que se passerait-il si vous utilisiez vos réseaux pour faire la promotion de votre entreprise ?
F. F. : Ça m’est déjà arrivé, par le passé. Le constat a été sans appel : immédiatement, je perdais des abonnés ! Il ne faut pas donner l’impression de faire du matraquage publicitaire !
Pourtant, votre activité sur Twitter bénéficie à l’image de l’entreprise...
F. F. : Totalement. Quand j’étais plus jeune et que j’étais sollicité pour une prise de parole, j’avais la lucidité de comprendre que ma personne ne comptait pas – c’était ma fonction au sein d’un groupe important qui intéressait les gens. Aujourd’hui, j’ai une ancienneté professionnelle et je bénéficie d’une mise en lumière de par mon activité sur les réseaux sociaux : la mécanique s’est inversée, c’est ma personne qui intéresse, et il s’avère que j’occupe une certaine fonction dans une certaine boîte – ce qui est toujours mentionné. Ma mise en lumière rejaillit sur l’entreprise.
C’est une sacrée responsabilité !
F. F. : Oui, car chaque prise de parole pourra être considérée de façon bienveillante ou malveillante et l’on pourra attribuer mes propos à l’entreprise. Cela implique une certaine censure dans mes prises de parole ou position – que j’accepte. Cela fait partie de mon boulot : je suis le porte-parole de l’entreprise. Cette dynamique s’inscrit aussi dans un cadre plus général, où les limites entre le personnel et le professionnel s’estompent. Mais pour autant, je ne m’empêche pas de saluer la concurrence si j’estime que c’est de rigueur : on s’inspire les uns les autres. Il n’y a aucun problème à ce niveau-là. À l’inverse, je n’utiliserais pas ces réseaux pour critiquer ou être blessant.
Pensez-vous qu’il soit important aujourd’hui pour une entreprise que les employé.e.s soutiennent le message et l’image de marque sur leurs réseaux ?
F. F. : Je pense que c’est très souhaitable, voire indispensable. Il faut inviter les collaborateurs et collaboratrices à être ambassadeurs et ambassadrices ! Cela se fait plus ou moins facilement selon les entreprises et les secteurs. Plus important, il s’agit de savoir comment les accompagner afin qu’ils ne nuisent pas à l’image de marque. On ne peut pas empêcher les gens de s’exprimer : il faut faire avec, et utiliser cette possibilité comme une opportunité plutôt que de vouloir lutter contre ! Cela demande de la pédagogie, car beaucoup ne se rendent pas compte de l’impact de leur prise de position ou de parole.
F. F. : J’ai du mal à imaginer cela possible en France. Il y a des entreprises qui ont peur de communiquer, et qui ont peur que leurs équipes communiquent. On peut cadrer, donner les clés, éduquer pour aider les gens à avoir de bonnes pratiques… Mais on doit leur laisser leur liberté d’expression.
Est-ce qu’une utilisation intense des réseaux sociaux peut nuire à « l’employabilité » d’un candidat ?
F. F. : Il y a beaucoup de mythes autour de l’utilisation que font les recruteurs des réseaux sociaux. Les discriminations ne sont pas nouvelles, les raccourcis aberrants non plus. À partir du moment où une personne va s’exprimer publiquement et fortement, elle pourra en pâtir. Mais les réseaux sociaux ne changent pas cette donne initiale. Et en ce qui concerne mon expérience personnelle, les recruteurs et les réseaux sociaux, c’est plutôt le Moyen-Âge… Ils ont tous les outils à disposition pour obtenir des infos sur un candidat, mais ce n’est pas pour autant qu’ils les utilisent. Cela n’empêche qu’il faille faire attention : les empreintes numériques ne sont pas faciles à effacer…
Quand on travaille dans la communication, c’est différent : il faut savoir maîtriser les réseaux sociaux, c’est nécessaire. Il faut s’adapter aux évolutions de sa profession et comprendre les formats, l’écriture, et la technologie qu’il y a derrière.
Eduquez-vous vos collaborateurs et collaboratrices aux bonnes pratiques ?
F. F. : Il ne faut jamais que l’utilisation des réseaux sociaux soit perçue comme une contrainte. J’ai mené à plusieurs reprises des campagnes pour intéresser et former les équipes au sujet. Chez Altran, en 2014, sur l’ensemble des pays du Groupe puis chez Elior, en 2017. Chez Altran, je m’adressais à une population d’ingénieurs : plutôt ouverts sur les réseaux sociaux mais peu ou pas pratiquants. J’ai expliqué l’importance de la maîtrise de sa réputation – Master Your Reputation. Chez Elior, la population et les métiers étaient très différents. La campagne menée au niveau mondial, We Are Socializers, avait pour objectif de créer une grande communauté. Nous proposions une multitude de possibilités pour entrer dans le vif du sujet, toujours par le prisme du bon usage pour soi. Conférences d’une heure, cafés digitaux de 15 minutes, ateliers qui se succédaient sur une journée… Les niveaux étaient très différents : ça allait de l’expert à celui qui n’avait jamais téléchargé une application sur son téléphone. L’important est de toujours rentrer dans le vif du sujet d’un point de vue personnel avant d’étendre au professionnel : comment cadrer sa photo sur Instagram, comment optimiser le nombre de caractères sur Twitter… Nous avions organisé une séance photo pour que les employés puissent avoir le parfait cliché sur leur profil LinkedIn – les gens faisaient la queue ! C’est comme ça qu’on réussit à embarquer ses équipes : plutôt que de les gaver avec des directives trop professionnelles, il faut leur faire comprendre l’usage qu’ils peuvent en faire à titre personnel.
Participer à la conversation