
Grands groupes, marques et stars... Tout le monde veut investir dans l'immobilier des métavers. Les ventes se chiffrent déjà en millions d’euros. Mais au fait... pourquoi ?
Vous ne savez toujours pas s'il faut investir dans les cryptos. Vous n'êtes pas certain de vouloir miser sur les NFT. En 2022, il faut vous poser une autre question : devez-vous investir dans l'immobilier du métavers ? Fatigue. D'autant que 500 000 dollars (455 000 euros), c’est le prix à dépenser pour vivre à côté de Snoop Dog dans le métavers The Sandbox. Avec cette somme, il est possible d’acquérir un joli T4 en première couronne parisienne. Pourtant, de plus en plus d’entreprises et quelques particuliers fortunés font le choix de l’immobilier virtuel. À tel point que ces mondes virtuels commencent furieusement à ressembler à des bulles spéculatives. Une étude de l’université de Cornell souligne ainsi qu’entre décembre 2019 et janvier 2022, le prix des parcelles dans The Sandbox a été multiplié par 300. En 2021, les ventes cumulées ont atteint le montant record de 500 millions de dollars (455 millions d’euros) sur les quatre principaux métavers (Sandbox, Decentraland, Somnium, Cryptovoxels), indique l'entreprise MetaMetrics. Comment comprendre cet engouement ? L’immobilier dans le métavers est-il un bon investissement ? Quels usages en font les entreprises ? Éléments de réponse avec Stanislas Barthelemi, analyste chez Blockchain Partner, la cellule de conseil Web3 de KPMG.
Ces derniers mois, des opérations financières portant sur des achats immobiliers dans le métavers ont fait grand bruit. Vrai investissement ou coup de communication ?
STANISLAS BARTHELEMI : De grands groupes français comme Carrefour, Casino ou Axa ont en effet annoncé investir dans le métavers et chacun met en place des stratégies en plusieurs étapes. Il s’agit d’abord de marketing puisque ces titres de propriété sont une vitrine pour les marques. Toute entreprise qui a un site Internet traditionnel peut désormais envisager d'acquérir une parcelle dans le métavers car le passage de la 2D à la 3D ouvre de nouvelles possibilités d’expériences. Il y a une forte dimension de gamification. Les marques proposent ainsi des petits jeux qui permettent aux utilisateurs et utilisatrices d’évoluer dans l’univers de la marque, tout en gagnant des réductions. L’aspect business n’est pas encore présent, mais on peut envisager à terme que ces marques vendent des biens numériques.
Comment se détermine la valeur immobilière des parcelles numériques ?
L’offre de parcelles dans les métavers The Sandbox et Decentraland est limitée. Le cadastre de Decentraland comprend 90 000 parcelles (une nouvelle strate de 90 000 pourrait être ajoutée) et celui de The Sandbox comprend environ 160 000 parcelles. La valeur des terrains est donc liée à cet effet de rareté. Plus la demande mondiale est forte, plus les prix galopent. Comme dans le monde réel, les parcelles les plus chères sont celles situées à côté des pôles d’intérêts, grandes marques ou célébrités. Les moins chères sont les plus excentrées. La valorisation s’opère globalement selon les mêmes règles que dans le monde réel.
Quelles sont les possibilités offertes pour rentabiliser ces terrains ?
Il existe trois modèles à ce jour. Le premier consiste à acquérir un titre de propriété. Il s’agit d’un NFT auquel est associée une parcelle de cadastre avec un numéro. Ce titre est acheté sur le marché primaire, directement auprès de Sandbox ou Decentraland. Les propriétaires peuvent ensuite revendre leur parcelle avec une plus-value, ce qui entretient un marché secondaire dynamique mais peut aussi favoriser la spéculation. La deuxième manière de générer de la valeur dans le métavers est de proposer des biens numériques à l’achat. On peut les payer en stablecoin dollar ou en monnaie propre, le Sand pour Sandbox et le Mana pour Decentraland. Contrairement à leur ancêtre Second Life, ces mondes virtuels ont nativement intégré la brique de la valeur grâce aux cryptomonnaies et à l’infrastructure blockchain. Le troisième modèle est de miser sur l’économie des assets numériques graphiques : mode 3D pour habiller son avatar, construction de bâtiments… Il faut savoir qu’une fois la parcelle achetée, il faut ensuite faire construire son bâti. Des entreprises spécialisées se positionnent sur ce segment de la construction numérique.
