Des affiches de film d'horreur

Zepotha : le film d'horreur des années 80 qui n'existe pas mais dont les internautes raffolent

Vous reprendrez bien un peu de tronçonneuse, d'hémoglobine et de TikTok ?

Du sang qui dégouline, des jupes courtes à carreaux, des gobelets rouges et des tronçonneuses sur fond d'arcades et de couleurs néons... L’œil averti reconnaîtra l’affiliation à Carrie, Halloween, Riverdale, Jennifer's Body, Buffy contre les vampires, Stranger Things ou encore Twin Peaks. Tous les grands noms des films d'horreur, séries B et autres séries pour ados se déroulant dans un lycée délicieusement pittoresque irriguent les représentations du film Zepotha. Et pour cause : Zepotha n'existe pas. Les internautes ont donc puisé librement dans les références incontournables pour tout millennial qui se respecte afin de créer le lore du long-métrage fictif ambiance slasher retro.

Zepotha, la fan fiction d'une fausse fiction

En août 2023, la chanteuse américaine Emily Jeffri propose sur TikTok : « Et si on créait un faux film des années 80 appelé Zepotha et qu'on commençait à commenter "wow tu ressembles TROP à cette fille de Zepotha" ou "attends ! tu ressembles vraiment à --- de Zepotha" sous chaque vidéo thirst trap que vous voyez ; ensemble, nous allons voir tout un nouveau monde se développer, des personnages principaux vont émerger, etc. Nous pouvons convaincre des milliers de gens que ce film d'horreur des années 80 au titre chelou existe. » En légende de la vidéo, une consigne relative au morceau « Do you remember me » qu'elle utilise en bande-son : « Je propose que cette chanson devienne la chanson du générique, elle a vraiment une atmosphère Zepotha, je trouve. » En arrière-plan de la proposition de l'artiste : la promotion de son premier album, intitulé Soundtrack for an 80’s horror movie (bande-son pour un film d'horreur des années 80).

Les internautes ne se sont pas fait prier. Les à-côtés du film supposément tourné en 1987 se propagent en ligne à la vitesse d'une pom-pom girl dérapant entre les arbres pour échapper à un tueur fou. Sur TikTok, près de 14 000 publications sont rattachées au #zepotha. L'univers du faux film comporte aussi désormais des affiches aux accents violacés et anthracite, le descriptif de personnages (Alaine, Maxine, Sophie et Rita...) et de leurs tenues, un filtre permettant de savoir quel personnage les internautes seraient susceptibles d’incarner, de fausses bandes-annonces, et bien sûr, des courts-métrages plus ou moins ironiques. Certains jouent même la carte méta jusqu'au bout, proposant une production où des lycéens très archétypaux tournent en forêt un film d'horreur baptisé Zepotha. Une production pléthorique qui donne lieu à toute une mythologie qui marque l'apothéose de la fanfiction.

« L’engouement culturel sous-jacent pour l’horreur est éminent. Tous les acteurs de la série télé Euphoria sont en train de jouer dans des films d’horreurs. C’est un registre et des territoires qui attirent. Ils nous permettent de reformuler sans doute aussi notre réalité ou du moins, de peut-être mieux composer avec en revisitant des classiques et en mêlant les différentes esthétiques de l’horreur. L’horreur est sans doute l’un des espaces les plus cathartiques dans notre contexte socio-économique et géopolitique », explique Adrien Cadiot, conseiller en anticipation des tendances socioculturelles. « La crise de confiance participe à (ré)former le réel et acclimate les individus à se tourner vers des micro-communautés pour retrouver un sens de l'organisation, de l'appartenance et d’un hédonisme partagé. Avec Internet, on dispose de nouveaux outils de création et de diffusion de la création vers des communautés niches et diversifiées. On pourrait presque parler d'une décentralisation des passions culturelles. »

De nouveaux contes et fables

Le phénomène n'est pas nouveau. On se souvient de Goncharov, « le plus grand film mafieux jamais réalisé », soi-disant signé par Martin Scorsese en 1973. À l'origine du faux film, un mème né sur Tumblr à partir de la photo d'une paire de bottes conçue pour la sortie américaine du film italien Gomorra de 2009. De là sont nées d'élogieuses critiques partagées sur Twitter, des affiches vintage, et des montages de photos d'acteurs célèbres censés avoir tourné dans le film. Plus récemment, le procédé a aussi été utilisé à des fins commerciales par la marque Nike. En juillet 2023, l'enseigne a collaboré avec la designeuse américaine Yoon Ahn dans le cadre d'une fausse bande-annonce de film mettant en scène l'influenceuse Gabriette Bechtel. Savant mélange de gothique et de mode punk, la vidéo propose une version réactualisée du film de 1996 The Craft relatant la rencontre d'une nouvelle élève avec un groupe de sorcières. La formule fonctionne bien. En moins de trois jours, les vidéos diffusées sur les réseaux dépassent les 250 000 vues sur TikTok. « La publicité Nike Sport reprend les codes des bandes-annonces cinéma pour mettre en scène leur produit dans un récit bien connu de la cible choisie par la marque. Le cinéma et la culture de certaines sociétés de productions comme A24 est en train de devenir un terrain d’inspiration stratégique pour la communication des marques : on doit créer un scenario et des teasers qui capitalisent non pas sur le produit, mais sur l’aspiration derrière ce dernier », souligne Adrien Cadiot.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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