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Tendance non-sco : ils ne mettent plus leurs enfants à l'école

Ils ne leur imposent pas de suivre le programme. Acceptent qu’ils apprennent à leur rythme - ce qu’ils aiment, comme ils aiment, quand ils aiment - et ça marche ! Bienvenue dans l'étrange tribu des non-sco...

L’idée n’est pas nouvelle.

Homeschooler, Jean d’Ormesson l’a été avant que le mot existe. Il a été instruit par sa mère qui lui a appris le latin, le grec, les mathématiques qu’elle ne maîtrisait pas, à sa manière à elle, et à son goût à lui. Naomi Aldort, auteure américaine spécialisée sur les questions d’éducation, le revendique : « La plus grande partie de l’histoire de l’humanité s’est construite en dehors de l’école. Mozart n’y est jamais allé ! »

Certes, l’argument porte. On peut évidemment le retoquer : tout le monde n’a pas un papa maître de concert du prince-archevêque de Salzbourg, quant à l’école obligatoire, elle a sans doute fait grimper le niveau du savoir partagé.

 

Naomi Aldort ne le discute pas mais elle a décidé que ses trois fils seraient instruits en dehors du système. L’aîné s’est attaqué seul aux programmes dès qu’il a voulu entrer à l’université. Quant à ses fils cadets, ils ont toujours aimé la musique : l’un est compositeur – à 18 ans, il avait écrit sa première symphonie – l’autre chef d’orchestre. Ils ont choisi. Son mari le reconnaît. Faire confiance aux capacités de ses fils à se construire librement, en dehors du parcours balisé de l’école, a été douloureux. Un choix qui l’a obligé à dompter ses propres angoisses.

Libres enfants des non-sco

Dans une ludothèque du Marais, quelques-uns de ces irréductibles non-sco se retrouvent régulièrement. En plein milieu de la journée, on les trouve attablés, des plus jeunes aux plus grands. Ensemble, ils jouent. Ce jour-là, il a beaucoup neigé à Paris.

À l’intérieur, l’atmosphère est simplement calme, joyeuse comme un jour de vacances. Leurs mères – Claudia, Annabelle, Julie, Sophie –  se connaissent depuis longtemps. La première a fondé l’association, les autres comptent parmi ses premiers membres. Au départ, L’école Delavie réunissait en l’Ile-de-France à peine une trentaine de familles. Dix ans plus tard, elle en compte 1 300, et Claudia reçoit plusieurs demandes de renseignements par semaine.

L’école… c’est pas obligatoire ?

À les voir tous si détendus, un mardi, à l’heure où les enfants sont censés être studieusement assis sur les bancs de l’école…, on se pose (un peu nerveusement) la question. Est-ce que l’on a le droit de faire ça ?

Le homeschooling reste une pratique minoritaire. En France, elle ne concerne que 0,3 % des 6-16 ans, aux États-Unis, environ 4 %. Mais des deux côtés de l’Atlantique, la pratique est parfaitement légale. La chose est même gravée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 – « Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. »  –, elle est confirmée dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1952, et réaffirmée encore dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2002.

Point à la ligne : l’école…, c’est pas obligatoire. C’est l’instruction qui l’est.

Toutefois, en France, l’Éducation nationale ne lâche pas complètement l’affaire. Chaque année, elle vient rendre visite aux familles et les contrôler, histoire de valider que les enfants ne sont ni en souffrance, ni privés d’enseignements. Les inspecteurs sont plus ou moins souples sur la question. Quand il s’agit d’apprentissage autonome, il faut reconnaître que cela demande aux deux parties de mettre un peu d’huile. Quand junior sait lire à 3 ans, pas de problème, mais quand il s’agit d’expliquer que celui de 12 ans n’a toujours pas eu le déclic - et que ses parents ne s’en inquiètent pas plus que ça - cela demande un peu de pédagogie pour expliquer la démarche.

Apprendre est un jeu d’enfant…

Pour les fervents du non-sco, chaque enfant devrait pouvoir avancer à son rythme, parce que chaque enfant est différent, et qu’il est absurde et néfaste de le forcer à entrer dans un moule. Le système scolaire, collectif par construction, répond essentiellement par la contrainte : celle des horaires, des disciplines découpées en tranches, de la répartition par classes d’âge. Or certains pourraient apprendre plus vite ceci, d’autres plus lentement cela. Pourquoi s’en inquiéter ?

« À 10 ans, ma fille a décidé d’apprendre l’espagnol. Elle a commencé en réalisant des recettes de cuisine. Elle a établi toute la liste des ingrédients en espagnol, puis nous avons préparé le plat ensemble en ne parlant qu’en espagnol. C’était très amusant », relate Sophie. En effet, pourquoi ne pas croire que la curiosité spontanée de l’enfant ne le portera pas à découvrir, à son rythme, ce qui l’intéresse vraiment ?

L’idée paraît franchement iconoclaste. Elle ne l’est pas pour sir Ken Robinson, expert en éducation : « Nous détruisons systématiquement les capacités d’invention de nos enfants, et en nous-même aussi. Je pèse mes mots. Je ne dis pas que nous le faisons délibérément, mais nous le faisons systématiquement. Nous le faisons par habitude, sans y penser. Et c’est là que c’est le plus grave. Parce que nous considérons comme acquis certains concepts concernant l’éducation, la formation, les besoins sociaux, l’utilité sociale, les objectifs économiques, nous acceptons ces concepts comme des évidences mais ils s’avèrent erronés. »

Les unschoolers ne prêchent pas spécialement pour leur chapelle. Ils estiment juste que le système valorise essentiellement la compétition et la sanction. Selon eux, apprendre nécessite tout le contraire : la coopération, la bienveillance, le plaisir et surtout, surtout, la confiance en soi. C’est sur elle que tout repose. Et l’acquérir serait le sésame qui permettrait aux enfants d’avancer dans le monde. Savoir ce que l’on veut, pourquoi on le veut… permettrait de trouver sa voie.

Et elle peut consister à retrouver celle de l’école. Julie nous raconte. « Ma fille aînée de 12 ans nous a réclamé de suivre un enseignement plus encadré – elle trouve qu’elle ne parvient pas à avancer seule, sans le soutien d’une structure. Notre cadette veut intégrer la maîtrise de Radio France. Pour réussir le concours, ses connaissances en musique ne devraient pas poser de problème, mais elle doit rattraper le niveau CM2. Elle y travaille, et je l’y aide. » Sans problème donc, ni dogmatisme, les non-sco peuvent passer d’une formule à l’autre. « Il s’agit de travailler sur soi, pour apprendre à ne pas avoir d’attentes par rapport aux enfants », explique Claudia.

Mais comment font-ils ?

Ils s’organisent ! Au niveau de la famille d’abord. Il s’agit de trouver un boulot qui ne déborde pas trop en termes d’horaires. Financièrement, cela contraint aussi : « Pendant des années, nous nous sommes habillés chez Emmaüs. Il n’y a que là qu’on peut trouver des costumes pour 10 euros », déclare Julie. Les parents partagent les bons plans, pratiquent le troc, et savourent l’avantage que vivre en décalé du calendrier scolaire peut procurer. Pour les vacances notamment, les prix des transports ou des hébergements s’avèrent très avantageux. Au quotidien, les familles adorent profiter, aux heures les plus calmes, des ludothèques, bibliothèques, parcs, et autres musées…, et il n’est pas un jour où l’association n’a pas plusieurs rendez-vous à proposer. « Je conseille même aux nouveaux venus de ne pas s’inscrire à trop de choses, d’y aller progressivement ! », indique Annabelle, responsable de l’association à Paris.

On se retrouve donc, et les enfants se mélangent, les plus grands avec les plus petits, sans problème. Ne pas avoir de copains d’école, c’est un peu bizarre non ? Annabelle s’amuse de la question : « Avoir des amis de tous les âges fonctionne très bien. Ce qui n’est pas naturel, c’est d’être enfermé pendant des heures avec trente personnes nées la même année. »

 

Est-ce que cela marche ?

Est-ce que ce choix ne prive pas les enfants de certaines options ? La question n’échappe à personne.

Clara Bellar, réalisatrice du documentaire Être et Devenir, ne la contourne pas. Elle est allée à Harvard à la rencontre de Nathalie Galindo, responsable des admissions. Selon elle, plusieurs des étudiants les plus brillants de la faculté ont reçu ce type d’éducation. « Les titulaires de nos bourses les plus prestigieuses comme celles permettant d’aller à Oxford en fin d’études viennent souvent de l’instruction en famille. Certaines d’entre elles utilisent des cursus sur Internet afin de suivre le système d’apprentissage traditionnel, d’autres veulent que leurs enfants aillent à leur propre rythme et se consacrent aux domaines qui les intéressent. » Au moment de quitter la ludothèque du Marais, on repart apaisé. Dehors il fait froid. Et nous, on est juste content. On a passé là un moment très calme, très doux avec des personnes qui nous ont montré que l’on peut choisir de vivre tout simplement autrement.