L’achat d’espace publicitaire et l’événementiel sont-ils des modèles pertinents dans le métavers ?
La publicité sous forme de bannières sur les parcelles a été le premier cas d’usage de valorisation. Le bémol étant que l’on peut se téléporter dans le métavers pour éviter les messages publicitaires. Donc l’achat d’espace publicitaire ne se justifie qu’à proximité de pôles d’intérêts ou de parcelles de grosses marques. Je ne pense pas, à terme, que l’usage justifie que les régies publicitaires achètent des terrains. Du côté de l’événementiel, ce qu’on voit en termes d’usage ce sont des locations de parcelles pour des opérations marketing, à l’image de ce qu’a fait Samsung récemment. Donc on peut imaginer que des agences de communication se déploient dans le métavers pour y organiser ce type d’événements.
Comment les éditeurs de métavers se rémunèrent-ils ?
En partie grâce aux ventes immobilières. Mais Decentraland a déjà vendu tous ses terrains en 2019, contrairement à Sandbox qui les vend au fil de l’eau. Pour gagner de l’argent, on peut imaginer que Decentraland décide d’installer des frais de transaction. Chaque propriétaire pourrait donc s’acquitter d’une taxe au moment de vendre son terrain sur le marché secondaire. On voit aussi émerger dans les débats l’idée d’une taxe foncière qui concernerait les spéculateurs qui ne font rien de leur terrain. On peut légitimement se demander si ce modèle de limitation de terrain existera encore dans 5 à 10 ans ? Est-ce que Sandbox et Decentraland seront assez attractifs pour justifier ce modèle ? Surtout lorsque l’on sait que le numérique n’est pas soumis aux mêmes limites que le monde physique. Ces métavers auront tout intérêt à développer un modèle de marketplace pour vendre des assets numériques.
Les valeurs immobilières numériques viennent pourtant de subir une correction de marché similaire à celle que l'on a observée sur les marchés des cryptos. Le modèle s’essouffle-t-il ?
Il faut nuancer l’idée d’un effondrement des valeurs immobilières dans le métavers. Tout dépend de ce que l’on compare et surtout du point de référence dans le temps. Le contexte géopolitique et macroéconomique entraîne aujourd’hui des fluctuations du marché des cryptomonnaies. Les phases de crise succèdent aux phases d’euphorie. On peut voir que les prix des terrains diminuent ces derniers jours mais si l’on compare avec le mois d’octobre, leur valeur stagne, voire augmente dans certains cas. Quant à la valorisation des monnaies locales, le Mana et le Sand, elle a tendance à être en hausse.
Ce modèle de cadastre 3.0 a-t-il des perspectives de développement sérieuses ou n’est-ce qu’une bulle spéculative ?
L'engouement autour de l'immobilier dans le métavers dépendra de la qualité des expériences qui seront proposées par les marques. Est-ce que celles-ci justifieront que l’on se connecte plusieurs fois par jour et que l’on dépense de l’argent, comme on le fait aujourd’hui sur Facebook ou Instagram ? Proposeront-elles autre chose que des jeux pour gagner des réductions ? Encore une fois, ces aspects business n’en sont qu’à leurs balbutiements. On voit aussi émerger de nouveaux modèles de métavers basés sur un modèle économique de contenu. C’est le cas de Nifty Island. Ce monde virtuel supprime la barrière à l’entrée liée à l’acquisition d’un terrain à un prix élevé et propose une place de marché très fournie où l’on peut acquérir des biens numériques. Nifty Island mise sur le volume d’utilisateurs et utilisatrices, contrairement à Decentraland et Sandbox qui misent sur la rareté. On voit donc se dessiner deux typologies de mondes virtuels : les uns destinés aux grandes marques et aux plus aisés, les autres ouverts au plus grand nombre.
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