Une jeune fill tient un miroir recouvert de pilules

Moi, mon taux de glucose et mes 10 000 pas : tout mesurer pour ne pas mourir

© Matteo Badini

L’information, c’est le pouvoir. Surtout quand elle concerne son cholestérol et son microbiote intestinal.

Il n’y a pas que les millionnaires exubérants et mélancoliques que les soubresauts de leur pénis et la durée de leur sommeil paradoxal obsèdent. Aujourd’hui, tech bros, ex-participants à l’émission de télé-réalité Love Island et mères de famille entendent également « libérer le pouvoir de la science » (unlock the power of science) pour prendre soin de leur santé.

C’est la promesse de la startup britannique ZOE, cofondée par Tim Spector, épidémiologiste génétique au King's College de Londres. Dans de jolis cartons colorés et en échange de 299 livres sterling, ZOE envoie à ses clients de quoi réaliser à la maison une série de tests : de sang, de selles... L'objectif : évaluer leur glycémie, cholestérol et microbiote intestinal pour leur proposer une alimentation sur-mesure. Coût de l’abonnement mensuel : £24.99. Vous savez ce que dit l’adage : « se sentir mieux en vivant à la manière ZOE » (feel better, living the ZOE way). Aujourd'hui, ZOE compte 130 000 abonnés et plus d'un demi-million de followers sur Instagram.

@mallurpaal

I am so excited for this journey with ZOE!! Stay tuned to see me eat a blue cookie ! !! 💛 #zoe #bluecookie #zoenutrition #zoenutritionforlife

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Un marché évalué à 650 milliards d'ici 2025

En 2022, le marché mondial de la santé numérique était évalué à plus de 330 milliards de dollars, un chiffre qui devrait, selon des prévisions récentes, dépasser les 650 milliards d'ici 2025. Aujourd'hui, 46 % des adultes britanniques déclarent utiliser des technologies de surveillance de la santé, comme une Apple Watch ou Fitbit. En France, l’intérêt pour la « neuromanie », l’observation des neurones pour expliquer et améliorer certains phénomènes liés à la santé, ne cesse de croître. Nous n'en avons pas fini avec le quantified self, la mesure du soi.

En Amérique du Nord, la startup canadienne Prenuvo plébiscitée par Kim Kardashian propose des IRM du corps complet. Nul besoin de prescription, il suffira de débourser 2 500 dollars. La New-Yorkaise Ezra affiche un tarif plus abordable : 1 350 dollars pour le scan d'entrée de gamme. Dans les deux cas, l'intention est la même : détecter des maladies graves à des stades précoces. Pour l’instant, la proposition ne concerne que les plus riches : ceux qui, de San José à la Silicon Valley, sont prêts à investir pour préserver scrupuleusement leur capital santé. Un récent sondage indique que 46 % des Américains aux revenus annuels supérieurs à 250 000 dollars sont prêts à dépenser la majorité de leurs revenus pour perfectionner leur santé, et que 42 % d’entre eux sont enclins à suivre des traitements risqués. 

Des deux côtés de l’Atlantique, l’envie furieuse de prolonger son existence grâce à la mesure et les ajustements prolifère. Parmi les têtes d’affiche française : la startup Zoi lancée fin 2023. Sa promesse : fournir « l’expérience de check-up la plus aboutie ». Coût de la prestation : 3 600 euros. Sur la base d’un algorithme « maison » et d’une pléthorique batterie de tests (échographie du corps, électrocardiogramme, capacité pulmonaire, acuité visuelle, prélèvements sanguins testant plus de 200 biomarqueurs, analyse du microbiote…), la société établit pour ses clients des recommandations personnalisées pour vivre plus longtemps.

Se mesurer sous toutes les coutures et collecter des données n’est plus l'apanage des malades et des hypocondriaques. Utilisés par les diabétiques depuis des années, les capteurs de glycémie sont devenus des symboles de statut social pour les plus aisés. Stylisés et ornés de logos, on les retrouve désormais couplés à des programmes fitness comme HelloLingo, Signos, Veri et The Better Nutrition Programme. Une passion pour les objets connectés qui va au-delà des montres. Des chercheurs de l'Université de Washington ont conçu la Thermal Earring, une boucle d’oreille de la taille et du poids d'un petit trombone. Sa fonction : surveiller la température corporelle de l'utilisateur, les signes de stress, l'exercice, l'alimentation et l'ovulation.

