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Frédéric Bordage : « On se gave de numérique alors que dans trente ans, les ressources seront épuisées »

Pour Frédéric Bordage, auteur de Tendre vers la sobriété numérique paru le 13 octobre, chaque citoyen peut agir sur l'impact environnemental du numérique. Mauvaise nouvelle : ça urge. Bonne nouvelle : ça marche.

Pendant que les géants de la tech rêvent de métavers et de milliards d’utilisateurs en casques de réalité virtuelle, les ressources nécessaires au numérique s’amenuisent en silence. Elles pourraient même être épuisées dans une trentaine d’années si on continue à cette allure. C’est le cri d’alerte de Frédéric Bordage depuis une quinzaine d’années. Le fondateur du site d'informatique durable Green IT publie Tendre vers la sobriété numérique (Éditions Actes sud, octobre 2021), un mode d’emploi concis à destination du grand public. Il rappelle des messages utiles alors que les dirigeants du monde se réunissent à l'occasion de la COP26 pour tenter de freiner le dérèglement climatique.

Votre livre est un manuel de gestes du quotidien adressé au grand public. Ce sont vraiment ces petits gestes qui vont changer la donne ? 

Frédéric Bordage : Oui, l’enjeu de ce livre est de refocaliser l’attention sur les gestes essentiels. Ce sont les consommateurs du numérique qui ont les cartes en main. Il y a entre 35 et 45 milliards d’appareils numériques sur terre, les trois quarts sont entre les mains des utilisateurs. C’est une très bonne nouvelle parce que cela signifie que nous pouvons agir pour réduire notre empreinte environnementale. Il suffit d’éviter de se suréquiper et devenir les champions du réemploi. En France, on renouvelle son smartphone tous les deux ans en moyenne, voire tous les 18 mois à Paris. Alors qu’un smartphone peut être utilisé pendant au moins cinq ans. Et on est plus équipés que le reste de l'Europe en moyenne (ce sera l'objet d'une future étude de Green IT à paraître le 6 décembre, ndlr). On peut donc sans difficulté doubler la durée de vie de nos équipements numériques, donc quasiment diviser par deux notre empreinte… C’est énorme !  

Vous préconisez notamment de partager nos équipements – consoles de jeux, ordinateurs, tablettes – avec nos voisins… 

F. B. : Oui, il va falloir s’y mettre ! Il faut que l’on commence à percevoir le numérique comme un bien commun. Aujourd’hui, notre usage du numérique est très égoïste et cynique. On se gave de numérique, on profite d’une dernière nuit d’ivresse alors que nous avons seulement trente ans de numérique devant nous. On épuise les stocks de ressources – de métaux rares notamment. C’est grave ! Il y a urgence à économiser ces ressources pour en profiter plus longtemps, pas seulement pour nous mais pour les générations à venir. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’en continuant d’être des junkies du numérique, on handicape la capacité de nos enfants à eux aussi en profiter pour se soigner, modéliser le climat…  

On peut avoir l’impression de ne pas faire le poids face à des géants du numérique qui lancent des produits très régulièrement et qui rêvent de métavers… 

F. B. : C’est important de se mobiliser, car nous avons vraiment du poids. Rappelons deux grandes victoires des consommateurs sur les géants de la tech. Quand Microsoft a lancé Windows Vista, leurs clients n’en voulaient pas. Microsoft a dû allonger de deux ou trois ans le support technique de Windows XP. De son côté Apple a divisé par trois le prix de changement de la batterie suite aux poursuites judiciaires de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP) en France, et à d’autres organisations en Israël et aux États-Unis.

La loi peut aider les citoyens à réguler leurs usages. Que pensez-vous de celle votée le 2 novembre au Parlement, qui entend réduire l’impact du numérique sur l’environnement ? 

F. B. : Un effort a été fait pour réduire l’obsolescence programmée. Mais la loi passe à côté de l’enjeu du réemploi. Elle ne permet pas réellement de le doper. Pour encourager le réemploi, nous préconisons la mise en place de consignes pour collecter les équipements électroniques (les députés ont proposé d’introduire la mise en place d’opérations de collecte d’équipements numériques accompagnées d’une prime au retour dans la loi, ndlr). Il faut également jouer sur la confiance des consommateurs dans le reconditionné. Aujourd’hui, il y a une grande défiance des consommateurs car le marché n’est pas régulé, et donc certains acteurs ne sont pas des reconditionneurs professionnels. On recommande la mise en place de l’équivalent d’une carte grise, une sorte de passeport numérique d’un appareil électronique comme cela a été mis en place en Allemagne, et un contrôle technique obligatoire pour créer de la confiance. Tant que ça ne sera pas en place on aura du mal à aller vers le réemploi. 

De manière générale, même si le sujet de l’impact environnemental du numérique est plus bankable qu’il y a quelques années, il y a très peu de prise de conscience sur l’épuisement des ressources abiotiques – l’extraction des métaux et leur transformation en composants électroniques, dont l’impact est bien plus important que la consommation énergétique du numérique dont on parle beaucoup.

À lire : Tendre vers la sobriété numérique (Actes Sud, octobre 2021), Sobriété numérique – Les clés pour agir (La verte, 2019), étude de Green IT sur l'impact du numérique au bureau.

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

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