Main tenant smartphone avec TikTok

Comment TikTok devient une arme diplomatique

© Kon Karampelas via Unsplash

Le réseau social chinois est accusé par les États-Unis, l’Inde et l’Australie de collecter des données sur leurs citoyens (rien de très nouveau pour un réseau social) et de menacer leur souveraineté. L’interdire est devenu une arme diplomatique qu'agitent les gouvernements à tour de rôle.

En quelques jours TikTok, l'application du géant chinois ByteDance, est devenue l'ennemi numéro 1 de plusieurs gouvernements. Lundi 6 juillet 2020, Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain, a annoncé sur la chaîne conservatrice Fox News que les États-Unis envisageaient d’interdire plusieurs applications chinoises dont TikTok. « Les gens ne devraient pas télécharger TikTok à moins de vouloir que leurs informations privées “soient détenues par le Parti communiste chinois” », s’est-il alarmé.

Une mesure qui rappelle celle prise par l’Inde quelques jours plus tôt, le 29 juin. TikTok et 58 autres applications chinoises ont été bannies du pays. Rappelons que l’Inde est le plus gros marché de TikTok avec 191 millions de téléchargements en 2019 (contre 41 millions pour les États-Unis, son second marché).

Guerre d’influence

« Cette décision vise à assurer la sécurité du cyberespace indien », a indiqué le ministre des technologies de l’information. Ces applications « se livrent à des activités (…) portant préjudice à la souveraineté et à l’intégrité de l’Inde, à la défense de l’Inde, à la sécurité de l’État et à l’ordre public ».

L’interdiction survient deux semaines après des affrontements meurtriers entre des soldats indiens et chinois à la frontière himalayenne. Pour Christophe Jaffrelot, chercheur au CNRS interviewé par Brut, il y a aussi une guerre d’influence qui se joue. Pour l’Inde, cette interdiction est un moyen de signifier à la Chine que le pays souhaite s’échapper de son emprise, qui passe notamment par les modes de consommation virtuelle.

TikTok inquiète aussi l’Australie. Ces derniers jours, des personnalités politiques ont appelé à l’interdiction de l’application. Les mêmes arguments sont mis en avant : les données récoltées par l’application pourraient être utilisées pour espionner les Australiens.

C'est donc officiel : l’appli sur laquelle la génération Z enchaîne vidéos de lip sync, chorégraphies et autres blagues potaches est devenue une arme diplomatique. Ces appels au boycott et interdictions interviennent dans un climat géopolitique tendu avec la Chine, renforcé par la crise du coronavirus. Et le soft power des applications est un moyen de négociation comme un autre.

Ce n'est pas la première fois que TikTok est accusée d’être un cheval de Troie de Pékin. L’application est considérée comme une cybermenace par l’armée de terre américaine, qui interdit à ses militaires de l’utiliser depuis janvier 2020.

TikTok pire que Facebook en matière de récolte des données ?

Ces soupçons ont été récemment ravivés avec le rapport d’un utilisateur Reddit (baptisé Bangorlol) sur l’application. Bangorlol a mis en place des techniques de rétro-ingénierie pour comprendre le fonctionnement de TikTok.

Et ce qu’il a trouvé est assez alarmant à ses yeux. Il décrit l’application comme « néfaste » et « maléfique ». TikTok collecterait une multitude de données sur ses utilisateurs : identifiants, type de matériels, utilisation de la mémoire, applications installées, adresses IP, points d'accès Wi-Fi, pings GPS... D’ailleurs l’application admet qu’elle collecte une partie de ces données dans sa politique de confidentialité.

Bangorlol estime que les plateformes américaines Instagram, Facebook, Reddit et Twitter sont très loin de collecter autant de données que TikTok - c'est « comme comparer une tasse d'eau à un océan », estime-t-il.

Un autre incident a aussi fait scandale il y a quelques jours. Deux chercheurs en sécurité ont découvert que TikTok (comme une cinquantaine d’autres applications, par ailleurs) stockait les données du presse-papier d'Apple à l’insu de l’utilisateur.

TikTok récolte un maximum de données, mais rien ne permet aujourd'hui de prouver qu'elles sont transmises au gouvernement chinois. Le réseau social s’en est toujours défendu. « La plateforme est dirigée par un PDG américain, avec des centaines d'employés et de cadres (...) ici aux Etats-Unis, a encore déclaré un porte-parole du groupe à Bloomberg le 8 juillet. Nous n'avons jamais fourni de données sur les utilisateurs au gouvernement chinois et nous ne le ferions pas si cela nous était demandé ».

TikTok drague Washington à Hong Kong ?

L’application a par ailleurs décidé mardi 7 janvier de se retirer de Hong Kong suite à la nouvelle loi de sécurité nationale, qui prévoit notamment une plus grande censure du Web. La communication du réseau social restant très vague, il est difficile de connaître ses véritables intentions. « Suite aux récents événements, nous avons décidé d’arrêter l’activité de TikTok à Hong Kong », a simplement précisé un porte-parole. France24 interprète cette décision comme une protestation contre la loi et donc comme un moyen de rassurer Washington sur ses prétendus liens avec le gouvernement chinois. Car en toile de fond : ByteDance prévoit une introduction en bourse et perdre le marché américain pourrait s’avérer rédhibitoire pour de nombreux investisseurs.

Et pendant ce temps-là, en France, loin de toutes ces considérations économico-diplomatiques : Emmanuel Macron lance maladroitement son compte TikTok (à base de petit clin d'œil complice) et Jean-Luc Mélenchon lui répond…

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
Podacast : En immersion
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire