Une homme et une femme attablés

Sex recession : comment Internet a tué notre libido

© Asteroid City

Notre apathie résulterait d'un désintérêt croissant pour le sexe doublé d'un temps d'écran trop envahissant.

Le réarmement démographique n'est pas prévu pour là tout de suite. En cinquante ans, nous n'avons jamais fait aussi peu l'amour que ces 12 derniers mois. En 2023, 76 % des Français déclarent avoir eu au moins un rapport sexuel l'année précédente, ce qui représente une baisse de 15 points depuis 2006 (étude CSF). Selon une étude Ifop, l’activité sexuelle perd aussi en intensité, si l’on en juge par la baisse de la fréquence hebdomadaire des rapports : 43 % des Français rapportaient avoir, en moyenne, un rapport sexuel par semaine, contre 58 % en 2009. Décryptage de la « sex recession » qui s'abat sur nous. Sans nous émouvoir outre mesure. ( « Oui bah les Français et les Françaises ont peut-être des copies à corriger ? », commente tranquillement un historien sur Twitter.)

Fatigue sexuelle chez les jeunes

Le phénomène qui concerne particulièrement les jeunes, avec plus d’un quart des 18-24 ans initiés sexuellement (28 %) déclarant ne pas avoir eu de rapport en un an, soit cinq fois plus qu’en 2006 (5 %). Par rapport aux autres générations, les jeunes ont une activité sexuelle relativement faible : 52 % seulement des jeunes (initiés) de moins de 25 ans ont en moyenne un rapport sexuel par semaine, un chiffre nettement en deçà des personnes âgées de 25 à 50 ans. Une « fatigue sexuelle » contre-intuitive au sein de cette démographie quand on sait que les jeunes étaient jusqu’alors les plus actifs et les plus en recherche de partenaires sexuels (cf. CSF 2006). Outre-Atlantique, même combat, avec l'explosion du nombre d’inactifs sexuels au cours des 12 derniers mois chez les 18-29 ans (23 % en 2018, contre 8 % en 2008). De l'autre côté du Rhin, une étude a constaté la même chute de l’activité sexuelle chez les Allemands âgés de 18 à 30 ans : les abstinents depuis au moins un an ont été multipliés par 3 entre 2005 (7,5 %) et 2016 (20,3 %).

« Désirer à tout prix », c'est non

Plusieurs facteurs expliquent ce manque d'appétit. Tout d'abord, l’effacement progressif de la notion de « devoir conjugal » et la place prépondérante du consentement dans les rapports sexuels. À ce titre, les Françaises se forceraient beaucoup moins à faire l’amour qu’il y a 40 ans : 52 % des femmes âgées de 18 à 49 ans déclarent qu’il leur arrive de faire l’amour sans en avoir envie, contre 76 % en 1981. Sans grande surprise, c'est chez les femmes les plus féministes et les plus éloignées de la religion que cette forme de « sexe non consensuel » est la moins fréquente. En outre, plus de la moitié des femmes adultes (54 %, contre 42 % des hommes) déclarent qu’elles pourraient continuer à vivre avec quelqu’un dans une relation purement platonique, soit une proportion en nette hausse sur une quarantaine d’années chez les femmes de moins de 50 ans (+ 14 points par rapport à 1981). Comme l'expliquait le journaliste Tal Madesta dans son ouvrage Désirer à tout prix (publié en avril chez Binge Audio Éditions), l'injonction à la sexualité perdrait du terrain au profit d'autres manières de faire couple. Ainsi, seulement 62 % des Françaises accordent aujourd’hui de l’importance à la sexualité dans leur vie, contre 82 % en 1996. De plus, l'asexualité, l'orientation sexuelle caractérisée par l'absence d’attirance sexuelle envers autrui, est assumée par 12 % des Français et 23 % des femmes âgées de 70 ans et plus.

Le sexe demeure un enjeu plus crucial pour les hommes que pour les femmes : les trois quarts d’entre eux (75 %) accordent aujourd’hui de l’importance à la sexualité, en particulier les trentenaires (87 %). « La sexualité jouant un rôle moins fort dans l’identité féminine que dans l’identité masculine, un gender gap très prononcé ressort des questions relatives à l’abstinence. Ainsi, le manque en cas d’abstinence prolongée pose beaucoup plus de problèmes aux hommes (60 %) qu’aux femmes (30 %). Et l’absence de rapports sexuels est vécue facilement par deux femmes sur trois (69 %) contre à peine la moitié des hommes (48 %) », avance l'étude. Une observation qui confirme l'analyse de chercheurs avançant l'idée que « l'absence d'activité sexuelle remet (…) moins fondamentalement en cause l'identité féminine que l'identité masculine ».

Plus de Netflix, moins de sexe, merci

Quel que soit l’indicateur utilisé pour mesurer l’activité sexuelle (rapport dans les 12 derniers mois, nombre de rapports ces 30 derniers jours, fréquence « habituelle » des rapports au moment de l’étude…), l’enquête montre systématiquement une vie sexuelle moins intense qu’avant l’ère du smartphone et du haut débit. Lorsqu’on interroge les jeunes de moins de 35 ans vivant en couple sous le même toit, la moitié des hommes (50 %, contre 42 % des femmes) reconnaissent avoir déjà évité un rapport sexuel pour regarder films et séries sur Netflix, OCS et consorts. Un phénomène qui se répète avec les jeux vidéo, préférés au sexe par 53 % des hommes de moins de 35 ans vivant en couple, et les réseaux sociaux, pour 48 % d'entre eux.

« Au regard des résultats, le "temps sexuel" apparaît ainsi très nettement concurrencé par le temps passé sur des écrans qui offrent non seulement un moyen de combler ses besoins de sociabilité (réseaux sociaux) et/ou de sexualité (porno en ligne) mais aussi qui tend à cannibaliser le temps passé à deux : les plateformes à la Netflix proposant des productions tellement addictives et chronophages qu'elles réduisent à la fois l'intérêt pour le coït et le temps disponible pour un rapport sexuel. Quant aux célibataires, leur usage intensif des écrans les pousse à un repli sur l’espace domestique qui limite leurs occasions de rencontres IRLF et les prive d'opportunités de relations charnelles, rapporte François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop.

Annulation de l'arrêt Roe vs Wade : très peu sexy

Aux États-Unis, d'autres facteurs entrent également en jeu. D'après une récente étude portant sur les moins de 50 ans, les célibataires américains font moins l'amour depuis l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade en juin 2022, annulation qui a criminalisé l'IVG ou a rendu son accès difficile au sein d'une large vingtaine d'États. Plus d'un célibataire sur dix déclare avoir moins de relations sexuelles depuis la décision de la Cour suprême, et 13% des célibataires affirment avoir plus peur qu'un rapport sexuel débouche sur une grossesse, chiffre qui monte à 21 % chez la génération Z. Si de nombreux sondés déclarent avoir moins de relations sexuelles, 7% d'entre eux seraient plus susceptibles d'avoir des relations réduisant le risque, comme des relations sexuelles sans pénétration.

*Méthodologie : étude Ifop réalisée dans le cadre de l’observatoire LELO de la sexualité des Français(es) auprès d’environ 2000 personnes.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire