
Ils se croisent régulièrement à l’occasion d’événements autour de l’intrapreneuriat social et solidaire. Frédéric Bardeau, le fondateur de l’école Simplon et président du mouvement FEST (France Eco-Sociale Tech), et Sandrine Delage, BNP Paribas, instigatrice d’#EnjoyDigitAll et responsable du People’sLab4Good, se posent un instant pour échanger autour de ce qui les rassemble : la tech au service de l’intérêt général.
Pour vous, la technologie doit-elle être vue davantage comme un moyen ou comme une fin ?
SANDRINE DELAGE : Je suis informaticienne de formation avec une expérience d’une quinzaine d’années au sein de l’IT de BNP Paribas. Les réseaux sociaux m’ont fait prendre conscience du changement d’approche de la technologie : des outils aux usages, avec une vision sociétale. Je suis convaincue depuis que la technologie doit être mise au service de l’humain. La tech pour la tech, cela n’a pas de sens.
En 2015, ma fille de 18 ans m’a expliqué ses usages sur les réseaux sociaux auxquels j’étais totalement réfractaire. Cette approche inversée m’a fait découvrir un autre monde, avec ses propres codes et un état d'esprit totalement différent de ce que je connaissais. Ce que ma fille m’a appris, au-delà du fait que c’est finalement simple à prendre en main, est qu’il faut y aller en mode « tribu ». Il ne faut pas hésiter à se faire aider, à se faire accompagner, pour ne pas se sentir seul sur le chemin de l’apprentissage. Nous avons créé ensemble le blog Mère et Fille 2.0 pour partager notre chemin mutuel sur le digital. Pour le rendre accessible au plus grand nombre. C’est le sens de la démarche que j’ai ensuite transposée chez BNP Paribas, avec des ateliers Digital Lunchs où chacun venait avec son sandwich et son smartphone pour partager simplement ses usages. Une communauté #EnjoyDigitAll est née, qui est devenue ensuite un programme d’acculturation digitale .
FRÉDÉRIC BARDEAU : La première fois que je me suis connecté à Internet (le 03/09/97 à 8h du matin), je me suis dit : « ce truc est génial mais les gens vont s’en servir pour faire n’importe quoi ! ». Depuis, je me suis toujours efforcé de mettre le numérique au service des ONG, de l’activisme et des talents. Je ne suis moi-même ni technicien, ni ingénieur, ni développeur. Je suis autodidacte, mais surtout complètement fan du pouvoir qu’offre le numérique.
Je me suis par exemple beaucoup renseigné sur la démarche des Anonymous. Ce qui m’intéresse là-dedans, ce n’est pas tant la technique mais ce qu’ils ont réussi à faire avec très peu de moyens et beaucoup d’énergie (Les Anonymous peuvent-ils changer le monde ? avec Nicolas Danet, FYP éditions, 2011).
Les outils n’ont du sens que si on les rend aux gens. Personne ne s’émeut devant une ligne de code en JavaScript ! En revanche, voir ce que les personnes font avec, qu’elles prennent conscience de leur capacité de prendre en main et de faire bouger leur carrière et leur destin, c’est ça qui me fait me lever le matin.
Pourquoi est-il important d’inclure le plus grand nombre dans cette démarche ?
F.B. : Le plus dur est de convaincre des gens qui décrochent du système scolaire, des personnes en reconversion, des femmes, des réfugiés, que des carrières étonnantes s’offrent à eux, qu’ils sont faits pour le numérique, que ce n’est pas un truc réservé aux ingénieurs. Le principal écueil, c’est le syndrome de l’imposteur.
Il faut se mettre à leur place. Quand on vous l’a répété longtemps, vous finissez par vous persuader que vous ne valez rien et que vous n’avez pas de talent. Tandis qu’en face, les entreprises ne trouvent pas de profils de développeur, et perdent de ce fait des opportunités de business. Quel gâchis !
Alors en 2013, nous avons lancé Simplon à partir d’une idée toute simple. On n’apprend jamais aussi bien à coder que si l’on a une idée précise de ce que l’on veut réaliser.
Nos élèves développent donc leurs propres projets entrepreneuriaux. Quand on a un projet à impact et que l’on utilise les pouvoirs magiques du numérique pour le réaliser, il peut se passer des trucs géniaux.
C’est ce qui se vérifie chaque année avec nos élèves, qui comptent désormais dans leurs rangs des réfugiés grâce au soutien de BNP Paribas. La nouveauté cette année c’est notre programme d’accélération de projets Start & Scale, à destination des apprenants actuels et des anciens. Comme prévu, nous avons une quinzaine de projets qui sont remontés : c’est hyper surprenant et positif.
S.D. : La tech intéresse tout le monde parce qu’elle nous concerne tous. Les choix que l’on fait aujourd’hui engagent notre futur. Il faut remettre l’humain au centre, et réfléchir à l’impact que le numérique peut avoir sur la société.
#EnjoyDigitAll a finalement un rôle de médiateur. Dans le contenu que nous diffusons notamment via Twitter, nous avons une approche pédagogique avec des infographies visuelles et synthétiques. Mais surtout, nous tâchons de ne pas nous prendre au sérieux, pour désacraliser le sujet, le rendre accessible. C’est important, parce que notre programme n’a de sens que si tout le monde se l’approprie.
Du digital à l’impact positif, il n’y a qu’un pas. On retrouve les mêmes valeurs du collectif et de l’approche circulaire. Je suis devenue responsable du programme d’intrapreneuriat de l’engagement d’entreprise, le People’sLab4Good, qui accueille les collaborateurs qui veulent faire grandir une idée qui combine business et attentes de la société en un projet opérationnel.
Comment distille-t-on cet état d’esprit ? Qu’est-ce qui distingue un entrepreneur social d’un entrepreneur tout court ?
S.D. : Être utile donne un sens immédiat, crée l’engagement et l’envie d’e(i)ntreprendre. L’axe business, indispensable pour être durable et pérenne, peut être difficile à trouver pour les entre(intra)preneurs sociaux. Il faut inventer un modèle rentable sans perdre le sens de son engagement. Les entrepreneurs comme Frédéric Bardeau qui viennent témoigner au People’sLab4Good apportent des éclairages précieux. Chacun a sa propre méthode, sa propre histoire jalonnée de succès et d’échecs. Le People’sLab4Good devient un laboratoire exploratoire qui aide les intrapreneurs à aller plus vite dans l’expérimentation de leur propre business model. Et les aider à accepter l’imprévu dans l’organisation de leur projet.
Je crois au pouvoir de l’action, du « learning by doing ». En faisant, on apprend. On ne peut pas chercher à tout maîtriser, prévoir tout ce qui va se passer, anticiper les rencontres décisives que l’on va faire ou les orientations que l’on va prendre à l’avenir.
F. B. : Face à un projet d'Entrepreneuriat Social et Solidaire, mon premier instinct est de me demander : est-ce qu’il y a de l’impact, est-ce que ça fait partie de notre mission, est-ce que ça rentre dans le spectre ? Après on verra bien si on trouve de l’argent. Je dirais qu’en matière d’entrepreneuriat social, il faut bien sûr réfléchir à son marché, faire les choses dans l’ordre, ne pas se précipiter. Sauf que j’ai toujours fait le contraire. Il faut inviter les gens à la prudence, mais il ne faut pas que la prudence empêche d’aller au bout d’une idée.
Si l’on fait ce que l’on fait et comme on le fait, c’est parce que nous sommes dans une logique de combat. Dès que l’on a devant nous un obstacle, soit on se contente de râler, soit on essaie de le hacker. Et il y a toujours un moyen. Apprendre à apprendre, c’est la devise n°1. C’est vrai dans tous les métiers, mais particulièrement dans le numérique.
Je crois aux vertus de l’exemplarité par l’échec. Lorsque je suis invité à prendre la parole, je raconte sans filtre toutes les erreurs que j’ai faites. C’est une posture qui me semble plus utile.
Le risque lorsqu’on est entrepreneur social, c’est de toujours privilégier la mission d’impact social sur les autres aspects, qui sont pourtant fondamentaux. Heureusement que je ne décide pas tout seul chez Simplon, sinon on ferait déjà des ateliers dans les prisons, on serait présents dans vingt-cinq pays, ou alors on aurait déjà mis la clé sous la porte.
S.D. : Chez nous, c’est différent. Les intrapreneurs sont accompagnés par l’entreprise dans leur démarche. Cependant, ce n’est pas facile pour eux non plus. Ils ont aussi leur travail quotidien en parallèle, tout en cherchant des mentors et sponsors internes pour leur projet, devant qui ils pitchent constamment. Ce n’est pas une levée de fonds mais presque : ils doivent convaincre, présenter un business model fiable et pérenne. L’intrapreneur devient un ambassadeur de la méthode et contribue ainsi à faire évoluer l'état d'esprit de l’entreprise.
PARCOURS DE SANDRINE DELAGE
Head of Change Makers & Prospective chez BNP Paribas. De son expérience de 15 ans dans l’IT, elle a créé en intrapreneure le programme d’acculturation digitale #EnjoyDigitAll. Elle pilote aujourd'hui le People’sLab4Good, le programme d’intrapreneuriat de l’Engagement d’entreprise, et a initié le mouvement inter-entreprises #Intrapreneurs4Good.
PARCOURS DE FRÉDÉRIC BARDEAU
Cofondateur de l'école de Simplon et de l'agence Limite. Il est également membre du bureau du Mouves, le mouvement des entrepreneurs sociaux et président de FEST.
Cet article est paru initialement dans le hors-série "Business4Good" réalisé par L'ADN Studio en partenariat avec les #Intrapreneurs4Good de BNP Paribas. Retrouvez-les sur le compte Twitter @Intra4Good.
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