
Bryan Johnson est-il tout simplement le meilleur influenceur bien-être de la tech ? En quelques mois, ce millionnaire américain un peu zinzin a rassemblé autour de lui une communauté de milliers d'adeptes.
Vous avez sans doute déjà croisé la mine un peu pâlotte et le corps musculeux de Bryan Johnson. Ce serial entrepreneur de 46 ans s’est mis en tête de rajeunir au prix d’un rythme de vie draconien et de diverses expérimentations sur son propre corps. Son jusqu’au-boutisme et la mise en scène qu’il en fait sur les réseaux sociaux lui ont valu de nombreux articles, interviews chez des podcasteurs et reportages TV, du New York Times à TF1. Il n’est pas le premier tech bro de la Silicon Valley à avoir cette ambition. Mais il est certainement le seul ayant fait de celle-ci le principal objectif de son existence. Car Bryan se considère comme un explorateur du futur. C’est ce qu’il explique dans son livre autopublié (une improbable retranscription d’un dialogue entre ses voix intérieures) tout simplement appelé Don’t Die, ne mourez pas, donc.
Grâce au crop top de Bryan, on parle santé
Cette personnalité extrême n’intéresse pas seulement les médias. Depuis quelques mois, des communautés se forment autour de Bryan Johnson et de son programme de rajeunissement qu’il a baptisé BluePrint. Aux États-Unis, comme en Europe, ils sont quelques milliers à suivre plus ou moins rigoureusement ses conseils. Sur Reddit, ils sont par exemple 9 000 à avoir rejoint r/Blueprint. « On pourrait nous considérer comme des fans, je dirais plus qu’on est hyperintéressés par ce que fait Bryan, plus que par sa personne. Il a une personnalité excentrique, qui peut choquer, parce qu’il mesure tout de façon millimétrée, il pose en crop top, se fait transfuser le sang de son fils… Et c’est bien, parce que tout le monde parle du coup des sujets qu’il porte : la santé et la longévité », explique Maxime Berthelot, VP growth pour une startup.
À 40 ans, il a déjà consulté des médecins nutritionnistes, testé divers régimes à la mode dont le “keto” et le jeûne intermittent. « J’étais souvent frustré par les échanges que j’avais avec les médecins, parce que je n’adhère pas à ce principe du One Size Fits all (à traduire par : une approche taille unique). Je ne comprenais pas pourquoi on me prescrivait des régimes ou des traitements sans avoir d’informations sur mon métabolisme, sans mesurer mon taux d’hormones par exemple. » En janvier 2023, il décide de tenter “BluePrint” après avoir écouté un podcast avec Bryan Johnson. « Ce qui m’a plu ce n’est pas les excès de sa personnalité, c’est son approche data-driven et scientifique. Il teste chaque produit et mesure les résultats. Mais aussi le fait qu’il partage gratuitement toutes ses informations en open source, alors qu’il n’est pas rare de voir des nutritionnistes facturer 100 ou 200 d’euros par mois. »
Blueprint consiste en un régime alimentaire assez strict – principalement des légumes et des oléagineux – beaucoup de compléments alimentaires, quelques médicaments, de l’exercice et un suivi rigoureux de biomarqueurs. Bryan Johnson y ajoute toutes sortes de thérapies expérimentales et autre monitoring très précis de ses érections nocturnes (il dépense 2 millions de dollars annuellement), que peu de membres de sa communauté peuvent évidemment s’offrir.
Maxime, lui, se concentre principalement sur le suivi de certaines métriques et surtout sur le régime alimentaire. « 80 % de mes repas sont compatibles avec le programme », dit-il. Cela signifie que comme Bryan, il mange principalement deux plats : le Super Veggie (un mélange de légumes verts et de lentilles) et le Nutty Pudding (un mélange de fruits et de noix). Le troisième repas de la journée est plus libre mais ne doit pas dépasser un certain nombre de calories. Par ailleurs, il tient à préciser que son alimentation est adaptée à son style de vie. « Il m’arrive de faire des écarts, je ne mange pas non plus les exacts mêmes légumes, je ne prends pas tous les compléments alimentaires et médicaments que Bryan prend. J’adapte selon mes propres besoins, et aussi la saisonnalité des légumes en France, par exemple. D’une certaine manière j’ai “forké” le Blueprint pour me l’approprier. »
Son objectif est plus modeste que celui du millionnaire : « vivre le plus tard possible en bonne santé » et éviter donc certaines maladies souvent liées au vieillissement – les cancers, les AVC et le diabète notamment.
