
Elle s’habille en Shein, commande sur Temu et se maquille grâce aux tutos TikTok. La « microplastic girl » est-elle une fast fashionista anti-écolo ou une victime de notre société hyperconsumériste ?
C’est au cliquetis émis par ses ongles acryliques sur l’écran tactile de son smartphone qu’on la reconnaît. Ses cheveux, quand ils ne sont pas impeccablement lissés, sont savamment tressés et accessoirisés d’extensions. Son regard de biche, comme celui de son idole Kylie Jenner, est rehaussé de faux cils XXL. Elle porte des bottines façon UGG (ou des Adidas Samba en « cuir vegan », au choix), un legging hypermoulant (#sheinhauls) et une veste en similicuir (14, 99€, inspirée du dernier défilé Miu Miu). À son bras, un sac « City » de Balenciaga ou un « Chiquito » Jacquemus – en fait un dupe « trop beau » made in China qu’elle s’est dégoté via un groupe WhatsApp dédié.
Née entre 1995 et 2008, notre GenZ est le genre de beautés comme TikTok en produit à la chaîne. Le samedi après-midi, il y a fort à parier que vous en croisiez des dizaines comme elle au Forum de Halles ou sur le Vieux-Port, déjeunant d’un menu Triple Cheese au Burger King et enchaînant les bubble teas saveur pêche (oups, ce gobelet en polypropylène ne finira sûrement pas dans la poubelle jaune). Appelons-la : la « microplastic girl ». « Microplastic », parce qu’avec son mode de vie, entre ultra-fast fashion et emballages à usage unique, elle en produit une quantité industrielle.
Life in microplastic, c’est pas fantastic
Polyéthylène téréphtalate (PET), polyéthylène (PE), polypropylène (PP), polyméthacrylate de méthyle (PMMA), polymères à base de styrène, comme le polystyrène (PS). Ces matières aux noms barbares sont les cinq polymères couramment utilisés dans la fabrication des plastiques (contenants alimentaires, bouteilles, textiles etc.) – et ils seraient les plus dangereux pour la santé. Depuis 1950, environ 7 à 10 millions de tonnes de plastique ont été produites dans le monde ; chaque minute, l’équivalent d’un camion poubelle de plastique est rejeté dans les océans (source : programme pour l’environnement de l’ONU). Inexorablement, leurs résidus non dégradés, dont la taille est comprise entre 5 millimètres et quelques centaines de nanomètres (soit 70 fois plus petit que l’épaisseur d’un cheveu) s’immiscent dans les organismes de la faune marine, des baleines au zooplancton. Ce sont les fameux microplastiques, ou nanoplastiques pour les plus petits (<100nm).
Don’t you know that you’re toxic
Mais revenons à notre fast fashionista. On le sait, pour assouvir sa passion pour la mode, notre « Shein babe » commande régulièrement sur le site chinois, leader du secteur avec 1,63 milliard d'euros de chiffre d'affaires en France en 2023 (taux de croissance annuel, 30 %). Et c’est toujours bien emballées qu’arrivent ses commandes coups de cœur (« c’est trop bien, il n’y a que des pépites ! »).
Le reste du temps, elle shoppe sur Temu (4 milliards d’euros de bénéfice net dans le monde au deuxième trimestre 2024 pour PPD Holdings, qui détient l’app d’e-commerce), AliExpress, voire chez Normal, le discounter danois qui a pris d’assaut centres-villes et ZAC de la France périurbaine.
Résultat, ses faux ongles de panthère sexy sont en acrylique (un plastique non dégradable et qui ne se recycle pas), ses faux cils, en nylon. Quant à son legging, c’est une vraie bombe à retardement écologique. Fabriqué à 100 % avec des fibres acryliques (donc issues de la pétrochimie, comme pour le polyester, le polyamide, l’élasthanne etc.), il relâche à chaque lavage des microparticules de plastique. Trop fines pour être traitées par les stations d’épuration, celles-ci échouent dans les océans. Le legging, lui, finira sûrement sa (courte) vie dans une décharge à ciel ouvert du désert de l’Atacama ou sur les plages du Ghana – deux poubelles de la fast fashion.
Polarisation des modes de vies
Pour Fanny Parise, anthropologue de la consommation, autrice de Les Enfants gâtés, Anthropologie du mythe du capitalisme responsable (Payot, 2022), « la microplastic girl incarne le point de rencontre entre des valeurs contradictoires : d’une part, l’aspiration à l’esthétique et au glamour, qui reste un idéal de réussite sociale pour une partie de la population ; d’autre part, le plastique en tant que produit de consommation jetable, représentant un fardeau pour la planète. » La plastique et le plastique, quoi. Mais pour l’anthropologue, il faut pourtant veiller à ne pas stigmatiser notre « Shein babe ». Car si elle achète des produits peu chers et peu vertueux, c’est avant tout pour cause de budget riquiqui. Fanny Parise le dit mieux : « les jeunes sont pris en étau entre leurs aspirations et la réalité économique et sociale. » L’anthropologue affirme même avoir une certaine affection pour notre microplastic girl, qui présente à ses yeux « une forme d’honnêteté, tant il est vrai qu’elle ne s’embarrasse pas de certains de ces "totems d’écoresponsabilité" qui donnent une illusion de sobriété à d’autres segments de la population – cosmétiques verts, vêtements écoconçus etc. » Bobos qui portent des Veja mais roulent en Audi, on vous voit.
Une forme de « féminité toxique » ?
Et si tous ces artifices utilisés par notre belle pour être « la meilleure version d’elle-même », en plus de polluer l’environnement, l’empoisonnaient à petit feu ? Des chercheurs de l’Université de Californie à San Diego ont récemment montré que les sèche-vernis à ongles UV utilisés dans les salons de nails pourraient être dommageables pour l’ADN et entraîner des mutations cancérigènes. Quant à la colle utilisée pour fixer les prothèses ongulaires sur l'ongle naturel, c’est un mélange d'alcool, de cyanoacrylate, de méthacrylate et de formaldéhyde – un cancérigène connu. Tout récemment, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a alerté l’opinion publique sur la toxicité de l’acide glyoxylique, après avoir reçu quatre signalements d’insuffisance rénale aiguë suite à l’application de produits dits « lissages brésiliens ». Et Fanny Parise de conclure : « La microplastic girl agit comme un véritable révélateur de la toxicité de nos choix de société. »
Note : Du 25 novembre au 1er décembre 2024, la cinquième (et dernière) des sessions de négociations visant l’établissement d’un traité international contre la pollution plastique se tiendra à Pusan, en Corée du Sud.
Surtout, ne pas culpabiliser ! Elle a un budget "rikiki" (#maturité) du coup elle est obligée d'acheter des tonnes de merde sur Shein, CQFD.