Chèvre Cachemire

La démocratisation du cachemire détruit la Mongolie

La laine de cachemire est à la fois source de développement et de destruction de l’écosystème du pays.

C'est l'un des paradoxes de la mode : rendre l'unique et le précieux homogène et abordable. Et dans ce scénario basé sur la production de masse et le monopole des acteurs du luxe, c'est l’intérêt du marché qui prime.

Le changement climatique et la production de cachemire

Jusqu'à récemment, le cachemire était l'apanage des riches. Il est désormais largement disponible. Alors qu'en 2022 le marché était évalué à plus de 3,5 milliards de dollars, il devrait dépasser les 5 milliards de dollars d'ici 2023. Et pour répondre à la demande mondiale croissante, les élevages se multiplient. On compte désormais 27 millions de chèvres cachemire en Mongolie, soit près de huit ruminants par habitant. Alors que la température moyenne a augmenté d'environ deux degrés dans la région et que les précipitations ont considérablement diminué, un tiers de la population mongole voit son mode de vie menacé. En effet, le pays est confronté à la désertification de son environnement. Un changement climatique qui impacte directement la production : les terres pour l'élevage se font de plus en rares et plus de 53 % des sols ont été dégradés au cours de la dernière décennie. Conscient de cette problématique, le programme de développement des Nations Unies a lancé en 2018 un plan d'action pour contrôler la production de cachemire durable dans le pays. Car ce n'est pas seulement l’environnement qui est en jeu, mais aussi la survie de ses habitants. Plus de 10 % de la population mongole est nomade, composée d'environ 300 000 éleveurs, vivant principalement de l'élevage de chèvres cachemire. « La production de cachemire est ancrée dans leur culture, qui existe depuis des siècles » explique Lola Sagarra Tejada, brand manager chez Stone, marque artisanale de cachemire. « En soutenant ce mode de vie, le cachemire contribue à préserver les traditions et les pratiques culturelles des communautés locales. La vente du cachemire constitue le principal revenu de beaucoup de ces familles ».

Une démocratisation du cachemire qui nuit à la qualité

La précieuse laine provient de la chèvre cachemire, qui vit dans des conditions climatiques extrêmes et développe par conséquent une couche de laine épaisse pour se protéger du froid. « C'est de cette laine que sont obtenues les fibres, et la longueur et la finesse des fibres sont des facteurs cruciaux », explique Lola Sagarra. La façon dont le cachemire est traité et tissé impacte sa qualité. « Le bon cachemire est produit selon des techniques qui préservent la douceur et l'intégrité des fibres. L’utilisation de techniques traditionnelles artisanales plutôt que de méthodes industrielles est souvent associée aux produits de haute qualité », dit-elle. Pourtant, si cette matière première s'est récemment démocratisée, c'est précisément parce que la longueur, la finesse et les techniques de transformation du fil ne sont plus les mêmes qu'autrefois. Mais aussi à la multiplication de vêtements qui ne sont pas 100 % cachemire. « Pour certains produits, le cachemire ne représente que 5% et est mélangé avec du polyester. Pourtant, la loi stipule qu'ils peuvent malgré tout être étiquetés comme "mélange de cachemire" », selon un rapport du site Internet Business of Fashion. Des procédés qui surfent sur la méconnaissance des consommateurs attirés par des produits de luxe abordables. « La plupart des gens ne savent pas ce qu'est le vrai cachemire ou ne connaissent pas la gamme de qualités disponibles sur le marché. » explique dans El Pais, Pere Autonell, cofondateur et directeur commercial de l'entreprise espagnole Mirror in the Sky. « L’information est ce qui conduit à l’appréciation de l’authenticité et de la qualité dans cette industrie. Le cachemire créé dans des conditions injustes, pour les chèvres et les ouvriers, est encore doux, mais il n'est pas durable car il ne suit pas le protocole d'entretien traditionnel. »

Monopole chinois sur le cachemire

Selon Lola Sagarra, il existe depuis longtemps un monopole sur le cachemire. Erdos, entreprise dirigée par la femme d'affaires chinoise Jane Wang, est l'un des plus grands exportateurs de cachemire au monde. Si pendant longtemps elle fournissait les marques de luxe, celle que certains surnomment la « princesse du cachemire » a décidé il y a presque 10 ans de se concentrer sur sa propre marque « 14-36 », baptisée ainsi en référence à la finesse et à la longueur de la laine. Elle compte désormais plus de 300 magasins en Asie. Confronté au monopole chinois et la raréfaction des ressources traditionnelles, le rachat à 80 % par LVMH de la marque Loro Piana en 2013 a permis à la pépite du luxe à l'italienne, de trouver de nouveaux fournisseurs pour garantir la qualité de ses produits. Prise en étau entre les géants, Gobi, fabricant mongol de cachemire dont le siège se situe à Oulan-Bator, est l'un des principaux garants de la survie des communautés nomades. Crée en 1981, la marque garantie aussi bien la transparence du processus de production pour le consommateur que le bien-être des animaux : « Les communautés nomades ne maltraitent pas les chèvres avec des pratiques néfastes. Elles travaillent selon des procédés traditionnels, comme le peignage de la laine à la main », indique un porte-parole de la marque.

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier l'environnement et les tendances conso.

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