
Entre reportage de guerre hardcore et portrait sensible, ce documentaire raconte la vie, pas si fictive, des joueurs du jeu vidéo DayZ.
La scène se passe dans un immeuble abandonné. D’un côté, se trouvent Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L'helgoualc'h, trois réalisateurs du film documentaire qu’ils sont en train de tourner. De l’autre, les caméras filment un gang de guerriers postapocalyptiques portant chemises et brassards rouges. On dit d’eux qu’ils sont violents et cannibales. Au milieu de la pièce trône un bureau sur lequel est allongé un homme en robe rose. Ce dernier ne parle pas ; en dehors d’une seule phrase qu’il chuchote doucement : « Aidez-moi ». La chef du groupe qui mène la conversation le traite de « looser » et, comme pour montrer son pouvoir de vie et de mort sur les membres qu’elle dirige, lui tire une balle dans la tête en demandant aux journalistes de ne pas faire attention à ce qui vient de se passer. Autour d’elle, les membres du gang rigolent puis décident de partir battre la campagne à la recherche de leur prochaine victime. Ils tomberont sur un agriculteur qui tente de faire pousser des concombres, un légume que les cannibales disent « détester ». Ce dernier finira avec une balle dans la tête, lui aussi.
Une simulation où il faut éplucher des patates
Cette séquence hallucinante n'est pas réelle. Elle se déroule dans le jeu vidéo DayZ, et on peut la voir dans le documentaire Knit’s Island (L'Île sans fin) qui passe dans quelques salles de cinéma depuis le 17 avril dernier. Filmé comme un documentaire de guerre, Knit’s Island se déroule dans l’univers virtuel de DayZ, ce jeu vidéo en ligne qui plonge les internautes dans une simulation de survie après une invasion de zombies. Nos trois « journalistes » arpentent ces terres virtuelles à la recherche de joueurs qui passent une grande partie de leur vie ici. La carte du jeu reproduit une région de la République tchèque sur une superficie de 225 kilomètres carrés que la plupart des protagonistes traversent à pied. « Cet univers, c’est un peu l’inverse du Web, confie Quentin L'helgoualc'h. Sur Internet, on a tendance à rencontrer beaucoup trop de gens, très rapidement. Dans DayZ, les joueurs peuvent marcher pendant des jours et se perdre sans rencontrer âme qui vive. Du coup, chaque rencontre devient un évènement en soi avec une interaction sociale très importante. On ne sait jamais ce qui va se passer. Ça peut se terminer avec une exécution sans formalités ou une amitié qui durera plusieurs années. »
DayZ est aussi ce qu’on peut appeler une simulation « hardcore ». Pas de score, pas de classement compétitif, pas de mécanisme de gameplay addictif ou de récompenses à base de skins ou de monnaies virtuelles. En revanche, on y trouve un système extrêmement complexe simulant tout ce qui se trouve dans le jeu. Les avatars que l’on incarne doivent boire et se nourrir sous peine de mourir, ils ont des groupes sanguins différents qu’il faut tester avant de faire des transfusions et peuvent être affectés par des blessures et des maladies très réalistes. La nourriture se gâte, l’eau doit être bouillie avant d’être bue et il faut éplucher les pommes de terre et les cuire avant de les consommer. En d’autres termes, le jeu offre au joueur des débuts très difficiles, mais aussi un attachement très particulier au personnage qu’il incarne, si ce dernier survit les premières semaines. « C’est un univers totalement immersif, qui rend les gens complètement accros, précise Quentin. On y retourne, non pas à cause des récompenses, mais parce qu’il offre des plages de jeu très longues durant lesquelles on construit un personnage, on lui donne une personnalité et on lui fait vivre tout un tas d’aventures. »
La fine frontière entre réel et virtuel
Cette immersion sans compromis est l’élément qui a donné envie aux trois compères de réaliser ce documentaire comme s’ils étaient sur un terrain de guerre. Dans le film, on les voit tous les trois déambuler sur la carte, tenter des approches auprès de gangs dangereux et mener des interviews comme une équipe de télévision classique. On pourrait se dire qu’il s’agit d’une mise en scène censée illustrer le propos du film, à savoir la frontière pas si étanche entre réalité et virtuel. Mais c’est plus compliqué que ça. « Le fait de nous voir tous les trois dans le film a une vraie utilité, poursuit Quentin. Je m’occupais des prises de vues, Ekiem gérait les interviews et les interactions avec les autres personnages et Guilhem avait un rôle de régie et devait gérer les ordinateurs dans le monde réel, mais aussi l’état de santé, de faim et de soif de nos avatars dans le virtuel. » Le tout sera filmé pendant quatre années sur de longues plages horaires et en pleine pandémie. « Même si on était professionnels et qu’on avait de la distance avec l’univers qu’on explorait, il y a eu de nombreux moments où l’on s’est perdu dans cette immersion, indique Quentin. Il nous est arrivé de ne plus savoir si c’était nous ou notre personnage de jeu qui avait faim ou soif par exemple. »
Cette troublante perte de repères se retrouve dans le film. Enfermés chez eux durant les périodes de confinement, les autres joueurs profitent de DayZ pour satisfaire des besoins de nature, mais aussi de liens sociaux. Dans une scène non montée, Quentin raconte avoir notamment assisté à une rupture amicale dramatique entre l’un des protagonistes qu’il suit et son meilleur ami rencontré dans le jeu et jamais dans le monde physique. « Même si nous n’avons pas montré cette scène, elle illustre parfaitement ce qu’on voulait raconter, indique le réalisateur. Pour nous les connexions qui se nouent dans les univers virtuels sont aussi réelles et intenses que dans le reste de notre vie. Quant au jeu, il peut nous aider à être quelqu’un d’autre, mais aussi à révéler notre vraie nature. »
Nice
See you when ALL maps of Dayz will be ONE. Then do the documentary again. 😉