
Pierre angulaire de l’économie et de la représentation sociale, les entreprises ont aujourd’hui un rôle qui mute parallèlement aux enjeux sociaux et environnementaux. Pour Pascal Demurger, directeur général de la MAIF et auteur de L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus, soit l'entreprise devient politique... soit elle est condamnée à mourir. Entretien.
La loi PACTE prévoit la création d’un statut d’ « entreprise à mission » via lequel l’entreprise se donne officiellement une mission qui vise l’intérêt général. Vous êtes devenu la première entreprise à intégrer ce statut en France. Qu’est-ce que cela représente concrètement ?
Pascal Demurger : C’est un changement assez important. Aujourd’hui la MAIF a déjà un niveau d’engagement extrêmement élevé, parce qu’elle cherche à avoir un impact fort sur son environnement. Devenir entreprise à mission rend le mouvement irréversible, car on le proclame publiquement et très fortement, qu’il y a des engagements très précis d’impact sur le monde. Il n’y a pas donc de retour en arrière possible. Cela crante une stratégie de manière assez durable, l’entreprise est sur des rails. C’est un symbole relativement fort de notre volonté d’être très systématique dans cette recherche d’impact.
Pensez-vous qu’il est du rôle de l’entreprise de s’inscrire dans cette recherche d’impact ?
P. D. : Il y a une pression sociale qui s’exerce sur les entreprises pour qu’elles se comportent bien, qu’elles aient l'impact le plus positif ou le moins négatif possible sur le reste du monde. Progressivement, je pense que les entreprises devront faire attention dans leurs pratiques, changer leurs manières de faire, être plus vertueuses. Ce mouvement est général, avance de manière graduée avec des niveaux d’intensité différents, et va se généraliser à l’ensemble des entreprises. Il y a dans l’opinion publique un frémissement depuis la démission de Nicolas Hulot et la publication des derniers rapports du GIEC particulièrement préoccupants. D’ailleurs les dirigeants aujourd’hui ne parlent plus que de ces sujets.
Transparence et confiance, qu’est-ce que ces deux mots vous évoquent ?
P. D. : La transparence est extrêmement importante car elle est en quelque sorte le thermomètre de l’éthique. Elle permet de mesurer la réalité de l’engagement d’une entreprise. On peut faire énormément de communication mais ça ne durera qu’un temps. Seule la transparence permet de distinguer réellement les entreprises qui s’engagent, qui ont vraiment un impact. La transparence est la jauge qui permet de mesurer la réalité et la sincérité de l’engagement.
En évoquant la transparence on pense à certaines « affaires » et aussi à des lois, qui visent à moraliser la sphère publique. Est-ce plus facile pour les entreprises d’être transparentes, en comparaison à la force publique ?
P. D. : Ça dépend ce qu’elles ont à cacher ou pas ! La transparence et la confiance forment un couple compliqué. On nourrit la confiance de l’autre par sa propre transparence. Mais on voit bien que l’exigence de transparence est à l’opposé de la confiance. Donc l’exigence de transparence dans une société est le symptôme déjà relativement avancé d’une crise profonde de confiance. C’est parce que nous sommes dans une société de défiance qu’il existe un tel niveau d’exigence de transparence.
Vous partez dans votre livre du constat que l’État ne peut pas toujours agir seul. Quel est le rôle de l’entreprise vis-à-vis de cette situation ?
P. D. : Les États sont généralement en incapacité de prendre en charge la totalité des problèmes à surmonter. En parallèle nous assistons à l’ascension d’entreprises de plus en plus puissantes, possédant un chiffre d’affaires supérieur au PIB de pays de taille moyenne. Leur puissance et leur impact sont considérables. Mais si nous en sommes là aujourd’hui, c’est aussi à cause des entreprises. En parallèle de l’intervention de l’État il doit y avoir une intervention des entreprises. En freinant leur impact négatif elles peuvent avoir une réelle influence sur les problèmes sociaux et environnementaux. Les entreprises doivent s’engager aux côtés de l’État. Mais pour avoir un mouvement généralisé, il faut qu’elles aient intérêt à le faire. Et cet intérêt naît notamment de la pression sociale qui s’exerce sur elles.
Mais pour lancer un mouvement général, comme tout mouvement, les entreprises ont peut-être besoin de leadership ?
P. D. : D’une forme de leadership, ou d’un exemple. Idéalement pour montrer que l’on peut créer de la performance autour d’un engagement. Qu’il soit en interne en étant plus à l’écoute des préoccupations de ses collaborateurs ou en externe dans la manière dont on dirige l’entreprise. Est-ce que l’on se soucie de l’impact sur l’environnement, des conséquences sociales, de délocaliser pour exploiter la misère sociale de pays moins avancés, de sa propre pollution, et d’essayer de peser sur les sujets environnementaux ? Si l’on fait la démonstration que l’on peut créer un business model reposant sur la qualité de l’engagement de l’entreprise, alors cela devient généralisable. Mais encore faut-il que des pionniers s’engagent dans cette voie et en fassent la démonstration.
Vous avez devancé la mise en place du RGPD, imposé un écart maximum de salaire au sein de la MAIF… Vous précédez les lois. Pensez-vous que l’entreprise peut les devancer ?
P. D. : Tout dépend comment on les devance et pour faire quoi. Nous devons être à la pointe des bonnes pratiques, y compris en étant parfois en avance sur la réglementation qui imposera une norme à toutes les entreprises. Heureusement avant que la loi ne s’impose à tous, il y a quelques pionniers qui défrichent et montrent les effets positifs de ces initiatives. D’ailleurs, la loi ne vient jamais complètement de nulle part, elle est souvent là car il existe des illustrations de ces situations qui fonctionnent et sont généralisées par la loi d’une certaine manière.
L’anticipation fait que dès que la contrainte arrive, l’entreprise est beaucoup plus à l’aise.
L’entreprise politique doit-elle être radicale ?
P. D. : Elle peut être radicale si l’on démontre que l’engagement de l’entreprise nourrit aussi sa propre performance. Dans ce cas-là il faut être systématique, il faut aller très loin. Le plus loin possible. Il n’y a aucune raison de s’en priver. Si l’impact est positif sur le monde, s’il est bon pour l’entreprise, il faut tout faire pour continuer, approfondir et systématiser. De ce cas, oui, l’entreprise politique peut être radicale.
Nathalie Conné, responsable des activités risques et développement durable pour le secteur bancaire chez CGI :
« Les associations, les ONG et la jeunesse ont conscience d’une urgence climatique. Cela crée une pression forte sur les entreprises. Même s’il n’y a pas d’obligation en matière de transparence, celles-ci doivent apporter la preuve de la soutenabilité, c’est-à-dire de la durabilité de leur modèle. C’est la réputation des entreprises qui est en jeu.
Or, pas de modèle soutenable sans finance durable. Il est donc nécessaire de tendre vers une vision vertueuse, en faveur de plus de transparence, comme décrite par la norme ISO26000.
Une entreprise doit être engagée pour avoir un impact positif. Si une entreprise n’est pas engagée aujourd’hui, elle disparaîtra demain, faute de soutien, de réputation et de financements.
CGI l’a bien compris en créant une offre pour intégrer les enjeux des contraintes climatiques et en mesurer les impacts. »
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