
Retrouver la mémoire des vies passées de nos maisons, une tendance qui gagne du terrain ? Si la généalogie explore traditionnellement les lignées familiales, elle peut aussi se faire foncière pour celles et ceux curieux du passé de leurs murs.
Bien plus qu'un toit et quatre murs, nos maisons portent en elles des histoires, des souvenirs et même – pour ceux qui y croient – des énergies invisibles. Connaître le passé d’un lieu de vie ou faire appel à des experts pour le libérer d'éventuelles « mauvaises ondes » sont deux tendances maison, distinctes mais complémentaires, qui gagnent ainsi en popularité. Mais pourquoi cherchons-nous donc à ouvrir le « coffre aux trésors d'une vie » – ainsi que Le Corbusier qualifiait nos logis ? Le Financial Times s'est penché sur ce phénomène qui témoigne d'une volonté de renouer avec une certaine dimension immatérielle, pour ne pas dire magie, de nos espaces quotidiens à l'ère du numérique tout-puissant.
Maison géorgienne dans le Surrey
Si vous pensiez que la généalogie consiste uniquement à digger dans de vieux registres poussiéreux pour bien positionner vos ancêtres vendéens sur un arbre courant sur six générations, détrompez-vous : la discipline n’est pas que familiale, mais peut aussi être foncière, quand elle s’attache à l’exploration de l’histoire des habitations – et puis, la numérisation des archives a grandement facilité la tâche, rendant l'information de plus en plus accessible. Au Royaume-Uni, des organisations comme Historic England ont élaboré des guides pour ceux qui souhaitent se frotter à l'exercice de la généalogie immobilière. Irène Jeffrey, propriétaire d'une maison géorgienne dans le Surrey, vieille de plus de 200 ans, explique ainsi au FT : « Nous avions restauré la maison, mais je n'avais pas l'histoire. Elle a fait partie de tant de familles, j'étais désespérée d'en savoir plus. Je voulais savoir qui était cette petite fille. » La petite fille en question apparaissait sur une vieille photographie des années 1900, assise dans une calèche devant ce qui est aujourd'hui sa maison…
Pour l'aider dans cette quête, des professionnels existent. L'historienne Mélanie Backe-Hansen, coauteure de A House Through Time, propose ainsi de recréer l'histoire de votre maison, façon détective privé, pour la livrer ensuite dans un rapport ou un livre relié. Aux États-Unis, le site HouseNovel, actif depuis 2022, se propose d'être le Wikipedia des maisons, en permettant aux internautes de partager des informations (données historiques, anecdotes) sur les maisons, ensuite réorganisées en chronologies interactives. Les fondateurs de HouseNovel produisent aussi des récits « sur-mesure ». Selon le quotidien économique britannique, la popularité de l'exercice au Royaume-Uni est aussi à rapprocher du programme télé de la BBC, également titré A House Through Time. De 2018 à 2024, les cinq saisons de la série documentaire exploraient l'histoire d'immeubles résidentiels de Liverpool à Leeds, en passant par Bristol, Newcastle, Londres ou Berlin.
Chasse aux trésors en milieu domestique
La télévision française s'est aussi intéressée à la question avec l'émission Nos maisons ont une histoire (France 5, 2019), où Stéphane Thebaut aidait les propriétaires à retracer l'histoire de demeures anciennes, qui n'a cependant pas duré. Toutefois, le succès d'émissions comme Affaire Conclue (France 2) ou Un Trésor dans votre maison (M6, puis 6Ter) ont remis au goût du jour la chasse aux trésors dans les greniers nationaux. Avec en clou du spectacle, l'exercice délicieusement désuet de la vente aux enchères qui retrouve par ailleurs une nouvelle jeunesse, grâce aux écrans, non seulement télévisés, mais aussi en ligne.
Car « on ne sait jamais ce que le passé nous réserve ». Et de fait, l’avis de Françoise Sagan est largement partagé par 71 % des Français se déclarant intéressés par la généalogie, selon un sondage IFOP pour le site Geneanet, en 2022. La complexité des recherches et le temps requis sont toutefois les freins les plus cités quand il s'agit de franchir le pas – même si « c'est de plus en plus facile à faire seul, explique à L’ADN Greg Wolf, généalogiste familial professionnel et détective ADN. Avec un petit abonnement à GénéaNet ou Filae, on peut assez vite retrouver des choses qui ont déjà été faites. »
La numérisation des archives d'état civil, accessibles gratuitement jusqu'en 1900 parfois 1920, a révolutionné la pratique. Mais si « les noms et les dates de naissance, de mariage et de décès ne donnent pas beaucoup d'informations », les demandes évoluent vers plus de substance et se tournent alors vers des professionnels : « Les gens veulent en savoir plus sur l'histoire de leurs ancêtres, leur métier, ce qu'ils ont fait pendant la guerre… » C'est là qu'intervient la généalogie foncière, toujours intégrée à une recherche familiale plus large selon Greg Wolf : « Il est rare que quelqu'un demande d'écrire un livre sur l'histoire de la maison seule. Elle s'intègre dans le cadre d'une recherche familiale. » Des documents exceptionnels comme les inventaires après décès permettent parfois de reconstituer mentalement l'habitat d'antan : « Quand on tombe sur de tels documents, on arrive à se faire une image mentale de la maison, du nombre de pièces, de sa distribution, etc. On peut se refaire le film de la vie quotidienne de nos ancêtres. » Lui-même a testé sa méthodologie sur son propre immeuble parisien, incité par sa voisine américaine qui lui avait raconté que son appartement avait autrefois été l'atelier de Karl Lagerfeld. Les recherches ont révélé une tout autre surprise : l'immeuble avait abrité un cabinet de spiritisme. Une découverte qui a quelque peu troublé cette même voisine : « Elle s’est écriée qu'il ne fallait surtout pas lui révéler une chose pareille ! », sourit-il.
L'anecdote illustre la fascination que suscitent ces récits enfouis dans nos intérieurs. La semaine prochaine, en deuxième partie, nous explorerons comment d'autres choisissent ainsi de s'atteler aux mystères énergétiques de leur habitat, entre guérison de maison, acupuncture terrestre, fumigation à la sauge et autres rituels ésotériques.
Si je dois quitter ce lieu emblématique de l'histoire des parents, grands parents de mon époux, ainsi que mes enfant, il se doit de laisser une trace écrite afin que nos petits enfants se souviennent et tous ceux qui sont venus se restaurer et profiter d'une journée ou week-end sur ce site bucolique.
C.G.