
Sans parler hausse des températures et feux de forêt, mais en dépeignant des paysages réparateurs et sublimes.
Quand les chiffres et avertissements anxiogènes ne fonctionnent plus, il reste la musique, la littérature et les films qui esquissent de nouveaux imaginaires et invitent à s'immerger dans les bois et les montagnes.
Le film Le Règne animal de Thomas Cailley
Les os s'hypertrophient, des griffes poussent sous les ongles, les mots se métamorphosent en grognements et hululements. Dans les pavillons tranquilles et les centres-villes surpeuplés, les gens se transforment en animaux. Et parfois aussi, des ailes poussent dans le dos. Dans Le Règne animal, dernier film « coming of age » de Thomas Cailley, les rivières coulent et les forêts respirent tandis qu'un duo père-fils se débat dans un monde inquiétant où les hommes cherchent à circonscrire la nature et traquent au fusil les mutants au travers de champs de maïs géométriques. À la fois poétique et politique, drame intimiste et fable fantastique, Le Règne animal donne surtout envie de partir galoper dans les Landes de Gascogne.
Le roman Turning de Jessica J.Lee
À 28 ans, Jessica Lee se retrouve seule à Berlin. Elle laisse derrière elle un divorce et une histoire de famille tortueuse qui la laisse prostrée dans un état de dépression débilitant. Dans cette ville nouvelle qu'elle apprivoise peu à peu, elle doit aussi boucler sa thèse en histoire de l'environnement, un travail laborieux qui la conduit dans toutes les librairies du pays. De son enfance, elle a conservé un amour de la nage et de l'eau qu'elle pratique partout où elle le peut, de la mer Celtique à l'océan Pacifique. Pour sortir de son marasme, Jessica Lee prend une décision : elle nagera dans les cinquante-deux lacs autour de Berlin, de Schlachtensee à Liepnitzsee en passant par Wannsee et Straussee, quel que soit le temps ou la saison, dans la chaleur de l'été et le froid glacé et humide de l'hiver. Dans ce roman autobiographique publié en 2017, l'autrice raconte l'histoire d'une obsession : les frissons procurés par une eau veloutée et turquoise, la fissuration de la glace avant le plongeon, le ciel bleu qui se mélange aux arbres et herbes hautes. En filigrane, elle raconte aussi le plaisir d'utiliser son corps, de l'abandon et l'immersion dans une nature complice qui permet d'apprivoiser ses paysages intérieurs.
Extrait de « Turning : Lessons from Swimming Berlin's Lakes » : « L'eau glisse sur moi comme de la soie fraîche. L'intimité du contact imperturbable, qui monte autour de mes jambes, sur mes hanches, ma poitrine, et jusqu'à ma clavicule. Quand je rejette la tête en arrière et que je me détends, le lac coule dans mes oreilles. Le son est un rugissement étouffé, la vibration du corps amplifiée par l'eau, chaque son ressenti comme au ralenti. »

Les chansons Alaska et Color Song de Maggie Rogers
Croassements de grenouilles à la tombée de la nuit, stridulations des grillons à la campagne, et craquements des glaciers qui bougent... La nature tient une place prépondérante dans l’œuvre de la chanteuse de pop-folk-électro Maggie Rogers. Elle ne se contente pas de la peindre en parole, elle l'enregistre et la mélange à ses chansons dans lesquelles infusent la pluie de l’Oregon et le craquement du fourrage séché de l'étable de ses parents dans le Maryland. Dans Uncommon Path, le blog de Rei, elle explique : « L'une des meilleures façons d'expérimenter le temps et l'espace, c'est de m'immerger dans un endroit beau et calme. Je suis souvent surstimulée, et si je peux me frayer un chemin vers la nature, que je sois dans l'Ohio, en Australie ou à Los Angeles, même si ce n'est que pour une heure, cela me permet de (...) revenir à moi et mes vraies priorités. » Dans le clip de Horses, l'une de ses dernières chansons, la chanteuse part se ressourcer dans la nature, du lever du jour à la tombée de la nuit, guitare au cou.
Extrait de Color Song : « Maintenant que la lumière s'estompe / Argentée et violette au crépuscule / Les images du jour nous restent / Lumineuses comme le feu / Bleues comme le ciel au-dessus du lac / Et bleues comme l'eau qui coule »
Le roman Wild de Cheryl Strayed
En 1995, Sheryl Strayed entreprend de randonner du Sud vers le Nord le long du Pacific Crest Trail, le sentier qui longe la côte ouest. En marchant 2 650 miles (4 264 kilomètres), elle espère se remettre de la mort de sa mère, d'une séparation douloureuse et de son passé de junkie. En 2012, l'Américaine publie Wild (Sauvage), dans lequel elle raconte ses longs mois de marche sur un sentier caillouteux, depuis le désert des Mojaves au sud de la Californie jusqu'au Bridge of the Gods (le Pont des dieux) qui relie l'Oregon et l’État de Washington en traversant le fleuve Columbia. Aujourd'hui, le roman traduit en 40 langues a été vendu à 5 millions d'exemplaires et a été adapté au cinéma avec Reese Witherspoon en 2014.
Extrait de Wild : « Ce qui comptait vraiment était intemporel. C’était cette force qui les avait poussés à lutter envers et contre tout pour que ce chemin existe, cette même force qui nous propulsait vers l’avant, les autres randonneurs et moi, lors des journées les plus difficiles. (...) C’était lié à la sensation qu’on éprouve quand on est en pleine nature. Quand on marche pendant des kilomètres sans autre raison que de contempler l’accumulation d’arbres, de prairies, de montagnes, de déserts, de ruisseaux, de rochers, de fleuves, d’herbes, de levers et de couchers de soleil. C’était une expérience puissante et fondamentale. J’avais la conviction qu’il en avait toujours été ainsi depuis les débuts de l’humanité, et que tant que la nature existerait à l’état sauvage, cela ne changerait pas. »

Le film Border de Ali Abbasi
Tina travaille comme douanière à l'aéroport. Grâce à son extraordinaire odorat qui lui permet de sentir les émotions des autres (honte, culpabilité...), elle est redoutablement efficace. Un jour, elle rencontre Vore, un homme à l'apparence aussi étrange que la sienne, et dont les émotions lui semble difficilement lisibles. Dans une forêt mousseuse et humide, parsemée de lacs et d’animaux sauvages, Tina et Vore vont se découvrir, s'enlacer et faire corps avec la nature. Ce film fantastique suédois réalisé par Ali Abassi a été adapté de la nouvelle Gräns tiré du recueil Låt de gamla drömmarna dö de John Ajvide Lindqvist. Il est sorti en 2018 au Festival de Cannes dans la section Un certain regard.
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