Un jeune orthodoxe sur fond d'église orthodoxe russe, à Vladimir

« Orthobros » : pourquoi l'orthodoxie séduit les jeunes hommes américains

© Ours et Freepik

De New York à San Francisco, une nouvelle vague de jeunes hommes conservateurs se convertit à l'orthodoxie chrétienne. Enquête sur un phénomène qui pourrait bien traverser l'Atlantique.

Andrew Brodsky apparaît dans sa modeste chambre de West Virginia. Derrière lui, une bannière liturgique orthodoxe ornée d'une croix et d'inscriptions en grec. Ce jeune homme de 21 ans fait visiter son espace personnel, s'attardant sur un petit autel surmonté d'icônes orthodoxes. « Les sens jouent un rôle essentiel dans l'orthodoxie, explique-t-il. Tu vois l'icône, tu sens l'encens, tu écoutes les chants antiques. »

C'est durant une nuit d'insomnie qu'Andrew a découvert la foi orthodoxe. « Un soir où je n'arrivais pas à dormir, j'écoutais une playlist, et soudain des chants orthodoxes ont commencé. Je n'avais jamais entendu quelque chose comme ça, raconte-t-il. Quand je suis entré dans l'église pour ma première liturgie, j'ai ressenti exactement la même chose. C'était comme si j'étais exactement là où je devais être. »

Andrew illustre une tendance qui émerge depuis quelques années aux États-Unis. Étudiant en psychologie et théologie, conservateur, célibataire, il partage plusieurs caractéristiques avec les nouveaux convertis à l'orthodoxie : de jeunes hommes en quête d'une forme de christianisme plus traditionnelle et plus « masculine ». Baptisé catholique puis protestant, il a trouvé sa voie dans l'orthodoxie après une recherche spirituelle commencée sur YouTube.

Des chaînes comme Orthodox Ethos et Ancient Faith Radio ou les vidéos du père Spyridon Bailey servent de porte d'entrée vers cette tradition, un phénomène numérique qui s'inscrit dans une quête d'authenticité religieuse.

Selon plusieurs articles publiés dans le New York Post et le Telegraph fin 2024, les paroisses orthodoxes américaines auraient connu une augmentation de près de 80 % des conversions en 2022 par rapport aux niveaux prépandémie. Plus significatif encore : 60 % de ces convertis seraient des hommes, alors que la plupart des confessions chrétiennes occidentales intègrent davantage de femmes.

« Nous n'avons pas de données statistiques rigoureuses sur les conversions à l'orthodoxie aux États-Unis, explique Sarah Riccardi-Swartz, anthropologue à la Northeastern University. Mais j'ai observé un afflux massif de convertis. Des paroisses qui accueillaient habituellement 7 à 10 convertis par an en comptent désormais 20 à 30. Il y a indéniablement une augmentation significative, particulièrement parmi les jeunes hommes. »

Sur le terrain, les témoignages de prêtres confirment cette tendance. « La dernière période de quatre à cinq ans a connu une montée en flèche. Cela se produit massivement partout dans le pays », affirme le père Josiah Trenham, qui dirige l'église orthodoxe Saint-André à Riverside, en Californie.

Ce phénomène reste toutefois à relativiser. Selon les données du Pew Research Center (février 2025), les orthodoxes ne représentent qu'environ 1 % de la population américaine, soit approximativement 1,8 million de fidèles. Historiquement, l'orthodoxie aux États-Unis a toujours été principalement liée à l'immigration en provenance de pays orthodoxes (Grèce, Russie, Ukraine, Roumanie). En Europe occidentale, l'historien Jean-François Mayer observe quelques indices épars d' « une augmentation inhabituelle de jeunes gens qui s'intéressent à l'orthodoxie. L'échantillon n'est pas suffisant pour en tirer des conclusions, mais [il pressent] que quelque chose émerge peut-être ».

Retour aux sources ?