Mesure-moi si tu peux

De manière générale, les femmes dépensent plus dans la santé que les hommes, et elles ont 75 % de chance de plus qu’eux d’utiliser des outils numériques. En effet, le secteur des femtech est censé passer de 47 milliards en 2022 à 108,8 milliards en 2032. (Le secteur recouvre aussi bien les applications de suivi de la fertilité que les bracelets connectés censés lutter contre les bouffées de chaleur durant la ménopause.) Un goût pour la santé que l'on retrouve en ligne. Sur Instagram, la française Jessie Inchauspé (alias glucosegoddess, « la déesse du glucose » ) distille ses conseils permettant de juguler les chutes et piques d’énergies en fonction de son alimentation. Vaut-il mieux ingérer la « salade de Jennifer Aniston », le combo croissant-espresso, ou 4 raisins verts et un bout de fromage ? La réponse à coups de graphes. Biochimiste de formation, celle qui se définit dans sa bio comme une « activiste » est suivie par plus de 3,8 millions d’internautes.

Les hommes ne sont pas en reste. Au média américain, l’historienne Natalia Mehlman Petrzel, autrice de « Fit Nation: The Gains and Pains of America’s Exercise Obsession », explique qu’un changement de mentalité s’est opéré dans les années 70-80. Avec l’apparition d’acteurs charismatiques comme Arnold Schwarzenegger, le soin apporté au corps (alors pour le sculpter) n’est plus perçu comme uniquement et vulgairement féminin. Aujourd'hui, les hommes aussi ont leur gourou en la personne d’Andrew Huberman, professeur agrégé de neurobiologie à Stanford. Pour ses quelque 6 millions d’abonnés Instagram, l’américain entremêle science et santé dans son podcast « Huberman Lab » , proposant des « longevity tools » (outils de longévité), ou des astuces pour « erase memories » (effacer les souvenirs) et « cure blindness » (soigner la cécité). Parmi ses adeptes les plus studieux : une armada de « Huberman Husbands  » et « Bro Diets » qui vantent sur les réseaux les mérites des conseils du professeur en neurobiologie.

« Un curieux mélange d’idéologie et d’évangélisation »

Début 2023, le journaliste Richard Godwin écrit dans son article intitulé « Man vs. Food : The Rise of the Bro Diet » : « Tout cela est un curieux mélange d’idéologie et d’évangélisation : ma science est meilleure que la vôtre ; mon expert sait mieux que votre expert. » Le journaliste l’a bien remarqué : l’épicentre de l’optimisation de l’alimentation et de la condition physique grâce à la donnée est localisé à Stanford, au cœur de la Silicon Valley. Sur zone, le multimillionnaire Bryan Johnson s’enorgueillit d’ailleurs d’ « être potentiellement la personne la plus mesurée de l’histoire au monde. » Rien d’étonnant pour les observateurs. « Le suivi corporel semble souvent avoir pour objectif d'acquérir un avantage concurrentiel au travail ainsi que dans le style de vie », précise The New York Times.

Résultat : le biohacking, la discipline qui permet d’aborder le corps comme un programme informatique à perpétuellement bidouiller et peaufiner, fait saliver les VC. « Des centaines de millions de dollars sont levés par les investisseurs pour investir dans la reprogrammation, visant spécifiquement à rajeunir des parties ou la totalité du corps humain », a déclaré David Sinclair, chercheur anti-âge à Harvard, au MIT Technology Review en 2021. Après les universitaires, le mouvement antivieillissement a séduit les pontes de la Silicon Valley. Parmi eux : Peter Thiel ou encore Jeff Bezos, qui investit dans la biotech Altas Labs, spécialiste du « rajeunissement cellulaire ». Avec le déploiement de l’IA, le secteur s'enrichit de nouvelles possibilités. Avec sa société Insilico Medicine, le programmeur et physicien Alex Zhavoronkov affirme avoir créé le premier « vrai médicament à base d’IA ». Ce dernier permettrait des traitements personnalisés, en proposant par exemple de moduler la chimique du médicament. En décembre dernier, Jensen Huang, CEO de Nvidia, prétend lors d’une conférence que la « biologie numérique » serait la « prochaine révolution étonnante » pour l'IA.

En attendant, l’envie de se mesurer et de s’optimiser titille aussi les plus jeunes. Aux États-Unis, la génération alpha, née après 2010, est responsable de 49% de la croissance des ventes de soins de la peau. Leur obsession : le collagene banking, le fait de faire prospérer son petit capital de collagène. Bientôt à grand renfort d’applications et autres appareils connectés permettant de comptabiliser les distances parcourues pour assurer ses 10 000 pas journaliers ? Un choix rationnel et sage pour les uns, une aliénation pour les autres. Dans The Atlantic, Caroline Mimbs Nyce observe au sujet de son Apple Watch : « Un petit monstre vit à mon poignet et chaque jour, je me réveille prêt à le combattre. La plupart du temps, je perds. » Comme le conclut la journaliste Victoria Song, peut-être vaut-il mieux ignorer son traqueur fitness et marcher jusqu’au Mordor.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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