Une femme qui se regarde dans un miroir en souriant

Et le côté négatif de la pensée positive, on en parle ?

Omniprésente sur les réseaux et notamment dans les discours des influenceurs ou dans les injonctions concernant la parentalité, la pensée positive a largement infiltré notre manière d'être, sans forcément nous rendre plus heureux.

Que ce soit les happyness managers qui fleurissent dans les entreprises, l’attrait pour les livres de développement personnel dans les librairies, jusqu’aux contenus d’éducation positive proposés à des jeunes parents désespérés, la pensée positive a envahi notre quotidien. Pourtant, cette quête du bonheur à tout prix est loin d’être sans conséquence. Dans son nouvel ouvrage, Critique de la pensée positive, Heureux à tout prix (Erès, 2024), le professeur émérite de sociologie Gérard Neyrand décortique ce concept qui s’est immiscé partout, du monde du travail à celui de l’éducation. 

Comment définir ce qu’est la pensée positive ? 

Gérard Neyrand : La pensée positive est une pensée qui essaye de mettre en avant tout ce qui est positif dans la vie humaine. C'est une idéologie qui voit les choses en rose, et qui dénie le caractère conflictuel et ambivalent de l'être humain et des sociétés humaines. On efface tout ce qui est négatif, les guerres, la précarité, et on se recentre sur le positif, en essayant de proposer des outils pour vivre positivement.

Dans votre livre, vous analysez le fait que la pensée positive est profondément liée au néolibéralisme…

G. N. : La pensée positive est partie de l'idéologie marchande, qui, avec le développement du capitalisme, est devenue un capitalisme de consommation. Un certain nombre d'écrits au début du 20ème siècle vont essayer de prôner, sur la base d'une idéologie capitaliste et religieuse, qu’on peut vivre mieux en faisant un travail sur soi. Dans les années 1920 en France par exemple, c'est la méthode Coué qui s'appuie sur l'autosuggestion positive pour réaliser ses objectifs. Le problème, c'est que bien souvent, la pensée positive s’appuie sur un déni des ambiguïtés de nos sociétés. À la fin des Trente Glorieuses, et lors du choc pétrolier des années 1970, la pensée néolibérale devient la pensée dominante dans les États occidentaux, et elle va trouver dans le discours positif le moyen de proposer aux individus un fonctionnement basé sur la consommation, qui ne remet pas en cause le système en place. Dès lors, elle s’infiltre dans le monde du travail, des loisirs, de la formation… Aux États-Unis, on voit alors émerger la psychologie positive. C’est un courant très controversé et critiqué, car il dénie les travaux de sociologie et de psychologie : il gomme le fait que les individus sont largement surdéterminés par leurs milieux, leurs appartenances, en les surresponsabilisant. 

Vous prétendez que le développement personnel aussi est un support à la pensée positive… 

G. N. : Je n’ai rien contre le développement personnel, j'ai déjà pratiqué le yoga à plusieurs reprises (rires). Bien sûr il est compréhensible de vouloir être mieux dans son corps, dans son esprit, et d'utiliser des techniques pour y parvenir. Mais on a regroupé sous le terme de développement personnel un ensemble de pratiques qui étaient utilisées par les individus dans la recherche de quelque chose, et d'une certaine façon, on les a indexées à une forme de performance. On déplace l’idéologie de la performance sur l’individu, en lui donnant l’illusion qu’il est autonome et le seul responsable de ce qui lui arrive. 

Vous consacrez une grande partie de votre ouvrage à l’éducation positive, et à l’influence de la pensée positive dans la parentalité : pourquoi est-ce un thème important selon vous ? 

G. N. : Cette idéologie a bouleversé la parentalité au 21ème siècle. Le Conseil de l’Europe lui a donné une caution en 2006 à travers un rapport intitulé Politiques visant à soutenir une parentalité positive. Cela a boosté ce mouvement, notamment en France. La parentalité positive va s'appuyer sur certaines branches de la psychologie ou des sciences humaines comme le comportementalisme, ou va largement détourner les travaux des neurosciences qui sont encore balbutiants. Certains résultats sont montés en épingle pour tout justifier d'un point de vue « scientifique ». Finalement, cette parentalité positive va avoir d’autant plus un impact auprès de parents qui sont à la recherche de bonnes recettes pour élever leurs enfants. Sur les réseaux sociaux, ils vont tomber sur ces discours dans lesquels ils vont s’investir puis s’en détourner quand ils constatent que les résultats sont contraires à leurs attentes. On observe un accroissement du taux de burn-out parental depuis 2000, qui atteint les 6% aujourd’hui et qui touche principalement les mères. 

En quoi cette recherche permanente de la perfection, du positif, peut-elle impacter les individus ? 

G. N. : D’une part, en faisant la promotion d’une idéologie capitaliste : le privé doit primer sur le public. On a un gouvernement néolibéral qui a tendance à rogner les acquis de l'État social, au bénéfice d'une privatisation du soutien à la parentalité mais pas seulement, de l'éducation, du soin, du social… De tout un ensemble de fonctions qui sont traditionnellement défendues par l'État. D’autre part, ce discours positif va toucher principalement les mères, car il met en avant un ensemble de capacités qui sont traditionnellement dévolues à la mère, et qui renvoie à la proximité au bébé. On survalorise la maternité proximale, ce qui incite les mères à ne plus travailler. On remet ainsi en question à la fois les avancées qu'ont pu connaître les femmes au cours du 20ème siècle, et l’éducation telle que développée à l’école. Cela accentue le fossé entre la famille et l’école, ce qui se traduit aussi par des burn-out et des dépressions chez les enseignants. Ainsi, l’enseignement est en crise, au même titre que le soin et le social, marqué par la privatisation et l’augmentation des attentes faites aux parents et aux institutions dans cette visée positive. 

En responsabilisant les individus, la pensée positive enlève toute possibilité d’action collective ? 

G. N. : La pensée positive demande à travailler sur soi-même et sa représentation des choses. Cela évite de critiquer la façon dont l’organisation collective produit des inégalités, de la précarité, etc. C’est une pensée très orientée politiquement : même si elle présente un caractère très attractif, c’est une idéologie d’extrême droite.

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commentaires

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  1. Avatar Sylvain Mackowiak dit :

    Dommage que l'article se termine ainsi, sans plus d'explications/précisions.

  2. Avatar Anonyme dit :

    je rejoint le commentaire précedent, article incomplet ou trop politisé

  3. Avatar Anonyme dit :

    Cette analyse me semble tout à fait juste, hélas. j'avais constaté quand mes enfants étaient petits à quel point les mères ne se faisaient pas spontanément confiance en cultivant simplement leur écoute et recouraient à un nombre incroyable de manuels

  4. Avatar Anonyme dit :

    Vous avez raison, c'est le problème des interviews, qui sont toujours très résumés. Mon livre sur la question vient de paraître aux éditions érès : Il développe l'argumentation en 240 pages. Ce qui permet d'être plus précis et circonstancié.
    Gérard Neyrand

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