Deux étudiantes contrariées en 1er plan dans un salle de cours avec deux autres élèves au fond qui travaillent

Parcoursup : le cauchemar des élèves et de leurs parents

© RDNE Stock project

Introduite depuis 2018, la plateforme promettait de favoriser l’égalité des chances au moment de l’orientation des étudiants. Est-ce le cas ? Même pas. Témoignages.

Estelle, 18 ans, n'a reçu que des refus l'an passé sur Parcoursup. Partie étudier en Belgique provisoirement, elle se réinscrit cette année dans l'espoir d'accéder à son école de prédilection. Réutiliser la plateforme a été source de stress.​ « Il y a un an, l'annonce a été très brutale. J'ai consulté mes vœux et c'était juste écrit : "REFUSÉ". J'ai pris un coup au moral et à ma confiance en moi. Je suis très stressée à l'idée de ne pas être prise de nouveau. J'ai beaucoup de mal à dormir, je ne pense qu'à ça », confie-t-elle.​ Mention bien au bac, Emy, 18 ans, fait aussi partie des « sans-facs » qui retentent leur chance cette année sur Parcoursup.​ « Au début, c'était vraiment pas facile. Je me sentais nulle, surtout quand j'ai vu tous mes amis faire leur rentrée. Forcément, j'ai peur que ça se reproduise », dit-elle.​ Stella, 17 ans, craint également de ne voir aucun de ses vœux acceptés, malgré ses 17 de moyenne.​ « J'ai candidaté à des écoles, avec des taux d'accès dans les 3 %, qui sont assez demandées », précise-t-elle.​

Élèves en stress et parents sous pression

Cette anxiété n'épargne pas les parents. Pour se rassurer, Julien, informaticien de 52 ans, a pris en charge les candidatures de son fils et de sa fille. Malgré cela, un rituel anxieux s'est installé. « Tous les deux jours, je vérifiais que le dossier était bien là, comme quand on s'assure trois fois que la porte est bien fermée », explique-t-il. L’opacité entourant les critères d’admission dans le supérieur contribue au climat anxiogène. Julien se rappelle : « C'est lorsque ma fille s'est réorientée en L1 que j'ai eu le plus peur. Je ne savais pas si elle avait autant de chances que les lycéens. Est-ce qu’il y a un quota pour les réorientations ? »

L’orientation se décide bien avant le bac

Pour Sonia, 55 ans, mère de Lalie, 18 ans, en terminale, le stress a commencé dès la troisième, quand sa fille a dû décider si elle poursuivait en section générale.​ « Elle avait une moyenne correcte, mais elle n'a su que très tardivement comment s'orienter. Il a fallu passer par un coaching personnalisé et des stages pour qu'elle puisse se connaître un petit peu », indique Sonia. Pedro, 19 ans, féru de mode, a aussi le sentiment que son orientation s'est jouée dès la troisième. « J'ai toujours voulu aller dans une filière artistique, mais la conseillère d'orientation et le directeur de mon collège trouvaient que ce n'étaient pas des "métiers d'avenir". Quand, en seconde, je me suis rendu compte que je n'étais pas à ma place en filière pro, j'ai multiplié les démarches pour me réorienter en filière STD2A, ce qui m'aurait permis d'avoir un accès quasi direct aux écoles d'art. J'étais prêt à redoubler, à aller en pensionnat, etc. Je n'ai pas été accepté, l’étape de la troisième est déterminante », déclare-t-il, dépité.​ Pessimiste quant à son avenir, il a le sentiment qu’on n’accorde pas de seconde chance après une erreur de parcours : ​ « Pour moi, c'est presque déjà trop tard. Mis à part un bon dossier créatif, rien n'est à mon avantage pour Parcoursup. » ​ Effectivement, la plateforme n'aide pas les accidentés de l'orientation à se valoriser. Pedro le déplore : « On se sent bridés. Pour candidater à des filières artistiques, on doit déposer un gros fichier, avec un nombre de mégaoctets limité. Le rendu est médiocre, ça nuit à notre image. » Stella renchérit : « C’est dur de se dévoiler dans des lettres de motivation limitées à 1 500 caractères. »

Face à l’outil, la complète inégalité des chances

Pour constituer leur dossier, tous les élèves ne sont pas logés à la même enseigne. Stella a tout fait toute seule, dans l'urgence. « J’ai séché trois journées de cours pour candidater. Pendant cinq jours, je n’ai dormi que deux à quatre heures par nuit, de peur de ne pas terminer à temps. Je ne savais pas que c'était si chronophage. Sans compter qu'en parallèle de Parcoursup, on a toujours des évaluations et des travaux à rendre. » À l’inverse, les enfants de Sonia ou de Julien n’ont pas eu à apprendre à maîtriser toutes les subtilités de la plateforme. Julien ne s'en cache pas : « Les gamins n’ont absolument rien fait, pas même les lettres de motivation. C'est moi qui ai rentré leurs vœux, autrement ils en auraient choisi trois. C’est de l'administratif pur, il n'y avait pas de raison de les laisser le faire. » Il estime même qu'il s'agit d'un devoir parental : « Beaucoup de parents ne font pas leur boulot. Les enfants ont beau être majeurs, ils ne connaissent encore rien à l'administratif. » Dans certaines familles, ce sont les frères et sœurs qui prennent le relais. « Mon grand frère, qui est dans le graphisme, m'a aidé pour mon portfolio », précise Pedro. 

