How to be single versus bad moms

Salariés vs salariés sans enfant : diviser pour mieux régner

© Bad moms et How to be single

Budgets coupés, pénurie d'employés et production en flux tendus : tout le monde a l'impression d'être le dindon de la farce.

Au bureau, derrière le comptoir ou dans les entrepôts, les personnes sans enfant ont le sentiment de se faire légèrement entuber. En effet, ils sont nombreux à ressentir une pression : couvrir pour leurs collègues parents. Ce n'est pas pour autant qu'ils blâment ces derniers, également à bout de forces. La cause communément identifiée de ce mal-être : une cruelle pénurie de main-d’œuvre.

Parents vs child-free, les tensions montent

Parmi les employés rincés : Kira, 25 ans, ex-barista à Seattle, fatigué de devoir remplacer ses collègues pris par leur rôle de parents. Il explique se sentir frustré face à des collègues parents qui, « mis sur un piédestal », imposent les normes sociales et obtiennent régulièrement le droit de partir plus tôt pour par exemple aller chercher leurs enfants. Dans le fond, Kira n'en tient pas rigueur à ses collègues. « La raison pour laquelle les personnes sans enfant sont contrariées est en grande partie la faute de l'entreprise, qui n'a pas fourni suffisamment de personnel pour accomplir correctement la quantité de travail que l'on nous demande. Du coup, tout le monde est constamment poussé à bout, et quand on vous demande de rendre un service, vous ne voulez pas le faire – parce que vous êtes déjà fatigué », explique-t-il à Business Insider. Oui, tout le monde est crevé. En France, une étude s'est penchée sur le dur labeur des parents travailleurs en France, révélant que 77 % des parents affirment que concilier travail et rôle parental est un défi au quotidien.

« Le capitalisme a gagné cette manche »

Un constat également formulé par les experts. « Dans une course à l’augmentation des profits, les entreprises tentent de maintenir les coûts de main-d’œuvre à un niveau bas, en réduisant le type d’avantages sociaux qui permettent de concilier travail et parentalité. C'est aussi une question de politique publique. Comme les frais de garde d'enfants augmentent et que les parents ne bénéficient pas de congés payés, ils doivent se contorsionner entre le travail et la maison, et leurs collègues sans enfants sont parfois obligés de prendre le relais », résume le média américain. Bref, tout le monde se sent lésé. « Je n'ai pas entendu parler d'options permettant d’accommoder les parents ou de bénéficier de plus de ressources pour réussir son rôle tout en étant "un bon employé" », a déclaré Amanda, orthophoniste de 31 ans, mère d'un enfant. Un problème qui semble difficile à résoudre, à l'heure où de plus en plus d'entreprises exigent le retour au bureau et où décrocher une place en garderie relève du parcours du combattant. « Ce que je peux dire, c'est que le capitalisme a gagné cette manche. Il a dressé deux groupes les uns contre les autres pour dissimuler ses sales coups », a déclaré JessieMay, mère célibataire travaillant dans l'éducation, à Business Insider. Diviser pour mieux régner ? La célèbre maxime attribuée à Philippe II de Macédoine semble de rigueur.

Les « greedy jobs »

Pour Arindrajit Dube, professeur d'économie à l'Université du Massachusetts, la faute incombe à ce que Claudia Goldin, économiste lauréate du prix Nobel, a baptisé les « greedy jobs ». Comprendre : des emplois qui exigent un nombre d'heures important tout en étant peu flexibles. Un type d'emploi potentiellement difficile à tenir pour de jeunes parents, dont la charge de travail se téléporte sur les autres employés. « Si le processus de travail est conçu pour être moins "gourmand", il s'adapte plus facilement à la transmission des tâches entre les travailleurs, et les enjeux sont beaucoup moins importants lorsqu'une personne doit s'absenter pour s'occuper d'un membre de sa famille », explique Arindrajit Dube. Parmi les solutions mises en place par les entreprises, l'économiste cite la signature des clauses de non-concurrence strictes pour rendre difficile aux employés le fait de changer de société, ou encore la transformation de postes à temps plein en postes contractuels pour éviter de payer certains avantages sociaux. Le média américain évoque aussi les mécanismes utilisés par les entreprises pour conserver leur pouvoir sur le marché du travail et maintenir les salaires à un niveau inférieur à ce qu’ils seraient dans un monde parfaitement compétitif. En effet, la Direction générale du Trésor américaine a découvert en 2022 que les salaires étaient de 15 à 20 % inférieurs à ce qu'ils seraient sur un marché du travail parfaitement concurrentiel, sans pouvoir de monopsone, sans un rapport de force aussi favorable aux entreprises.

Normaliser le fait de ne pas avoir d'enfants

En cause aussi, le regard porté sur les personnes sans enfant. Evi Nardi, une créatrice de contenu de 35 ans qui entend normaliser le fait de ne pas avoir d'enfant, raconte avoir reçu des centaines de personnes – en particulier celles du secteur des services – sommés de travailler à Noël ou pour le Nouvel an sous prétexte qu'ils n'avaient pas d'enfant. Certains travailleurs ont même déclaré qu'on leur avait demandé de travailler pendant leurs congés pour que les parents puissent avoir du temps libre, ou de poser leurs vacances en fonction des contraintes de ces derniers. Evi Nardi a déclaré qu'elle « ne peut même pas imaginer à quel point il est difficile » de concilier travail et enfant, car « parfois, même se contenter de travailler seule et prendre soin de soi, c'est beaucoup. » D'après elle, les parents bénéficient parfois de plus de considération et de flexibilité. De leur côté, de nombreux parents se sentent dépassés.

Face à ce constat, les employés américains s'organisent lentement mais surement, notamment par le biais de syndicats leur permettant d'assurer salaires plus élevés, flexibilité, et protections sociales. En ligne de mire aussi : des services de garde d’enfants directement sur le lieu de l'entreprise et une politique de recrutement en phase avec les objectifs demandés. « Nous devons tous nous unir et réaliser que nous vivons des luttes de classes, des luttes entre travailleurs et employeurs – nous ne vivons pas une lutte entre parents et non-parents », a déclaré Betsy, entrepreneuse et mère d'un jeune enfant. « Je pense que nous devons prendre du recul et voir comment les problèmes systémiques plus vastes nous font tous sentir – parents et non-parents – que nous devons rivaliser pour les emplois et les salaires alors que les entreprises réalisent des bénéfices records d'un milliard de dollars chaque année. »

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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