des femmes en rose

Bienvenue à « Tanaland », le pays des bad bitches interdit aux hommes

Explorez cette terre d’accueil virtuelle et non-mixte des tiktokeuses lassées du harcèlement en ligne et du patriarcat.

Sur TikTok, les filles font leurs valises, direction "Tanaland". Après le Listenbourg, ce pays de Cocagne fictif né sur les réseaux sociaux il y a deux ans, les internautes ont récidivé, mais avec un twist. Si on ne sait pas bien où se situe cette nouvelle nation (ou alors est-ce une île ? ), une chose est sûre : l’entrée sur le territoire est strictement interdite aux hommes – et à la militante antiféministe d’extrême droite Thaïs d’Escufon.

@legrandjt.fr

Qu’est-ce que Tanaland ? #pourtoi

♬ Paris - Else

Tanaland, c’est une sorte de paradis imaginaire, une utopie 2.0 girls only à l’esthétique rose bonbon, forcément. Plages idylliques, spas de rêve, dressings de stars : sur les réseaux, les vidéos qui tournent en boucle piochent dans une esthétique à la fois bling et kitsch, très « Dubaï meets Barbie » – le tout généré par IA. Comme pour le Listenbourg en 2022, les internautes déchaînent leur créativité : le pays a un drapeau (rose, forcément) et une capitale (Tanacity). Chacun y va de sa contribution. Aux dernières nouvelles, un gouvernement serait même en cours de constitution, et il se chuchote qu’Aya Nakamura obtiendrait un ministère…

« Tana », ou le retournement du stigmate

Née fin septembre sur TikTok, cette tendance prend rapidement de l’ampleur, poussée notamment par des tiktokeuses hypersuivies comme @Polska (1,3 M) ou @TooMuchLucile (1,1 M). Lassées du "slut-shaming" en ligne et « de recevoir des insultes misogynes toute la journée », dixit TooMuchLucile, les jeunes femmes se sont inventé « un endroit où on pourrait s’habiller comme on veut, que l’on soit voilée ou en minijupe ». En matière de cyberharcèlement, TooMuchLucile, 22 ans, en connaît un rayon : début 2024, après des années de menaces de viol et de mort sur les réseaux, son harceleur a été condamné à cinq ans de prison ferme. Mais au fait pourquoi "Tanaland " ? En argot (et dans des titres de rap comme Matuidi Charo (PSG) de Niska, qui tourne en boucle sur TikTok), une « tana » c’est une fille immorale, une pute – de l’espagnol « putana ». On voit l’idée : reprendre à son compte une insulte misogyne et la revendiquer ; la dé-sémantiser pour en faire une arme d’empowerment. En sociologie, on appelle ça le « retournement du stigmate ». Avant « tana », les termes « bitch », « queer », « pédé » ou « négro » sont ainsi passés d’insultes à étendards de fierté.

@toomochelucile

En fait vous avez juste écouté l’avis des hommes et ca cest dommage 🤷‍♀️

♬ Mini Vlog - Soft boy

Et si le phénomène Tanaland était nouvel avatar d'un féminisme en mode TikTok ? Polska en est sûre : « le mouvement Tanaland, c’est un mouvement solidaire et féministe, et être contre, c’est juste donner raison à tous ces misogynes. » Car ça n’a pas loupé : quand certains tiktokeurs (des hommes) dénoncent « le piège de l’immoralité sous couvert d’émancipation » qu’est pour eux Tanaland, d’autres, comme l’influenceuse Maeva Ghennam, déclarent sans ciller : « mais on a besoin d’hommes pour nous offrir des cadeaux, pour nous offrir des sacs à main, pour porter nos courses, pour monter nos meubles, pour nous faire des enfants, pour nous aimer, c’est quoi ce délire ? ! »

Safe space ou tentative de sécession ?

Pour l’essayiste Vincent Cocquebert, auteur du stimulant La civilisation du cocon (Arkhê, 2021) : « Avec le phénomène Tanaland, c’est un peu comme si les femmes faisaient sécession dans le monde virtuel. On est passés de la non-mixité subie à la non-mixité choisie, et c’est très révélateur. Tanaland s’inscrit dans la tendance sociétale et commerciale du girls only, que l’on retrouve dans les offres VTC ou les salles de sport réservées aux femmes par exemple, qui proposent tous l’expérience du safe space – cette zone neutre pensée pour protéger des groupes sociaux victimes d’oppression. Alors dans notre « société du sans », pour paraphraser Mazarine Pingeot, chacun reste dans son cocon physique et mental. Difficile alors de créer du commun ou de rencontrer l’altérité lorsque l’on atteint un tel niveau d’individualisme. »

Entre les deux sexes de la GenZ, le torchon brûle. Des études récentes montrent ainsi un fossé de plus en plus large entre les aspirations des jeunes femmes et celles des jeunes hommes – les premières ayant tendance à embrasser des idées dites progressistes, quand les derniers se tournent vers des idéologies plus conservatrices. Le backlash post #MeToo ? En tout cas, sur TikTok, les gars ont eux aussi décidé de créer leur nouveau pays bien à eux… Son nom ? « Charoland ».

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