Un protocole jugé non scientifique par les médecins
Il est plutôt très satisfait des résultats. « J’ai perdu 12 kilos depuis janvier, je dors bien mieux, j’ai gagné 20 % sur mes sleep performances (performances de sommeil) selon Whoop (un bracelet connecté). Le sommeil a pourtant toujours été un problème pour moi. Comme je dors mieux, forcément cela a un impact positif sur mes journées, sur ma récupération sportive.» Son enthousiasme a déteint sur son jeune collègue Max Guérois, 27 ans. Lui s’est mis à la méthode Blueprint en juin dernier et est fan des recettes. « Tout le monde les adore, précise-t-il. Le Nutty Pudding est juste incroyable. Mais c’est aussi que cela me retire une charge mentale énorme – celle de penser à quel repas préparer. Et j’ai commencé à voir des résultats rapidement : perte de poids, de masse graisseuse… »
Certains médecins ont toutefois des doutes sur la méthode prétendument scientifique de Bryan Johnson. Dans Time, Dr Nir Barzilai, directeur de l'Institut de recherche sur le vieillissement à l'Albert Einstein College of Medicine de New York, s'interroge. « Ce qu'il fait n'est forcément sûr, car certains des traitements qu'il prend sont en fait antagonistes », dit-il, ajoutant que les médecins étudient normalement les effets d'un médicament à la fois, plutôt que les effets cumulés de plus de 100 pilules prises en parallèle. « Même si cela fonctionne pour lui, comment savoir si cela fonctionne pour vous ? explique-t-il. Blueprint, ajoute-t-il, « n'est pas une protocole que nous acceptons en tant que scientifiques ou médecins.»
Zero Club
Mais cela n'empêche pas les férus de longévité de tenter le coup. En septembre, Bryan Johnson a invité ses followers sur X à la création de communautés locales pour s’entraider à suivre le programme. Max et Maxime se sont donc sentis légitimes et ont crée le “Zero Club”, qui très vite s'est ouvert à d’autres pays européens. Ils sont aujourd’hui 300 à échanger sur Circle et WhatsApp, pour se donner des conseils, partager des ressources autour du BluePrint, et plus largement parler de longévité, santé et nutrition. « On l’a fait aussi pour rencontrer des gens. La bonne surprise c’était de découvrir qu’il y avait plein de gens que ça intéressait, qui intégrait le protocole, que l’on n’était pas seuls », précise Maxime Berthelot.
Sur leurs espaces de parole en ligne, on voit de nombreux profils d’entrepreneurs, de travailleurs de la tech, de traders. Un attrait qui s’explique par le profil de Bryan (avant d’être le cobaye de son propre programme, il a fondé l’entreprise de paiement Braintree puis Kernel). Mais aussi car son approche centrée autour de la donnée raisonne avec des profils qui travaillent avec les chiffres et sont familiarisés avec l’approche test and learn, estime Max Guérois. Une grande majorité est représentée par des hommes assez jeunes, même si les deux cofondateurs avancent que des femmes ont également rejoint la communauté. Elles devraient être plus nombreuses car depuis peu, Kate Tolo, l’associée de Bryan Johnson, suit le programme BluePrint, avec quelques adaptations spécifiquement faites pour les femmes. Toutes ses mesures et l’évolution du “rajeunissement” de “BluePrint XX” (c’est le surnom de Kate, donc) sont suivies de près et devraient être diffusés d’ici quelques mois.
Les membres du Zero Club revendiquent généralement une appétence pour le biohack, la longévité et la nutrition. On peut lire des commentaires un peu déroutants type : « Je crois en un futur où tout le monde pourrait choisir son espérance de vie. » Mais rien d’aussi extrême que les mantras de Bryan qui, rappelons-le, entend contrôler les besoins de son corps grâce à un algorithme.
Le Uber du Nutty Pudding
Les échanges sont d’ailleurs plus pratiques que philosophiques. Les gens sont surtout contents de partager leur journey (aventure, Ndlr), d’expliquer en détail comment ils appliquent le BluePrint. Car l’un des gros sujets pour la communauté est le sourcing des ingrédients et compléments alimentaires.
« On ne trouve pas toutes les marques citées par Bryan Johnson en Europe, donc nous faisons des recherches pour trouver des équivalents français », expose Max Guerois. Les deux amis sont même allés plus loin. Ils ont procédé à des achats groupés d’ingrédients sourcés en Europe pour proposer une trentaine de kits de préparation du Green Giant (une concoction de Bryan mélangeant chou-fleur, algues, du chocolat très concentré en flavanol, collagène et une dizaine d’autres ingrédients).
Et certaines communautés ont même fait de la préparation de repas un business model. Dans quelques villes, on trouve des services de livraison spécial BluePrint, assez confidentiels pour le moment. À San Francisco, Jeff Tang, l’un des fervents followers de Bryan Johnson s’est lancé dans ce business. En novembre dernier, il se félicitait d’avoir livré 70 repas BluePrint à San Francisco lors d’un évènement organisé par une startup de la tech. À Lisbonne, Londres et Berlin, des services existent également. Paris devrait suivre prochainement.
Outre la préparation de repas, les fans de Bryan sont aussi en recherche d’information pour se faire “tester”, c’est-à-dire contrôler certains marqueurs via des analyses de sang, d’urine et autres. Au total, Bryan Johnson vérifie 52 indicateurs dont les classiques cholestérol, triglycéride, mais aussi des mesures normalement réservées à certaines pathologies ou dépistages spécifiques comme les réticulocytes (généralement pour détecter une anémie), la cystacine C (qui permet de détecter certaines maladies du foie) ou le taux de testostérone. « En France ce n’est pas évident d’obtenir ses analyses, car il s’agit de médecine préventive, or peu de médecins la pratiquent, ils ne vont pas vous prescrire des analyses si vous n’êtes pas malade », précise Maxime Berthelot. Sur Zero Club, on trouve donc une liste de “longevity-pilled doctors”, des docteurs européens familiarisés avec le concept de longévité, qui sont d’accord pour prescrire des analyses assez poussées à des patients sans pathologie spécifique.