Un accompagnement très inégal selon les lycées

À cette inégalité sociale s'ajoute la différence d'accompagnement prodiguée par les établissements. Gabriel, enseignant dans un lycée hors contrat parisien, bénéficie davantage de moyens pour orienter les élèves et les aider à candidater. « On présente les spécialités dès la seconde, on organise une conférence en première et terminale, et les familles ont droit à un entretien individuel. » Les enseignants prennent même une part active dans l'inscription sur Parcoursup. « Les parents gèrent la partie administrative, puis on complète le dossier, qui remonte jusqu'au lycée. » Avec une vingtaine de terminales en STMG, il a le temps d'appeler les écoles pour avoir des retours. « C’est une sorte de service après-vente, assez fourni. Dans un lycée de 800 élèves, ce serait juste impossibl. »

Son collègue Olivier, directeur pédagogique et enseignant en terminale, regrette le manque d'informations délivrées dans d'autres établissements. « Certains élèves choisissent des spécialités à la sympathie, puis se rendent compte en terminale qu’elles leur ferment des voies. » Il alerte sur un non-dit : « Il existe des “spés majeures” qui ouvrent toutes les portes, comme la physique, et des “spés mineures” comme LLCR anglais. Mais personne ne le dit clairement. » Ce vide informationnel pousse certaines familles à recourir à des coachs en orientation privés. Olivier, lui-même, est devenu conseiller indépendant par la force des choses. « Des parents d'élèves m'ont recommandé à d'autres, extérieurs au lycée. Il y a une véritable demande. »

Une sélection sociale déguisée

Pour Gabriel, le problème n’est pas tant Parcoursup que l’usage qui en est fait et le manque de transparence vis-à-vis des élèves. « Parcoursup n'a pas d'algorithme. C'est une très bonne base de données nationale, mais c'est une sélection sociale qui ne dit pas son nom. Certains établissements connaissent très bien la qualité d'enseignement des lycées. » Olivier complète : « À l'époque de la création de Parcoursup, le ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse Jean-Michel Blanquer voulait mettre en place un indice établissement pour informer sur la qualité des lycées. Le projet avait fait bondir, car cela contrevient à "l'égalité des chances". Mais ça n'empêche pas les écoles de recourir à des algorithmes extérieurs (notamment leur propre fichier d'expérience élèves), pour faire leur sélection en fonction de ce critère. »

Pour Olivier, la généralisation du contrôle continu est trompeuse. Elle induit en erreur les élèves quant à leurs chances d'accéder aux établissements du supérieur. « Dans le public, on achète la paix sociale par des notations assez élevées, car le taux de réussite d'un lycée public est conditionné par les notes du contrôle continu. Mais derrière, les établissements du supérieur ont très vite identifié les établissements qui gonflent les notes. Résultat, un bon bulletin n’est pas forcément pris en compte par certaines écoles », prévient-il.

La racine du problème : le manque de places

Derrière la sélection sociale se profile un problème plus structurel : la pénurie de places dans l’enseignement supérieur. Julien, bachelier en 1991, a connu l'époque dorée où la fac était accessible à tous. « Dans les années 90, si on n'obtenait pas d'école, on avait l'université comme filet de secours. On allait sur le campus, on s’inscrivait », se souvient-il. Emy déplore : « Dans les écoles de mode, il y a 15 places par classe. Ce n'est pas assez, on n'est pas 30 artistes en France. »

Parcours balisé vers le privé

Conséquence directe du déficit de places dans le public, les élèves se tournent vers le privé. Depuis sa déconvenue sur Parcoursup, Emy l'envisage sérieusement, malgré les sacrifices financiers que cela impliquerait. « J'ai passé des entretiens pour des écoles privées de peur de ne rien obtenir de nouveau cette année. Si c'est ma seule option, je devrais contracter un prêt étudiant. Pour ceux qui n'ont pas les moyens, je trouve cela injuste. » Les coupes budgétaires universitaires prévues en 2025 (1,5 milliard d’euros) et la privatisation croissante du supérieur laissent présager une diminution des places en fac. Et le triomphe de Parcoursup et des coachs nécessaires pour l’expliquer aux parents…

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commentaires

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  1. Avatar Montméat Renaud dit :

    Bonjour, dans les années 90 nous aurions aimé avoir Parcours Sup et postuler à une multitude d'écoles ou de fac. Je me rappelle les heures nécessaires à constituer le dossier papier d'une seule école. Je rappelle le process: écrire à l'école pour demander l'envoi postal d'un dossier, attendre, le remplir manuellement de longues heures, le renvoyer par la poste, et attendre une éventuelle réponse.
    Parcours sup me semble une avancée.
    Ce qui en revanche ne s'avère plus comme une avancée, est le "bac pour tous", reportant sur le troisième cycle toute la charge de la sélection.

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