
Vous pensiez que Facebook nous avait tout fait, que les médias en avaient tout dit ? Le Parlement britannique a mis en ligne le 5 décembre 2018 un recueil de mails internes. Ces documents révèlent la manière dont Mark Zuckerberg comptait exploiter les données de ses utilisateurs et traiter la concurrence.
Ce document de 250 pages permet d’avoir un aperçu sans précédent de la politique de données du réseau social et de comprendre comment un scandale comme celui de Cambridge Analytica a pu être possible.
Six points ont particulièrement été mis en avant par le Parlement britannique.
1 – La liste blanche
Facebook a mis en place une liste contenant certaines entreprises comme Badoo, Lyft, Netflix ou AirBnB. Ces dernières ont accès aux données concernant les amis Facebook de leurs utilisateurs - pratique qui n'est plus censée être effective depuis 2014 ou 2015... sauf pour quelques happy few.
2 – Vendre les données des utilisateurs
Facebook vendrait les données des utilisateurs à des applications tierces, contrairement aux déclarations de Mark Zuckerberg qui avait nié avoir cette intention. Le principe : mettre en relation les utilisateurs et leurs amis Facebook qui utiliseraient une même application. Dans un e-mail, le patron de Facebook détaille que le prix de ces données pourrait être fixé au pro-rata des gains des développeurs d'applications. Toutefois, Facebook nie catégoriquement avoir mis ces réflexions à exécution. « Les preuves sont scellées par un tribunal californien et nous ne pouvons pas réfuter toutes ces fausses accusations, a indiqué le directeur des plateformes et des programmes de développement de Facebook, Konstantinos Papamiltiadis. « Pour être clair, Facebook n'a jamais vendu les données de qui que ce soit. Nos API ont toujours été gratuites et nous n'avons jamais demandé aux développeurs de payer pour les utiliser, que ce soit directement ou en achetant de la publicité. »
3 – Accéder aux données d'autres applications
Pour le lancement de la version 3.0 de sa plateforme en 2014, Mark Zuckerberg a voulu instaurer un principe de réciprocité dans l’échange de données. Concrètement, si une application utilise l’API de Facebook, elle doit en échange donner un accès total de ses données utilisateurs au réseau social. Cet accord concerne les publics et préférences des mobinautes, mais pas leurs conversations privées.
4 – Surveillance des appels et messages des utilisateurs de smartphones Android
Une fois n’est pas coutume, le réseau social est retombé dans la surveillance de masse. Mark Zuckerberg a tenté de cacher le fait que le réseau a accès au journal d’appel et aux messages des utilisateurs de smartphones Android. Cette fonctionnalité permet à la plateforme de proposer des nouveaux contacts avec la fonctionnalité « Vous connaissez peut-être ».
5 – Surveillance des applications tierces sur les smartphones
Facebook a utilisé les outils d’analyse de la start-up israélienne Onavo pour surveiller les smartphones de leurs utilisateurs. Cette surveillance portait sur les différentes applications installées et la manière dont ces dernières étaient utilisées. L’objectif était de pouvoir repérer avant tout le monde les applications concurrentes ou susceptibles d’être achetées.
6 – Liste de rivaux stratégiques
Mark Zuckerberg n’a pas hésité à limiter ou révoquer les droits d’utilisation de son API à certaines entreprises. On peut notamment citer Twitter, Snapchat, YouTube ou Apple.
Des enjeux plus grands que Facebook
Pour Fabrice Epelboin, enseignant au Medialab de SciencesPo, ces révélations sur Facebook sont loin d’être une surprise. « C’est la preuve de ce que les gens comme moi racontent depuis des années sans vraiment être entendus, explique-t-il. On se rend enfin compte à quel point Facebook ponctionne nos données. Mais la question qu’il faut se poser derrière, c’est à qui cela profite-t-il. » Pour ce spécialiste des médias sociaux, cette collecte de données personnelles permet d'assurer une position économique dominante. Mais d’autres acteurs sont aussi intéressés par cet or numérique. « Les services de renseignements américains sont les premiers à se servir du réseau social comme d’une base de données, confie-t-il. Ce n’est pas pour rien que la CIA a financé Facebook par l’intermédiaire de son organisme In-Q-Tell. Il faut aussi faire entrer dans l’équation Peter Thiel, l’un des tout premiers investisseurs de Facebook et le mentor de Mark Zuckerberg. »
Peter Thiel, l'homme qui voulait abattre les démocraties
Cet homme d’affaires est notamment le fondateur de Palantir Technologies, une entreprise spécialisée dans la science des données. Elle est connue pour équiper la CIA, la NSA et le FBI. C’est aussi elle qui a travaillé avec Cambridge Analytica sur les données issues de Facebook. « Dans cette histoire, on peut se demander si Mark Zuckerberg est un idiot utile, poursuit Fabrice Epelboin. Ce n’est pas le genre de personne à vouloir façonner le monde. Mais on ne peut pas en dire autant de Peter Thiel qui se revendique comme un libertarien paternaliste. Cet homme a clairement pour objectif de disrupter massivement nos systèmes de gouvernance. Et sur ce point, Facebook est un outil tout à fait efficace. »
Les exemples sont en effet nombreux. On peut citer la révolution tunisienne qui s’est organisée sur Facebook, l’élection de Rodrigo Duterte, le Brexit, les évènements de la Catalogne ou bien encore la campagne de Jair Bolsonaro qui a profité de la diffusion de fake news sur WhatsApp (appartenant à Facebook). « Ces grands changements politiques sont rendus possibles par la plateforme. Avec les données récoltées, il est possible surveiller et influencer les populations mais aussi aider ces dernières à s’organiser pour prendre le pouvoir. C’est exactement ce qui se passe avec les gilets jaunes ».
Cet article a été mis à jour à 18h36
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