Pourquoi ces jeunes Américains, pour la plupart protestants, se tournent-ils vers l'orthodoxie ? Riccardi-Swartz établit un parallèle avec les « spirituels mais pas religieux » – ces personnes qui rejettent les institutions religieuses traditionnelles au profit d'une quête spirituelle personnalisée.

« Ces deux mouvements partagent une désillusion face au christianisme mainstream américain et une recherche d'authenticité », explique l'anthropologue. « La différence fondamentale, c'est que les "spirituels mais pas religieux" abandonnent les structures institutionnelles, tandis que ces jeunes convertis cherchent une institution qu'ils considèrent comme plus authentique, plus ancienne, et selon eux moins corrompue par la modernité. »

Cette quête d'authenticité historique revient constamment dans leurs témoignages. « Je me suis intéressé à l'Église antique et je cherchais quelle église pouvait être la plus proche du christianisme ancien. L'orthodoxie m'a semblé être la plus fidèle », explique Noah Jefferson, 25 ans, interrogé pour cette enquête.

La recherche d'une connexion directe avec le christianisme des premiers siècles est un facteur clé de conversion. Dans un article publié par American Reformer en décembre 2024, le père Josiah Trenham, lui-même ancien calviniste converti à l'orthodoxie, exprime son inquiétude face à ce qu'il perçoit comme une érosion des traditions chrétiennes par les universitaires modernes, les politiciens et les leaders religieux. Pour lui, l'orthodoxie représente un rempart contre cette dissolution.

Paradoxalement, l'orthodoxie partage avec le protestantisme une critique de la suprématie du pape, ce qui peut faciliter la transition. « S'ils veulent revenir à la structure originale de la chrétienté, ils vont aller à l'Église orthodoxe », note Riccardi-Swartz.Emmanuel Castillo, 32 ans, ancien lutteur devenu orthodoxe en 2019, le dit sans détour : « Dans les églises protestantes que j'ai fréquentées, l'ambiance ressemblait à celle d'un bar le samedi soir. Après avoir lu les évangiles, je savais que ce n'est pas comme ça qu'ils pratiquaient il y a 2 000 ans. »

« Trop féminisées » : le rejet des églises occidentales

Autre facteur récurrent : le sentiment que les églises occidentales se seraient « féminisées ». Cette critique vise le protestantisme qui permet aux femmes de devenir pasteurs, et le catholicisme post-Vatican II.

« Ils croient que Vatican II a féminisé l'Église catholique », explique Sarah Riccardi-Swartz.

Cette recherche d'une masculinité traditionnelle s'accompagne de tensions. L'anthropologue rapporte un incident révélateur : lors d'une conférence à Boston, des femmes ont porté des icônes durant une procession. « Une vidéo a été publiée, et l'une des femmes a reçu des messages haineux et des menaces de mort. »

« Les femmes, particulièrement les plus jeunes, sont désillusionnées par l'Église orthodoxe actuellement parce qu'elles voient arriver des hommes incroyablement misogynes, observe aussi l'anthropologue. Des femmes orthodoxes de culture quittent l'Église face à cette vague de nouveaux convertis aux discours problématiques. »

Contrairement aux autres confessions chrétiennes, les églises orthodoxes séduisent désormais davantage d'hommes que de femmes. Cette particularité s'explique en partie par l'exigence du culte : le Grand Carême orthodoxe prohibe viande, produits laitiers et œufs pendant quarante jours ; les offices, qui durent jusqu'à trois heures, se font debout. Le père Josiah Trenham y voit un retour de l'aspect guerrier du christianisme : « Les hommes sont attirés par l'orthodoxie parce qu'elle ne fait pas de compromis. C'est une forme de christianisme avec de vraies exigences et de vrais résultats. »

Virilité, discipline et prière : le nouveau cocktail masculin

Alex James, alias « Coach_Chinghis » sur Instagram, raconte son parcours d'ancien accro à la pornographie sauvé par l'orthodoxie. « L'orthodoxie m'a offert ce que la thérapie moderne n'a jamais pu : une ascèse complète, un combat spirituel qui donne sens à mes luttes », écrit-il. James voit dans les disciplines ascétiques orthodoxes un antidote à ce qu'il considère comme une addiction collective.

