
Une étude de chercheurs italiens montre que les émojis « animaux et nature » sont loin de représenter l’étendue de la biodiversité.
On ne trouve ni champignon aquatique ni tardigrade parmi les émojis. D’ailleurs, savez-vous seulement à quoi ressemblent ces êtres vivants ? Il est probable que la réponse soit non. Et pour les scientifiques c’est un problème. Car les émojis sont un moyen de communication important alors que la biodiversité s’effondre. Plus d'un million d’espèces sont menacées d’extinction, selon de récentes estimations. Jennifer Anderson, microbiologiste suédoise, regrette auprès du Guardian, que son sujet de recherche, le champignon aquatique, n’a pas d’émoji. De manière générale, le peu de représentation de cet organisme, l’oblige à expliquer que oui, les champignons aquatiques existent, et à détailler à quoi ils ressemblent. Alors qu'une personne qui défend les baleines n’a pas ce problème.
Cette remarque a incité Stefano Mammola et Francesco Ficetola, deux chercheurs italiens, à mener une étude à ce sujet, raconte le média britannique. Ils ont publié leurs résultats lundi 11 décembre sur le site iScience, après avoir analysé les 214 émojis de la catégorie « Animaux et nature » dont 150 sont des organismes vivants. Leur objectif : se rendre compte à quel point ils étaient représentatifs de l’ensemble de la biodiversité, de l’« arbre de la vie ». La réponse : pas vraiment. Sans surprise, ils se sont rendu compte que les animaux, en particulier les mammifères, étaient plutôt bien représentés, mais qu’en revanche tous les micro-organismes, les plantes et les champignons l’étaient nettement moins. Plus précisément : on compte 92 animaux, 16 plantes, un champignon et un seul micro-organisme – qui serait d’après les scientifiques semblable à la bactérie E-coli. Bonne nouvelle toutefois : au fil des années, la diversité s’est malgré tout améliorée : le nombre de taxons (catégories d’espèces) a doublé depuis 2015.
Y’avait des gros crocodiles et des orangs-outans, mais pas de ver plat
Parmi la catégorie des animaux, la mieux fournie donc, on trouve par ailleurs de fortes inégalités. Le poussin a le droit à 3 représentations de sa personne : l’une en coquille, l’autre de face, la troisième de profil. Le chien n’a pas moins de 5 itérations (dont un caniche royal, pour info). Les vers plats, eux, dont on trouve pourtant 200 000 espèces dans la nature, n'ont absolument aucune place dans notre bibliothèque d’émojis. Et plus largement les arthropodes (insectes, araignées et crustacés) sont sous-représentés alors que l’on compte un million d’espèces de cette catégorie dans la nature. Contre 100 000 pour les vertébrés.
Rien de très nouveau sous le soleil – les humains ont tendance à davantage représenter les êtres vivants qui leur ressemblent ou qu’ils ont l’habitude de côtoyer, rappellent les scientifiques. Parmi les dix espèces les plus populaires sur Terre, on trouve le chien, 5 types de singes (le gorille, le bonobo, l’orang-outan…), et deux ours (brun et blanc) selon le classement de l’ONG OneZoom, qui se fonde sur les visites Wikipédia de chaque animal ainsi que la taille de leur page. Tous passent derrière l’homo sapiens, évidemment.
Si les scientifiques s’acharnent à vouloir représenter visuellement des espèces méconnues, c’est que selon eux, il y a un réel impact sur la manière dont on protège la biodiversité. Coïncidence ou non : les champignons aquatiques cités plus haut font partie des espèces les moins bien protégées.
« Si la crise de la biodiversité peut sembler éloignée de notre vie en ligne, dans notre société de plus en plus numérisée, nous ne devrions pas sous-estimer le potentiel des émojis pour sensibiliser à la diversité de la vie sur Terre et l'apprécier », expliquent les chercheurs. Interrogé par The Guardian, Stefano Mammola estime qu’ajouter 20 à 30 émojis ne coûterait pas grand-chose, mais pourrait peser beaucoup dans la manière dont on communique sur ce sujet.
La raclette et les protéines, non plus
Faire la demande d’un nouvel émoji n’est pas une mince affaire. En 2019, des journalistes du Monde racontaient comment ils avaient tenté, puis finalement échoué, d’ajouter l’émoji raclette (dont l’importance pour la diversité est certes moindre). Ils se sont alors confrontés aux diverses consignes du consortium Unicode constitué notamment d’Apple et de Facebook, qui a la main sur ces ajouts. Ils expliquaient notamment qu’Unicode ne considérait pas comme valide le fait de « simplement » défendre une cause. « Ne justifiez pas l’ajout d’un émoji car il soutient une “cause”, quelle que soit sa légitimité. (…) Une proposition peut être acceptée “malgré” un argument de ce type – si d’autres facteurs sont convaincants – mais pas “grâce” à cela. » En mars 2022, Andrew White, un chimiste américain, avait fait la demande de l’ajout d’un émoji protéine, considérant que son importance en science était au moins comparable à celle de l’ADN (qui a le sien). La demande a finalement été rejetée. Entre-temps, les émojis peigne et cœur bleu clair ont, eux, fait leur entrée.
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