Kylian Mbappé Bondy

Sur le terrain comme en société, pourquoi Nike choisit de devenir une marque engagée

Performance et dépassement de soi semblaient lui coller aux baskets. Pourtant, Nike préempte aujourd’hui le terrain de l’activisme social et politique. Porté par l’affaire Kaepernick (le sportif qui a boycotté l'hymne américain lors du Super Bowl), le nouveau positionnement de la marque s’adapte au marché français. Décryptage pub avec Tom Brunet et Yoan Prat, cofondateurs de l’agence et du média YARD qui accompagne la marque. 

D’où vient cette direction « sociale » dans la stratégie de Nike ?

Tom Brunet & Yoan Prat : Lorsque nous avons commencé à travailler avec Nike, Colin Kaepernick n’avait pas encore posé le genou à terre (en 2016, l’ancien joueur de la NFL s’est agenouillé et a refusé de chanter l’hymne national américain pour lutter contre les violences policières racistes. Exclu, il a plus tard fait l’objet d’une campagne activiste pour Nike, ndlr). Au départ, la marque venait nous voir pour organiser des évènements. La première chose que nous leur avons dit est la suivante : « vos soirées manquent de réalisme parce que vous n’invitez jamais les principaux concernés, ceux qui consomment vraiment votre marque. » La plupart de leurs évènements étaient seulement accessibles sur invitation. On y retrouvait à chaque fois les mêmes têtes, des influenceurs, des gens « cools ». Ça manquait de « vibes », d’authenticité. Nous avons donc commencé à inviter des jeunes de notre communauté via notre média, YARD*. L’idée était de les inviter à passer un bon moment et surtout à mettre de l’ambiance ! Comment est-ce qu’on marque les gens sur le long terme, comment est-ce qu’on leur fait plaisir au lieu de leur faire miroiter des choses avec un simple spot pub… À l’époque, on ne s’en rendait pas compte mais c’était le début de quelque chose.

En France, quel a été l’élément déclencheur de cette nouvelle stratégie ?

T.B & Y.P. : Je pense que tout a commencé avec l’opération « Ballon sur bitume », fin 2016. Nike organisait des tournois de street football et nous suivions la marque pour créer du contenu. Il y avait une atmosphère très particulière, un peu comme sur les terrains de basket dans les années 90. Il y a tout cet écosystème urbain qui s’associe au sport, à la scène rap, au lifestyle et ça nous tenait à cœur de mettre en valeur la culture du street football. Alors nous avons réalisé un documentaire sans vraiment avoir de moyens au départ. Nous n’avons pas brandé Nike dessus, nous voulions que le format reste authentique. Le film montre ce qu’apporte le foot aux jeunes. Il aborde aussi ce qu’est la vie de quartier aujourd’hui. Nous n’avons pas parlé de sport sur le thème de la performance, nous avons parlé de société, de culture, de style, d’amitié, de musique… Et ça a plu, aux gens comme à la marque.

Quelles ont été les campagnes phares de ce nouveau positionnement ?

T.B & Y.P. : Plus tard, des briefs sont tombés. Nike s’est rendu compte qu’en football, faire parler Cristiano Ronaldo ne suffisait pas. Il faut s’adresser aux jeunes en vrai, leur donner les moyens de s’exprimer et de réaliser leurs projets. C’est à ce moment que nous avons mis en place une vraie stratégie de terrain. Il y a un an et demi, nous avons lancé une mécanique commune autour de deux évènement phares : d’un côté la signature de Kylian Mbappé au PSG et un mois plus tard, la présence de Kobe Bryant à Paris pour un partenariat entre Nike et la NBA.

Nous sommes d’abord alors allés à Bondy, derrière l’école de Kylian Mbappé où il avait l’habitude de jouer quand il était enfant. Ce n’était plus un terrain de foot mais un terrain vague. Alors nous avons changé la dalle de béton et tout reconstruit. À l’issue de l’évènement, Nike a légué cet espace à la mairie qui est désormais ouvert le week-end pour les enfants du quartier. Plus tard, nous avons fait la même chose avec un vieux terrain de basket dans le 19ème, à l’occasion de la venue de Kobe Bryant. Nous avons installé un vrai parquet NBA, changé les panneaux, repeint les vestiaires pour que les jeunes puissent y jouer toute l’année. Aujourd’hui, des compétitions de basket ont lieu régulièrement dedans. 

Kobe Bryant - Le Quartier

T.B & Y.P. : Après avoir construit ce dernier terrain, Nike, Yoan et moi nous nous sommes dit qu’il manquait quelque chose. Tout ça c’est très bien, mais on en fait quoi le reste de l’année ? L’été dernier, nous avons lancé l’opération « More than an Athlete » avec Lebron James, une formation de deux jours pour une centaine de jeunes au CFA de Bagnolet. C’était juste après la polémique américaine « shut up and dribble » (une journaliste de la Fox avait prié les basketteurs Lebron James et Kevin Durant de se contenter de dribbler et de se taire quant à l’actualité politique du pays, ce à quoi Lebron James avait répondu qu’il était « plus qu’un athlète », ndlr).

L’idée était de motiver ces jeunes pour l’année scolaire à venir, de leur donner un souffle de confiance en eux juste avant de reprendre l’école. En arrivant, les enfants pensaient qu’ils allaient seulement rencontrer leur idole et jouer au basket mais nous avons fait durer le plaisir. Comme les grands joueurs, ils ont dû se choisir un mantra de motivation qu’ils ont ensuite designé et graphé sur des maillots en prévision de leur entrainement de basket. Dans le cadre d’un concours, nous leur avons aussi demandé de penser à une programmation à l’année pour le terrain. Ils ont ensuite pitché leurs idées devant Lebron James. C’était super émouvant. Nike les a non seulement marqués à vie mais leur a aussi apporté des clés pour se motiver au quotidien, se prendre en main et apprendre à définir un vrai projet.

Kylian Mbappé - Play Bondy

Est-ce qu’une marque doit obligatoirement être utile aujourd’hui ?

T.B & Y.P. : Selon moi, oui. Pour Nike, c’est particulièrement important. Surtout à un moment où les jeunes passent d’une marque à une autre, se créent leur propre identité de façon plus autonome. Le « Just do it », ils l’ont tellement entendu qu’ils finissent par se faire suffisamment confiance pour entreprendre quelque chose par eux-mêmes. « Alors arrêtons de leur dire ce qu’ils doivent faire puisqu’ils le font déjà ! », c’est un peu l’idée. Le rôle de Nike aujourd’hui, c’est de leur donner l’impulsion, les moyens financiers et matériels de faire ce qu’ils ont envie de faire. Si vous ne devenez pas acteur de la communauté que vous ciblez et que vous vous contentez de posts Instagram, ça ne fonctionnera pas, et c’est valable pour toutes marques !

*YARD : média et agence spécialiste de la jeunesse, de la pop culture et des cultures urbaines.

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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