Le cas de Roosh V illustre la complexité de ces conversions. Figure controversée du mouvement masculiniste, il s'est converti à l'orthodoxie en 2019 et a depuis retiré ses guides de séduction de la vente.

Cette dimension protectrice attire des hommes en quête d'une masculinité redéfinie. L'orthodoxie leur propose une virilité fondée sur la maîtrise de soi plutôt que sur la domination. Les hiérarchies ecclésiastiques commencent toutefois à s'inquiéter. « La "masculinité" n'est pas un terme orthodoxe, réfute Mgr Irénée de Londres. Si vous êtes ici parce que vous pensez que c'est un endroit où vous pouvez renforcer une certaine masculinité culturelle, s'il vous plaît, continuez votre chemin – allez ailleurs. »

Barbes, icônes et polémiques : les nouveaux croisés du Web

Cette quête trouve son expression radicale chez les « orthobros » – contraction d'« orthodoxe » et de « bro » –, ces jeunes hommes qu'Urban Dictionary décrit comme « arborant une barbe tout en maintenant une silhouette musclée, lançant des attaques en ligne contre les formes de christianisme qu'ils jugent hérétiques ».

Noah Jefferson, 25 ans, ancien protestant converti à l'orthodoxie, a été modérateur sur le serveur Discord de Jay Dyer, figure influente de l'orthodoxie en ligne. « J'étais fasciné par cette communauté en ligne, confie Jefferson, mais j'ai vite découvert une forme de fondamentalisme orthodoxe qui n'avait plus grand-chose à voir avec la vie paroissiale. » Jay Dyer, avec ses 116 000 abonnés YouTube, propose des contenus mêlant religion et géopolitique. Quand Jefferson a exprimé des désaccords, il s'est retrouvé victime de harcèlement. « Ils sont extrêmement anti-œcuméniques, explique Jefferson. Toute ouverture au dialogue avec d'autres confessions chrétiennes est perçue comme une trahison. »

Ce phénomène crée une fracture entre l'orthodoxie vécue en ligne et celle des paroisses. Pour de nombreux jeunes convertis via Internet, les orthobros deviennent des catéchistes de substitution, à l’origine d’une culture orthodoxe parallèle marquée par un conservatisme rigide.

Des conversions politisées

Les conversions à l'orthodoxie affichent désormais une coloration politique marquée. « Aujourd'hui, l'idéologie politique façonne davantage le processus », affirme Sarah Riccardi-Swartz. L'anthropologue a recueilli les propos saisissants d'un abbé en Virginie-Occidentale : « Les États-Unis représentaient autrefois le christianisme, et la Russie représentait l'antichristianisme. Et maintenant cette position s'est inversée. »

La fascination pour la Russie s'explique par l'attrait qu'exercent les modèles politiques hiérarchiques. « Ils admirent le passé de l'Église orthodoxe où nous avons des saints qui étaient aussi des monarques, précise Riccardi-Swartz. Tout ce qui ressemble à une structure politique hiérarchique les attire particulièrement. » La quête spirituelle se mêle à l'admiration géopolitique. « Le type qui était passé par le bouddhisme était la personne la plus pro-Poutine à qui j'aie parlé, raconte Riccardi-Swartz. Il m'a même dit que Poutine devrait envahir les États-Unis et être couronné tsar. »

Et cette position reflète une réalité : l'orthodoxie n'est pas monolithique. Car l'Église grecque reste en communion avec Constantinople, qui a rompu avec Moscou à la suite de la question ukrainienne. De nombreux convertis comme Andrew Brodsky, rattachés à la tradition grecque, rejettent l'idéalisation de Poutine.

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Juste du coup, le visuel du jeune homme entouré d'écritures en arabe sur fond de mosquée, c'est quoi le rapport? vous n'avez pas trouvé de photos d'une église orthodoxe?

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