
Autrefois limités à des blagues entre cryptobros, les « meme coins » envahissent la sphère politique américaine. Valorisées à plus de 1 milliard de dollars, elles pourraient jouer un rôle inattendu dans la campagne présidentielle.
Connaissez-vous les meme coins, ces cryptomonnaies basées sur des mèmes Internet ? La plus emblématique d’entre elles reste le Dogecoin. Cette pièce à tête de chien fut la première à devenir virale. Plus récemment, c’est Pepe la grenouille, le mème Internet érigé en mascotte de la droite radicale, qui a connu un succès phénoménal dans sa version crypto. Son prix avait été multiplié par 200 en l’espace d’un an.
À la faveur de la campagne américaine, de nouveaux meme coins apparaissent et deviennent un moyen d’afficher ses opinions politiques.
Le mariage inattendu entre mème, cryptomonnaie et politique
Les trumpistes convaincus pourront acheter du MAGA (pour Make America Great Again) à environ 12 $ pièce. En plus d’afficher leur soutien à Donald, ils peuvent espérer s’enrichir et – plus probablement – tout perdre. Car ces nouvelles monnaies virtuelles décuplent les risques bien connus de ce marché : une instabilité extrême et de nombreuses arnaques. À côté, le Bitcoin et l’Ethereum font office de cryptomonnaies de « boomers ».
Le « Jeo Boden » (BODEN) tourne en ridicule l’actuel locataire de la Maison Blanche. Dans le camp adverse, même principe avec le Doland Tremp (TREMP), qui peut s’acheter pour 1 $ tout rond. Mais derrière la blague, difficile de ne pas déceler un phénomène éminemment politique, à mi-chemin entre la satire et la propagande. Le problème étant qu’il est impossible de savoir qui est à l’origine de ces mèmes d’un genre nouveau.
Car ces « shitcoins » politiques sont très faciles à créer. Ils peuvent être lancés par à peu près n’importe qui, sans frais. De plus en plus populaires, ils sont la dernière trouvaille des Degens, des traders à haut risque qui font des millions à partir de rien.
Électeurs spéculateurs : comment se faire un petit billet sur le dos de la démocratie
Ces caricatures d’un nouveau genre fédèrent des communautés de dizaines de milliers d’électeurs spéculateurs. Elles sont particulièrement populaires sur X, où certaines comme le PEOPLE de ConsitutionDAO atteignent les 75 000 abonnés.
Pour Andrew Kang, qui dirige un fonds d’investissement spécialisé, il faut prendre le phénomène de ces cryptomonnaies au sérieux : « Les meme coins reposent sur l'économie de l'attention, et Trump est probablement le meilleur capteur d'attention au monde ». Selon lui, les meme coins politiques ont un immense potentiel. Andrew fait un calcul simple : « Les primaires américaines viennent de commencer, et vous avez maintenant une élection d'État toutes les deux semaines jusqu'à l'été, ce qui fait qu'il [Donald Trump, ndlr] est constamment dans le cycle de l'information ».
Des « blagues » à 1 milliard de dollars : bienvenue dans l’ère de la PoliFi
Pour preuve, les sites spécialisés comme CoinGecko arborent à présent une nouvelle catégorie : la « PoliFi », pour Political Finance Tokens. On les retrouve aux côtés de projets de blockchains réputés et audités. Si ce « secteur » pouvait faire sourire, il a pris une ampleur vertigineuse. La folie des jetons PoliFi pèse aujourd’hui 1,5 milliard de dollars et est mise en avant auprès du grand public, avec la bénédiction des géants de l’industrie. Binance, la plus grosse plateforme d’échange de cryptomonnaie, a ainsi listé le PEOPLE, du projet ConstitutionDAO. Tout comme Kraken, qui a ajouté plusieurs jetons similaires à son offre.
En France, le phénomène n’a connu qu’une seule tentative. En 2022, des partisans d’Eric Zemmour avaient créé le « zCoin ». Sans grand succès, les créateurs s’étaient volatilisés emportant avec eux l’argent des investisseurs. Deux ans plus tard, les cryptomèmes ont encore mûri aux États-Unis, et c’est le camp républicain qui garde une longueur d’avance.
L’électorat pro cryptos veut peser sur le scrutin des élections américaines
Car le premier à s’en être saisi, c’est le clan Donald Trump. Et pour les élections 2024, il compte bien exploiter à fond le filon. Malgré ses récents déboires, il multiplie les prises de position qui excitent la créativité des memers. « Je mettrai un terme à la croisade de Joe Biden contre les cryptomonnaies », avait-il lancé lors d’un meeting à Washington. Trump possède lui-même 500 000 jetons MAGA offerts par les créateurs du mème, afin d’en faire la promotion. Un geste qui l’a sans doute inspiré : devant les patrons de la Silicon Valley, il s’est autoproclamé « crypto president ».
De leur côté, les démocrates sont plus frileux à l’égard des cryptomonnaies. Ils doivent pourtant s’y pencher à contrecœur. Et pour cause : 20 % des électeurs des « swing states » seraient pro cryptos, selon une étude commandée par Coinbase. Ces États indécis, mais cruciaux, peuvent faire basculer l’élection. C’est pourquoi Joe Biden devra sans doute apprivoiser la PoliFi pour rester dans la course, tout en évitant de tomber dans le ridicule. Le Parti démocrate se met en tout cas à recruter des meme pages manager. Un signe supplémentaire ?
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