Oubliez les tests ADN, voici les tests de longévité
L’autre solution est de se tourner vers des startup qui développent des autotests comme BioStarks et TruDiagnostic, qui proposent respectivement un test de longévité en mesurant différents marqueurs et un test calculant votre âge biologique. Un peu comme pour les tests génétiques grand public, où les utilisateurs transmettent un échantillon de salive, ici ils doivent prélever une goutte de sang à envoyer à l’entreprise qui se charge ensuite d’analyser les résultats et de proposer des recommandations. Zero Club fait la liste de ce type de sociétés sur son site, et offre des codes promos pour certains services.
Malgré le recours à ces technologies, et aux ajustements qu’ils font à leur rythme de vie, Maxime et Max ne se sentent pas particulièrement appartenir au transhumanisme. Ils reconnaissent tout de même qu’il y a une philosophie de vie derrière le BluePrint. Pour eux toutefois, il s’agit surtout de se « sentir bien dans leurs corps ». Pour Bryan Johnson, l’enjeu semble bien plus énorme. « Blueprint n’est pas une simple révolution de la santé, ni même une révolution scientifique, c’est une révolution de la pensée », écrit-il dans Don’t Die. Pas sûr que de manger des Nutty Puddings et des brocolis 7 jours sur 7 vous persuade de changer le monde, mais pourquoi pas. Entre-temps, c’est toute une industrie de la longévité qui fleurit.
merci pour cet article. Encore une info très édifiante sur ce que l'humain a de pathétique et de paradoxal. Après, on s'étonne encore de l'état de délabrement et d'étiolement du monde. La seule chose intéressante que je retiens de cet individu, c'est qu'il y a une vague idée de prévention derrière ses idées coincées dans la recette unique du petit dej. Il serait temps que dans le domaine du mieux être on commence à penser un peu.
C'est ballot, parce qu'il va mourir comme tout le monde. Sur son régime alimentaire rien à ajouter c'est son problème mais présenter comme futuriste ses solutions hyper technologiques c'est n'avoir aucune idée de ce à quoi ressemblera le monde futur (Futur proche d'ailleurs), ce type de comportement -appropriation de ressources précieuses car en rapide déclin-, en tout cas c'est un futur dans lequel ses lubies n'auront plus leur place. Je me dois malgré tout de préciser que travaillant dans l'informatique, je ne suis pas anti-tech primaire.
Mais qu'on donne du crédit à un tel prédateur, que ce soit ce type d'ailleurs ou un Elon Musk, me conforte dans ce que je pense de l'évolution actuelle des mentalités : Jamais l'homme n'aura été autant insouciant de ses semblables et du monde qui l'entoure, malgré la relative prise de conscience de son empreinte délétère sur le monde réel.
Allant à contrecourant des rabat-joie classiques qu'on lit dans les commentaires comme les deux du dessus, qui ne savent que critiquer bêtement, je trouve cette démarche très intéressante, voire même fascinante. Bryan Johnson le dit lui-même, il n'était pas heureux et il a trouvé sa voie. Il est heureux de faire ça, ça a une utilité certaine car cela inspire bon nombre de personnes et les données recueillies ont certainement un intérêt scientifique, je ne peux pas juger sur ce point-là. Déjà cette alimentation totalement veggie si elle inspire du monde ne peut qu'être bénéfique pour la planète puisque la consommation de viande est responsable pour 18% (il me semble) des émissions de CO2. Je ne vois pas ce qu'il y a à reprocher à cet homme, on veut tous rester jeunes et en bonne santé, bon lui il y a mis le paquet c'est clair, mais après tout, pourquoi pas, ça me donne déjà envie de manger moins et mieux et de continuer le sport. Bravo!
Je ne réponds généralement pas aux commentaires tellement le niveau moyen est bas, l'anti-tout primaire et avec un niveau de réflexion qui peine à dépasser celui du caniveau. Pourtant, au milieu de toute cette bêtise, ton commentaire m'est apparu tel une étoile dans la nuit 🙂 Trêve de plaisanterie, je plussoie tout ce que tu dis.
Je suis un humain pas mal "testé" également (mais beaucoup moins que Bryan of course) depuis quelques années, à cause d'une maladie auto-immune, et j'ai démarré il y a quelques jours maintenant la stack Blueprint entre autres. Je trouve particulièrement intéressante son approche et je ne comprends pas toute la haine qu'il semble inspirer.
Il partage les résultats de ses expériences avec nous, gratuitement. Il nous faut plus de gens comme lui, pas moins ! Merci encore pour ce commentaire Sébastien, qui m'a incité exceptionnellement à commenter ici à mon tour.
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Christophe Casalegno
https://www.christophe-casalegno.com