Cet article est paru dans la revue 14 de L'ADN consacrée à la thématique de la transmission. Pour vous procurer ce numéro, cliquez ici.


 

À VOIR

Clara Bellar, Être et Devenir, Pourquoi pas productions, 2014.

À LIRE

Naomi Aldort, Éduquer ses enfants, s’éduquer soi-même. Préserver la vie émotionnelle de nos enfants, Ariane, 2008.

John Holt, Les Apprentissages autonomes. Comment les enfants s’instruisent sans enseignement, Éditions l’Instant présent, 2011.

Claudia Renau, « Notre non-sco racontée à un journaliste »  : parisbalades.com/nonsco/notre_non-sco.htm.

À VISITER

lecoledelavie.org

lesenfantsdabord.org

naomialdort.com

Béatrice Sutter

J'ai une passion - prendre le pouls de l'époque - et deux amours - le numérique et la transition écologique. Je dirige la rédaction de L'ADN depuis sa création : une course de fond, un sprint - un job palpitant.

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  1. Avatar Erwann dit :

    Merci pour cet article très intéressant, qui ouvre le débat sur cette forme d'apprentissage.

  2. Avatar arro dit :

    Jean d’Ormeson , suivait les prestigieux cours Hattemer , on est loin du unschooling , avant de citer des gens, vérifier un peu leur histoire . Car il y a 50 ans un cpc comme hattemer , c'était du haut , très haut niveau et s'il le suivait c'était parce que son père était en déplacement à l'étranger avec sa famille

  3. Avatar julie dit :

    "Plusieurs des étudiants les plus brillants de la faculté ont reçu ce type d’éducation"
    Disons que ces brillants étudiants sont probablement issus de familles ayant les moyens du homeschooling, ce qui fausse un peu la donne des comparaisons. Les gens qui luttent tous les jours pour conserver leur boulot d'ouvrier ne peuvent pas offrir les mêmes chances à leurs enfants.

    • Avatar pitch' dit :

      "Les gens qui luttent tous les jours pour conserver leur boulot d'ouvrier ne peuvent pas offrir les mêmes chances à leurs enfants.": faux. Une étude a montré que l’ascendeur social fonctionnait beaucoup mieux en non-sco qu'à l'école. La raison en est simple: pour acquérir des compétences et réussir dans la vie, les ingrédients sont à la portée de toutes les bourses: confiance en soi, plaisir, passion, sommeil suffisant, exercice physique, famille aimante, échanges variés avec des personnes de tous âges et horizons. Inutile, donc, d'être Crésus ou polytechnicien :))

    • Avatar pitch' dit :

      "Les gens qui luttent tous les jours pour conserver leur boulot d'ouvrier ne peuvent pas offrir les mêmes chances à leurs enfants.":

      1/ si vous entendez par là que petits moyens et milieu modeste s'opposent à la non-sco: c'est faux. Une étude a montré que l’ascendeur social fonctionnait beaucoup mieux en non-sco qu'à l'école. La raison en est simple: pour acquérir des compétences et réussir dans la vie, les ingrédients sont à la portée de toutes les bourses: confiance en soi, plaisir, passion, sommeil suffisant, exercice physique, famille aimante, échanges variés avec des personnes de tous âges et horizons. Toutes choses que l'on retrouve facilement en famille ... moins à l'école hélas. Inutile, en tout état de cause, d'être Crésus ou polytechnicien :))

      2/ si vous entendez en revanche que certaines familles ne peuvent, matériellement, vraiment pas se permettre de prendre le temps de s'occuper de leurs enfants: est-ce pour autant une raison pour vouloir empêcher d'autres familles de donner cet accompagnement de qualité à leurs enfants? Je connais en outre des familles à budget vraiment ultra-mini, et qui arrivent quand même, à force d'ingéniosité et de débrouille (activités gratuites, vêtements donnés, magasins sociaux etc) à instruire leurs enfants en famille dans un environnement pleinement épanouissant.

      • Avatar julie dit :

        Je veux dire que les gens qui ont besoin de 2 salaires ne peuvent pas se permettre qu'un des 2 parents reste à la maison pour éduquer leur enfants

  4. […] > Tendance Non-Sco : ils ne mettent plus leurs enfants à l’école […]

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