
Les néospiritualités sonnent-elles la fin de l'ère judéo-chrétienne ? Ce qui est acquis, c'est que notre relation à nous-mêmes, à l'autre et au divin a effectué un sacré virage en quelques générations. Et que ces changements ont des incidences qui impactent tous les secteurs.
On ne les attendait plus. Pourtant, ils sont partout et ils progressent ! Chamanes, sorcières et magiciennes, devins, druides, astrologues, et désormais graines d’étoile... se multiplient et fascinent. Ensemble, ces croyances hétéroclites bricolent de nouvelles mythologies. Dans un maelstrom créatif et désarmant, elles agrègent les traditions ancestrales aux pratiques new age, mélangent les références à des cultures mythiques et disparues avec celles de galaxies far, far away, inspirées par les images de Hubble ou l’imaginaire de la pop culture. Ici, fusionner des références à la physique quantique aux préceptes du développement personnel ne pose aucun problème. Au contraire.
Que disent de nous ces nouvelles spiritualités ? Sont-elles une rupture fondamentale dans nos croyances ou la dernière mutation de tendances plus anciennes ? L’expression d’une angoisse passagère liée aux confinements, une quête de sens comme antidote au matérialisme ou son aboutissement ultime ? Un danger de type sectaire ou la libération d’une spiritualité plus ouverte et plus souple ? L’émergence d’un nouvel imaginaire, mashup de pop culture et de culture numérique, ou un hashtag sur TikTok qui durera moins qu’une génération ? Un grand délire foutraque ou la fin de l’ère chrétienne ? Tout cela en même temps ?
On tente ici de donner quelques-uns des changements à l'œuvre – sur trois dimensions : le rapport à nous-même, le rapport à l'autre et au collectif, et enfin le rapport au divin, à la transcendance... appelez-le comme vous voulez (un choix qui est lui-même au cœur de la tendance...).
La nouvelle quête du soi : à la recherche de la meilleure version de moi-même
Et moi, et moi, et moi
Les parcours spirituels contemporains sont un élan qui vient de l’intérieur… et qui ramène à soi. Qu’il s’agisse de renouer avec sa légende personnelle, d’épanouir sa vieille âme ou d’assumer ses racines intersidérales, chacun cherche à découvrir et déployer sa spécificité originale – et originelle. La quête devient moins celle de la transcendance, censée nous ouvrir à un au-delà de soi, qu’une quête de soi tout court – voire une quête identitaire. Le tout peut aller jusqu’à parfois nous conduire à nous attribuer des spécificités électives de graine d’étoile, d’enfant indigo ou arc-en-ciel.
Je sens donc je suis
Atteindre la connaissance spirituelle consiste davantage à écouter son cœur, à suivre son intuition qu’à suivre les préceptes d’un catéchisme. Les nouvelles spiritualités ne puisent plus dans un corpus monolithique de textes sacrés. C’est l’expérimentation qui précède et qui guide, et elle passe plus par le corps, le ressenti, et peut emprunter toutes les formes : boire la liane des esprits au bout du monde, méditer, jeûner... L’ensemble se transmet par des récits très personnels, très « instagrammables », où chacun raconte sa voie, ses expériences, ses traumas d’ici-bas, voire ses vies antérieures ou ses inspirations venues d’ailleurs.
Assume ta face
Si la quête valide la singularité de chacun, elle le confronte aussi à sa responsabilité. Car le développement personnel..., c’est avant tout très personnel, et trouver son bonheur est une histoire de volonté. Et si le besoin de trouver des frères se manifeste, le groupe devra valider ce qu’on est, et là où on en est.
Les nouvelles formes du collectif : aucun chemin ne mène à Rome
Ni dogme, ni messe
Les collectifs institutionnalisés ne constituent plus un socle a priori. Un sermon, identique pour tous, servi à jour et à heure fixe, pétri par les croyances d’une tradition instituée, ne répond plus à l’appétit d’expériences personnelles des « cherchants ». Les nouvelles spiritualités se diffusent par un système plus vaporeux, plus meuble. On y trouve une nébuleuse d’influenceurs, de praticiens, de guérisseurs... Ils ne sont pas (encore) fédérés entre eux, ils agrègent sans se coordonner leur propre communauté, qui s’avère elle-même plus ou moins engagée. Si les organisations flottent, s’affirme déjà une représentation très élective des parcours – où quelques-uns semblent être plus éclairés, plus avancés, plus élus que les autres.
