
Les très grandes entreprises et leur culture de la hiérarchie et du présentéisme n’ont (enfin) plus la cote.
En France, il est déjà loin le temps où les baby-foots des startups et leur esprit de “disruption” faisaient rêver. Un sondage publié en janvier 2023 indique que seuls 13 % des étudiants envisagent d’accepter un emploi dans une jeune pousse. Quelques scandales et autres dérives managériales sont passés par là. Mais au Japon, l’excitation ne fait que commencer. Cet intérêt s’accompagne d’une remise en question de la culture encore très prégnante du salariat, analyse le Financial Times.
Le pays a mis un certain temps avant de légitimer ces jeunes entreprises. Alors que les États-Unis puis l’Europe embrassent la culture startup dans les années 2010, les Japonais restent, quant à eux, fidèles aux grandes entreprises traditionnelles. La situation économique compliquée depuis plusieurs années en fait une voie privilégiée pour les jeunes travailleurs soucieux d’avoir une carrière prévisible et stable.
La pandémie de 2020 a rebattu les cartes. Les entreprises japonaises ont dû s’adapter au travail à distance, envoyant valser le présentéisme et le sens de la hiérarchie si chers à leurs yeux. De quoi donner de nouvelles idées à leurs employés.
« Une pression que l’on choisit »
Résultat : fin 2021, un tiers des employés japonais quittant une grande entreprise rejoint une startup, contre seulement 8 % en 2018 selon Japan Venture Capital Association. « Pour de nombreuses personnes de mon âge, les startups offrent un environnement de travail alternatif. Il y a toujours beaucoup de pression, mais c’est une pression que l’on choisit » , observe dans les colonnes du Financial Times un jeune homme de 26 ans diplômé de la Keio University, occupé à quitter son poste dans une grande banque pour une startup.
L’intérêt se ressent également du côté des investisseurs. En 2022, les startups japonaises ont enregistré des levées de fonds records, contrastant avec une baisse mondiale des investissements de 35 %, rapporte Tech Crunch. Les startups ont récolté 877 milliards de yens, soit 5,4 milliards d’euros. En 2013, elles ne levaient que 570 millions d’euros. La même année, les levées de fonds à New York s’élevaient à 2,7 milliards d’euros.
Par ailleurs l’écosystème startup est davantage soutenu par le gouvernement japonais, qui en a fait une priorité. Le 12 novembre, le ministre de l’Économie Yasutoshi Nishimura a inauguré un campus de l’innovation au cœur de Palo Alto, censé accueillir des jeunes pousses japonaises, dans l’idée de les rapprocher des entreprises américaines, rapporte Asia Tech Daily. Cette volonté politique rend cette économie plus “mainstream” qu’auparavant. Faire carrière dans une jeune pousse est désormais un parcours légitime.
Peu de risques, gros salaires
Surtout, le salaire qu’on peut espérer y avoir est bien plus attrayant que celui des grandes entreprises. Selon Japan Venture Capital Association, les startupers gagnent ¥580 000 (environ 3 500 euros) en plus que les travailleurs des grandes entreprises. La différence n’était que de 90 000 yens (550 euros) il y a encore deux ans. Même s’il y a une probabilité plus élevée de perdre son emploi en rejoignant une entreprise débutante, les Japonais le font sans prendre trop de risques. Ils savent que compte tenu du taux de chômage très bas (autour de 2,5 %), ils pourront retrouver un emploi très facilement.
Ce changement social et économique ne s’inscrit toutefois pas tout à fait dans la culture de la “disruption” chère à la Silicon Valley (et copiée en Europe). Les Japonais qui rejoignent une startup ne le font pas pour bousculer à tout prix les entreprises installées, mais plus pour trouver quelque chose qu’il n’avait pas encore vu ailleurs, expliquent les investisseurs interrogés par le FT.
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