Comment TikTok a forcé un bar à vin-glacier à recruter un videur

« Ils ne goûtent même pas la glace. Ils la laissent juste fondre au soleil. »

Au printemps dernier, une petite enseigne parisienne est devenue cool sur TikTok. Depuis, les clients n'ont cessé de s'agglutiner devant la devanture rouge de Folderol pour se prendre en photo, assis sur un trottoir en train de manger de la glace artisanale dans une coupelle vintage en acier. Un succès inattendu qui n'a pas été au goût des propriétaires, forcés de composer avec une vague de touristes pénibles et indisciplinés, obsédés à l'idée de réussir la photo parfaite pour briller en ligne.

Tourists, go home ! Mais mangez votre glace avant

Ouvert en 2020 dans l'idée de proposer un espace praticable en famille (du vin bio pour les parents, de la glace de bonne facture pour les enfants), Folderol a récemment fait l'objet d'un étrange culte en ligne. Car comme partout à Paris, l'espace manque entre les murs du local. Très vite, les clients prennent donc l'habitude de siroter leur vin sur le trottoir devant le petit commerce. Il n'en fallait pas plus pour que tout TikTok perde la tête. « Je n'arrête pas de voir des gens publier des photos et des vidéos de cet endroit à Paris appelé Folderol, et honnêtement, je n'ai jamais autant ressenti le besoin d'aller quelque part qu'en ce moment. L'endroit est (...) généralement tellement bondé que les gens finissent assis sur le trottoir, ce qui garantit bien sûr un contenu beaucoup très cool pour Instagram. Spirituellement, cet endroit m’appelle. J'ai l'impression que ça guérirait ma dépression de m'asseoir sur ces trottoirs, et j'ai la conviction que cette glace serait la meilleure que j'ai jamais mangée. Ne serait-ce que faire la queue là-bas rendrait ma peau et mes cheveux plus brillants », racontait en juin dernier Anna Hyclak, Américaine de 35 ans, via TikTok. De nombreux commentaires sous la vidéo proviennent d'habitants agacés : ils déplorent la popularité du lieu devenu viral sur TikTok, expliquant qu'il est devenu impossible de venir y déguster une glace en paix, tant le lieu évoque désormais le studio photo envahi d'ados sur leur 31. « Ils ne goûtent même pas la glace. Ils la laissent juste fondre au soleil », confiait Jessica Yang, copropriétaire de Folderol, au New York Times.

NO TIKTOK

Pendant ce temps-là, la plateforme, le #folderol compte près de 2 millions de vues. Pour l'enseigne, la situation est vite devenue incontrôlable. « Des clients frustrés ont commencé à laisser des avis négatifs sur l'entreprise. Les jolies coupes de glaces que les propriétaires dénichaient dans les brocantes parisiennes commençaient à disparaître. À quatre reprises, des voisins ont appelé la police à propos de la foule », résume le média américain. Pour Robert Compagnon, copropriétaire du lieu, administrer Folderol s'est apparenté cet été à « courir un marathon en tongs ». Depuis, les propriétaires ont mis en place des « barrages routiers » : réduire le nombre de verres à vin servis et embaucher un videur. Ils ont aussi agrémenté la devanture de consignes écrites en grande lettre bâton blanches : « NO TIKTOK » et « Venez ici pour vous amuser, pas pour prendre des photos. » En juillet, ils ont interdit aux invités de s’asseoir dehors, une mesure impopulaire auprès de ceux venus poser. (Qui sont du coup partis sans rien consommer.) Avec la fin de l'été, le calme est revenu, et la rumeur dit que les clients n'osent même plus avouer avoir découvert l'adresse grâce à TikTok.

Europecore : tout le monde veut un peu d'Europe

Parmi les clients qui se sont entassés dans l'étroite ruelle du 11ème arrondissement de Paris, de nombreux Américains. Avant de rêver à Folderol, ils fantasmaient déjà leur séjour estival en Europe. En ligne, le désir des Américains pour le Vieux Continent a même donné lieu à une énième appellation en core : la tendance Europecore, néologisme qui encapsule l'envie d'évasion d'une nation férue de Tour Eiffel, de produits du terroir et de paysages passés au filtre carte postale. Une romantisation de l'Europe qui, croisée avec la propension des réseaux à créer de l'emballement à partir de pas grand-chose, a certainement contribué à faire poireauter des centaines d'ados devant un petit glacier parisien.