Une jeune femme avec des ailes pailletées

Faerie porn : des fées, du cosplay et du porno

© Ivan Oboleninov

« Je ne regarde pas de porno, je lis des livres comme une vraie Dame. »

Une ruelle sombre sous la pluie. Enroulée autour de Rycroft Philostrate (Orlando Bloom), Vignette Stonemoss (Cara Delevingne) ondule lentement des hanches en haletant. Comme elle approche de l'orgasme, elle déploie ses immenses ailes qui miroitent sous l'effet de l’excitation. Toujours ceinturée autour de l'Inspecteur Philo, elle plonge la tête en arrière, ferme les yeux et s'élève dans les airs dans un battement d'ailes. La scène est issue de la (pas terrible) série télé américaine Carnival Row diffusée depuis 2019 sur Amazon Prime, mais elle aurait tout aussi bien pu trouver place dans un « faerie porn » quelconque. Le faerie porn, c'est le terme fourre-tout que les fans de fantasy romance (romances fantastiques) utilisent pour décrire les romans mêlant merveilleux, fantastique et porno plus ou moins barré.

C'est quoi le faerie porn ?

Le faerie porn, dit aussi fairy porn ou fae porn, englobe un large spectre d'intrigues et de proses. Le « porno de fées » concerne par exemple la série de dark fantasy Nectar of the Wicked d'Ella Field, où une orpheline est ravie par une créature magique ; la romance de science fantasy extra-terrestre Ice Planet Barabarians de Ruby Dixon, dans laquelle une jeune femme se fait enlever par des aliens avant d'être abandonnée sur une planète glacée où elle devient le jouet sexuel d'une sorte de Hulk-Homme des neiges ; la série A Court of Thorns and Roses (ACOTAR pour les fans) de Sarah J. Maas, qui raconte l'histoire de Feyre, séquestrée à Prythian, royaume des immortels, par un aristocrate fée.

Le faerie porn est un sous-genre de la fantasy romance, qui met en scène des histoires d'amour sur fond de forêts enchantées, de contrées envahies d'elfes et de dragons ou de villes vaguement médiévales. Il s'agit de romans où les scènes de sexes, régulières et explicites, se déroulent généralement entre une femme et une quelconque créature fantastique. Le plus souvent, la créature en question est une fée. (Car après les vampires, les zombies et les loups-garous, c'est au tour des fées d'avoir leur moment.) Sur TikTok, on en parle avec les hashtags #fantasyromance et bien sûr #acotar, qui cumule plus de 7 milliards de vues. Les intrigues reposent majoritairement sur un trope (un archétype, une convention de narration) populaire décliné à l'infini : le « enemies to lovers » (d'ennemis à amants), qui raconte comment l’héroïne tombe amoureuse de son antagoniste. Très répandu dans la dark romance, le trope s'articule autour de l’exercice de violence physique et d'un rapport de domination en faveur du personnage masculin. Pour les adeptes majoritairement féminines, l’étiquette faerie porn supplante celle de la fantasy romance. L'autrice à succès Katee Robert, fière propriétaire d'un marque-page qui stipule « Je ne regarde pas de porno, je le lis comme une Dame », voit dans l'expression une blague d'initiée de la part de lectrices qui revendiquent leur passion pour un sous-genre jadis moqué.

La revanche des fées

Autrefois assimilée à un plaisir coupable relégué à l'arrière des librairies, la romance fantastique est en plein essor. La série ACOTAR s'est vendue à quelque 30 millions d’exemplaires ; Blood and Ash de Jennifer Armentrout, à plus de 2 millions depuis 2020 ; Fourth Wing de Rebecca Yarros est restée sur la liste des best-sellers du New York Times des mois durant. À elles seules, ces trois autrices ont contribué à accroître de 17,4 % les ventes de fantasy l'année dernière. La croissance du genre s'explique en grande partie par l’influence grandissante des réseaux sociaux, « où les gardiens traditionnels de l'industrie de l'édition, dont certains considèrent encore que la romance n'est pas "de la vraie littérature", sont absents », résume Bustle. « Les communautés BookTok et Bookstagram achètent de la romance et en parlent sur les réseaux sans s’embarrasser de honte et de cachotteries. Cela oblige les éditeurs et l'industrie à prendre tout cela plus au sérieux », souligne Emily McIntire, autrice de la série à succès Never After. Autre raison expliquant le succès du genre : les femmes sont les plus grosses consommatrices de livres, comptant pour 59,3 % des achats. Parmi les plus actives, les femmes âgées de 23 à 38 ans, celles ayant grandi avec Twilight et Harry Potter, et les fanfics dédiées à Bella et Jacob, Hermione et Draco. Ce n'était donc qu'une question de temps avant que la fantasy s’entremêle plus étroitement avec la romance. Et les maisons d'édition se mettent à la page, car le faerie porn vaut son pesant d'or.

Le fandom fait de la thune

Bougies parfumées ACOTAR, adaptation Amazon de Blood and Ashes, bals et club de lectures... Le faerie porn est une économie à lui tout seul. En Grande-Bretagne, la société Gaunlet and Gowns fraîchement lancée se consacre exclusivement à l'organisation de « bals livresques dans des châteaux, des bibliothèques et des grandes salles de manoir ». La première soirée prévue pour février 2024 s'est vendue en quelques secondes, principalement à des femmes fans de cosplay. Aux États-Unis, ApollyCon, une convention fondée Washington en 2015 par l'autrice Jennifer Armentrout, a vu tripler le nombre de ses participants. Et à New York et Los Angeles, la librairie spécialisée dans la romance Ripped Bodice ne désemplit plus. En somme, le faerie porn a donné naissance à une sous-culture au sein d'une sous-culture, aujourd'hui affranchie des espaces traditionnellement dédiés au cosplay. Rachel Skye, célèbre critique de livres sur TikTok, rapporte : « Le ComicCon est si vaste que nous partagerions un espace avec les mêmes misogynes qui se moquent de nous en ligne dans les sections commentaires. »

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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