Captures du compte Instagram Pretty Little Things

L' « aesthétique » du bluff : quand le look old money s'achète sur Shein

La montée du conservatisme dans la pop culture se mesure aussi par le succès d’aesthetics en apparence inoffensives.

La nouvelle n’en finit pas de faire parler le monde de la mode. PrettyLittleThing, marque britannique de fast fashion a dévoilé début mars une nouvelle collection, la première d’un relooking intégral. Fondée en 2012 et rachetée par le méga groupe Boohoo en 2020 (l’ADN vous parlait déjà en 2021 de leurs dérives), elle avait bâti son succès sur une image jeune et sexy, à base de crop tops moulants et autres minijupes. Mais tout ça, c’est fini. Son cofondateur Umar Kamani a expliqué vouloir faire de « PLT » la nouvelle référence du « luxe accessible ». Les robes se rallongent, le rose flashy fait place au beige.

La revanche des WASP

La tendance est aux styles « old money » ou « quiet luxury », qui consistent à s’habiller comme les WASP, les « White Anglo-Saxon Protestant », l’élite de la nation américaine, comme la marque le revendique désormais sur son site : « Le style old money, cette tendance qui se retrouve en ce moment sur tous les réseaux, arrive enfin sur PLT. Que vous bluffiez ou pas, un look old money vous permet de vous distinguer grâce à une tenue chic, sans avoir à exposer votre richesse. »

Bien sûr, ce rebranding est avant tout une affaire d’image. Tout y passe : du logo à l’identité graphique jusqu’au choix des mannequins. La marque, qui misait jadis sur la diversité et le mouvement body positive avec des modèles grandes tailles et racisées, a mené sa nouvelle campagne avec des silhouettes presque exclusivement blanches et très minces. D’ailleurs, le site ne commercialise plus les tailles au-delà du 44 pour sa collection principale. « L’inclusivité est en train de passer de mode. Cela a été digéré, justement, comme une mode qui n’a souvent pas donné lieu à des mutations pérennes dans la production de vêtements », réagit Alice Pfeiffer, journaliste de mode indépendante.

Si l’inclusivité et le progressisme passent de mode, qu’est-ce qui vient les remplacer ? « Ce rebrand n’est qu’une conséquence de nos propres choix : ceux d’incarner des valeurs conservatrices dans nos vêtements, que ce soit intentionnel ou non », lance, implacable, la créatrice de contenu néerlandaise Molly Rooyakkers derrière le compte @styleanalytics. Elle met en parallèle la chute en bourse de la marque qui a précédé ce rebrand et la popularité croissante des aesthetics de type old money :   « C’est juste l’histoire d’une marque qui cherche à survivre. »

« L’esthétique de la droite est en train de réapparaître »

Qu’en est-il vraiment ? Les aesthetics (ce style d'art visuel accompagné d'un style de mode, d'une sous-culture, d'un genre musical), old money ou quiet luxury, sont apparues sur les réseaux en 2023. Selon les données de Google trends, les recherches pour ces termes sont toujours populaires. Depuis la seconde investiture de Donald Trump qui consacre la victoire du conservatisme, la culture Internet suit le mouvement. « Ce qui est sûr, c’est que l’esthétique de la droite est en train de réapparaître et revient pêle-mêle sous des formes diverses », note Alice Pfeiffer.

Dans un article de Slate en 2021 qui se penchait sur l’émergence des aesthetics, l’experte des réseaux sociaux Emmanuelle Patry analysait : « Les aesthetics des réseaux influencent autant qu'elles se nourrissent des défilés de haute couture, des films et séries, de la littérature, des tendances de décoration… Tout en étant un phénomène très numérique, puisque né sur les réseaux sociaux, les aesthetics sont au fond une manière de jeter un pont entre le monde réel et le monde virtuel. » Aujourd’hui, Internet précède le réel et la mode ne se limite plus aux vêtements, elle est l’expression d’un lifestyle et d’une certaine vision du monde.

« Je connais l’une des filles dans cette vidéo et rien de tout ça n’est casual ou réel… »

L’un des meilleurs exemples se trouve dans The Tuxedo society. Sur son site, il se présente comme : « le club le plus exclusif dédié aux expériences les plus raffinées dans les lieux les plus emblématiques de tous les temps ». Sur Instagram ou TikTok, ce country club basé en Grande-Bretagne montre ses membres au lac de Côme ou dans les Alpes, sirotant du champagne et filant vers le soleil sur des yachts en bois vernis… Avec des vêtements et locations d’emprunt, le tout monnayant une inscription de départ de 6 000 €, ont révélé en février plusieurs médias. « Je connais l’une des filles dans cette vidéo et rien de tout ça n’est casual ou réel… C’est un club Instagram, où tu payeras pour te déguiser et produire du contenu old money avec eux », a affirmé le journaliste et chroniqueur de mode américain Louis Pisano.

Une old money achetée sur Shein et Temu

Cette fausse opulence, on la retrouve à la table des enfants cruels. « The Cruel kids tables » : c’est le titre d’une Une du New York magazine fin janvier qui a fait jaser. Sur la photo, brillants de toute leur gloire, de jeunes partisans MAGA au milieu d’un décor kitsch et capitonné, portent leurs meilleurs vêtements old money achetés sur Shein et Temu, apprend-on dans le reportage.

Cette « droitisation » de la mode sur Internet détourne aussi des images de leurs origines. Par exemple, l’esthétique « cottagecore » née en 2017 dans des communautés queers sur Tumblr connaît, depuis le début des années 2020, une réappropriation réactionnaire. Comme l’explique la maîtresse de conférences en criminologie de l’université de Southampton Ashton Kingdon dans son ouvrage The World White Web (Palgrave Macmillan Cham, décembre 2024) : « Le contenu cottagecore se superpose à la culture #trad, majoritairement véhiculée par des femmes, qui promeut la restauration des valeurs familiales traditionnelles à travers le rejet du féminisme et le retour d’une certaine forme de féminité. »

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