Tout est relatif
La recherche de son authenticité se double souvent de celle de la vérité. L’idée traîne qu’elle est ailleurs, qu’elle est souvent cachée, qu’elle peut se trouver partout, mais que chacun a la sienne. Objectif : se libérer de ses croyances limitantes. Le tout consacre en maître l’œil du « regardant » qui devra se convaincre qu’une approche cérébrale, intellectuelle, ne pourra jamais refléter la complexité de toute chose. À partir de cette réalité moitié à déconstruire, moitié à reconstruire, les théories du complot peuvent-elles faire leur nid ? Oui. Ce risque est avéré.
Le quantique, c'est fantastique
Entre la science et les pratiquants..., c’est compliqué. Certains courants spirituels s’érigent contre des applications telles que les vaccins, la 5G, les conclusions du GIEC… Cependant, le règne du « tout relatif » fait la part belle à la physique quantique, dans sa version très simplifiée, du moins. Cela donne des idées comme : tout est dans tout, et réciproquement ; la réalité peut se dédoubler et proposer des versions différentes dans d’autres espaces et d’autres temps...
Ça buzze pour moi
Entre les nouvelles spiritualités et Internet, en revanche..., ça « matche ». Les influents du secteur maîtrisent parfaitement les réseaux – les plus mainstream comme les moins visibles –, leurs différents formats – image, vidéo, live, tchat... –, leur complémentarité, leur potentiel de recrutement, de viralité, de commercialisation. Ils sont passés maîtres dans l’usage des hashtags, des punchlines, des émojis... Et les réseaux le leur rendent bien. Puisque l’audience de ces sujets se compte en millions, parfois en milliards – de followers, de vues, de partages...
Un chemin pavé d'offres
Chacun peut mélanger librement les traditions selon ses aspirations et concevoir ses propres rituels. Certes. Mais cette ultrapersonnalisation qui permet un « bricolage » très do it yourself nécessite tout de même le recours à des spécialistes : énergéticiens, chamanes, astrologues... Ce sur-mesure a donc un coût – et, au cumul comme à l’unité, il peut s’avérer élevé. Il provoque aussi l’attente d’un retour sur investissement – la paix intérieure ou plus prosaïquement l’alignement des planètes en sa faveur.
Oh my God, Dieu est mort, je suis Dieu
Retour aux sources
Si l’expression exotérique des grandes religions (les rites et doctrines qu’elles proposaient à tous les fidèles) semble prise de court, toutes les traditions ésotériques (les rites et doctrines réservés à un petit nombre d’initiés) sont à l’honneur. Du yoga au chamanisme, de l’astrologie au tarot..., on cherche à s’ancrer dans des pratiques millénaires, quitte à prétendre qu’elles sont l’héritage de civilisations disparues. Les mystères à redécouvrir ont rouvert la boîte à légendes dorées.
Vers l'infini et l’au-delà
Pour les biberonnés aux sciences-fictions et aux images spatiales que nous sommes, la mythologie des dieux se doit d’aller plus loin. Le système solaire semble étriqué – Vénus visible à l’œil nu et Mars à une portée de fusée ne peuvent plus y suffire. Les galaxies far, far away nous ouvrent à un nouvel imaginaire religieux, quitte à y adjoindre quelques représentants extraterrestres. Et ce qui est vrai de l’espace, l’est aussi du temps. Du haut des pyramides, quarante siècles qui nous regardent..., c’est trop peu. Et les années sont comme les vues sur TikTok, elles ne pèsent pas lourd si elles sont en dessous du million.
Extension du domaine du sacré
À l’heure de la grande connexion, il est perçu comme acquis que tout est sacré – le ciel, la Terre, l’eau et le vent – les pierres, les plantes, les animaux... L’homme, en tant qu’espèce, n’est plus en haut de la pyramide et pas plus légitime à occuper cette place que la loutre et le héron (qui sont nos amis). Il n’est plus le seul gardien du jardin, la connaissance n’est pas contenue dans un seul arbre. Le sacré est sauvage et circule partout comme une énergie.
La transcendance, c'est fini
Puisque le divin est partout, il est aussi en moi, donc je suis Dieu. CQFD. La transcendance des trois religions du Livre en prend pour son grade. Exit le monde du ciel dominant le commun des mortels. Comme l’univers est en moi et que je suis en lui, plus besoin d’intermédiaire pour lui adresser en direct mes requêtes. La formulation de la bonne nouvelle ? Si mes intentions sont pures, claires et alignées avec mon moi profond, il est censé répondre favorablement à mes requêtes.
Cet article est paru dans la revue 32 de L'ADN - Tous Chamanes, enquête sur les nouvelles spiritualités. Vous pouvez vous procurer ce numéro ici.
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