Une montre connectée sur fond rose

Michael P. Snyder : « Le but est de vivre mieux et longtemps plutôt que de mourir »

© FB

Interview du célèbre généticien américain qui œuvre depuis une quinzaine d'années dans le domaine de la santé prédictive.

Sur les 8 dernières années, il s'est fait scanner l'intégralité du corps près d'une vingtaine de fois. Face à son écran, il exhibe trois montres connectées : une Apple, une Garmin, et une Sensomics, la marque qu'il a co-fondée. En temps normal, Michael P. Snyder a quatre montres, mais la dernière s'est cassée. À son doigt, une bague Oura, qui enregistre son sommeil, son activité physique, sa santé cardiovasculaire ou ses montées de stress. Il porte aussi un appareil auditif qui mesure la qualité de son audition et la fréquence de ses interactions sociales. Quand il voit mes poignets nus, un peu déçu, il m'interroge : « Et vous, vous n'avez pas de montre connectée ? Il le faut absolument, vous passez à côté de plein d'informations ! »

Michael P. Snyder dirige le service Génomique et médecine personnalisée à Stanford. Ancien directeur du centre Genetics, Genomics and Proteomics à Yale, il y invente au début des années 90 le domaine d'étude interdisciplinaire de la « systems biology », l'analyse et la modélisation informatique et mathématique de systèmes biologiques complexes. Aujourd'hui, le chercheur entend mettre les mégadonnées au service de la santé. Et pour cela, il s'est proposé comme cobaye. « Il y a plus de données sur Michael Snyder que sur n’importe quel humain dans l’histoire », affirmait le Times en 2023. C'était avant la percée médiatique du milliardaire Bryan Johnson, susceptible de revendiquer le titre. Grâce à ses recherches, et alors qu'il était encore en état présymptomatique, le généticien prétend avoir pu détecter chez lui un diabète de type 2, une insuffisance cardiaque, et une maladie de Lyme. À la tête de presque 200 personnes au sein du laboratoire de la prestigieuse université californienne, Michael P. Snyder conduit des recherches dans la santé prédictive et ultra-personnalisée. Et n'oublie pas de lancer des startups chargées de diffuser et commercialiser les résultats de ses travaux universitaires, main dans la main avec des acteurs de la Silicon Valley. Une nouvelle idée de la médecine ? Et de ses business models...

Quel est l’objectif visé par votre laboratoire ?

Michael P. Snyder : Le but est simple : vivre mieux et longtemps plutôt que de mourir. Depuis mon arrivée à Stanford il y a une quinzaine d'années, je m'efforce de fusionner les technologies pour trouver des pistes d'amélioration de la santé. À cet effet, nous mesurons beaucoup de choses, les lipides, les métabolites (des composés du métabolisme) et les protéines dans le sang grâce à la spectrométrie de masse. En séquençant le génome, nous essayons de déterminer, s'il est possible de prédire les prédispositions génétiques. Nous utilisons le séquençage de l'ARN (RNA-Seq, de l’anglais RNA sequencing) pour identifier et quantifier l'ARN issu de la transcription du génome, et le séquençage nouvelle génération pour étudier le microbiome, une communauté de micro-organismes que l'on retrouve sur toute la surface du corps. Depuis une dizaine d'années, nous utilisons aussi les objets connectés pour collecter de nouveaux types de données. Cela nous a permis d'accumuler des millions de données sur les 200 personnes travaillant au sein de notre laboratoire. Les trois dernières années, nous avons découvert de nombreux lymphomes et problèmes cardiaques chez la centaine de personnes (au sein de notre laboratoire et en dehors) sur qui nous avons réalisé notre étude. Avec notre recherche, c'est comme si nous disposions des 600 pièces d'un puzzle de 1 000 pièces, contre seulement 5 ou 6 auparavant.

Pourquoi privilégier cette approche de la santé ?

M. P. S : À bien des égards, le système de santé américain est en ruine. Une petite prise de sang, un peu de temps passé avec un praticien... Il ne se passe pas grand-chose lors des rendez-vous médicaux, à la suite desquels les résultats obtenus sont comparés à des moyennes calculées sur une large partie de la population, ce que je n'estime pas très pertinent, et ne sert pas vraiment les intérêts du patient. Un chiffre fou qui montre combien les disparités en termes de santé sont importantes : aux États-Unis, la durée de vie peut varier de 14 ans selon les individus. Quand on a commencé à séquencer le génome, on se basait sur les cas d'individus en bonne santé. La plupart des médecins n'approuvaient pas, ils estimaient que cela transformerait tout le monde en hypocondriaques. Pour nous, il faut aller chez le médecin pas seulement quand on est malade, mais aussi quand on est en bonne santé, quand les choses sont encore réparables, et non quand il est trop tard.

Pourquoi la collecte de donnée est-elle si importante pour votre recherche ?

M. P. S : À titre personnel, je me suis fait scanner l'intégralité du corps 17 fois. À ce jour, j'ai amassé plus de 2 pétaoctets de données sur moi, peut-être plus, j'ai un peu perdu le fil... Pour cela, je porte différentes montres connectées, afin de croiser les données obtenues. Certaines montres ne mesurent pas avec la même acuité les différents éléments que je surveille, comme le taux d'oxygène dans le sang, la pression sanguine ou le rythme cardiaque. Pour pouvoir établir des comparaisons, il faut effectuer des mesures sur la durée, c'est clé. Cela permet d’établir un point de départ pour vous comparer à vous-même plutôt qu'aux autres.

Comment votre laboratoire collabore-t-il avec des entreprises privées ?

M. P. S : Lorsque nous découvrons des choses intéressantes au laboratoire, nous procédons à des spin-off (ndlr : la création de nouvelles entreprises dans le cadre de scissions relatives à une branche d'activité d'une société existante. Cela passe par la distribution sous forme de dividendes aux actionnaires des actions de la filiale en échange des actions d'origine de l'entreprise mère). Cela nous permet de commercialiser et déployer à grande échelle les solutions développées. Nous avons par exemple développé Q Bio, qui procède pour le compte de particuliers à des recherches approfondies de données, notamment par le biais de d'IRM du corps entier. Comme de nombreuses personnes sont concernées par le diabète dans notre pays, nous avons lancé January AI, autour de la surveillance continue de la glycémie. L'application peut, par exemple, prendre un plat en photo et calculer pour chaque ingrédient l'indice glycémique correspondant. On a aussi lancé le « microsampling », un système sur lequel on a travaillé plus de 7 ans, et qui permet à partir d'une seule goutte de sang de mesurer des centaines de molécules. Je sais que cela ressemble un peu à Theranos, sauf que cela marche vraiment. (Ndlr : la start-up Theranos fondée par l'américaine Elizabeth Holmes a levé 945 millions de dollars sur la base d'une promesse : révolutionner le secteur de la santé en réalisant plusieurs centaines de tests sanguins à partir d'une seule goutte de sang. La technologie n'a toutefois jamais fonctionné et Elizabeth Holmes, triste symbole des dérives de la Silicon Valley, a été condamnée en 2022 a plus de 11 ans de prison pour fraude.) Pour faire advenir toutes ces entités, nous nous tournons vers les entreprises. Et c'est assez facile puisque nous sommes dans la Silicon Valley. Le problème, c'est qu'à ce jour il faut payer de sa poche pour profiter de ces solutions, alors qu'elles devraient être prises en charge par notre système de santé.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire