une image de neurones rouges

Interstellate, quand la recherche transforme votre cerveau en oeuvre d'art

© Interstellate - Work in Progress, Jeremy Day Lab, University of Alabama at Birmingham

Somptueuses, rêveuses, vertigineuses : les images récoltées par la neuroscientifique Caitlin Vander Weele semblent tout droit venues du cosmos. En réalité, c'est la vie intérieure de notre cerveau qu'elles captent. Passionnée, la chercheuse américaine nous en dit plus sur son projet d'édition  « Interstellate ».

Vous êtes neuroscientifique, nouvellement diplômée du MIT, et vous prenez le temps de partager vos découvertes (en images) sur Twitter. Pourquoi ?

Les réseaux sociaux sont idéaux pour les neuroscientifiques. Ils sont un mélange de psychologie sociale, d’apprentissage automatique et d’énormément de data.

CAITLIN VANDER WEELE : J’ai toujours été intéressée par la psychologie et les mécanismes qui poussent les gens à agir comme ils le font. J’ai commencé mes études supérieures et ma carrière dans ce domaine, mais j’ai fini par être frustrée. Je voulais comprendre la manière dont notre cerveau fonctionne, c’est pourquoi je me suis tournée vers les neurosciences. Durant mon PhD au MIT, j’ai étudié des rongeurs télécommandés avec des lasers (une technique appelée « optogénétique » qui consiste à activer des cellules de neurones avec de la lumière pour voir comment cela motive leur comportement, ndlr). Ma famille ne comprenait pas pourquoi je passais mes journées à jouer avec des souris… Alors, j’ai commencé à parler de mes découvertes à une audience plus large, surtout sur les réseaux sociaux. Je voulais parler de ce que je découvrais de manière digeste et compréhensible. Ce n’est pas une chose facile, notamment sur Twitter où vous n’avez droit qu’à 280 caractères pour exprimer une idée. J’ai beaucoup apprécié ce challenge. Les réseaux sociaux sont idéaux pour les neuroscientifiques. Ils sont un mélange de psychologie sociale, d’apprentissage automatique et d’énormément de data. C’est un vrai terrain d’expérimentation. À leur manière, ils adoptent les mêmes processus d’expérimentation et d’itération que les scientifiques.

image violette du cerveau

Counting Memories, Austin Ramsey, Blanpied Lab, University of Maryland, School of Medecine

Est-ce votre expérience des médias sociaux qui vous a poussée à lancer la revue Interstellate ?

C. V. W. :  Les neuroscientifiques manipulent énormément de photos magnifiques. Mais comme la majorité d’entre elles correspondent à des protocoles expérimentaux qui ont échoué, personne ne les voit jamais. Quand j’ai commencé à récupérer et à partager ces images sur les réseaux sociaux, j’ai très vite constaté à quel point elles étaient efficaces pour communiquer de petites quantités d’informations. Qu’est-ce qu’un neurotransmetteur ? Qu’est-ce qu’un neurone ? Qu’est-ce qu’une cellule cérébrale ? Comment cela fonctionne-t-il ? Dans le deuxième numéro de ma revue Interstellate, une série de clichés nous permet de traverser différentes régions du cerveau. On apprend en les regardant que l’hippocampe est décisif pour la mémoire, que l’amygdale est essentielle pour les émotions… on comprend concrètement à quoi sert telle ou telle zone. C’est important de le savoir, car quand on tombe sur ces termes, notamment dans certains articles de journaux un peu sensationnalistes, ils restent difficiles à visualiser. Mais le projet d’Interstellate ne se résume pas à faire de la pédagogie. Je voulais aussi célébrer le processus scientifique dans son ensemble, et les scientifiques eux-mêmes. La plupart des gens qui m’envoient leurs travaux sont jeunes. Ils préparent leur doctorat, c’est dur, et les occasions de se réjouir sont rares. Être publié peut faire partie de ces joies. Je voulais que le magazine parle autant à la communauté scientifique qu’au grand public.

image bleue d'un cerveau

Dissecting Disease, Kevin Jarbo, Verstynen / Cognitive Axon Lab, Canergie Mellon University

Les photos que vous faites paraître sont effectivement magnifiques. Elles montrent l’infiniment petit de nos cellules, et pourtant, elles semblent faire écho à l’espace.

C. V. W. :  C’est vrai ! Pour la petite histoire, la photo de couverture du premier numéro d’Interstellate montre l’un des hémisphères d’un cerveau de souris. L’image est belle et je l’avais partagée sur les réseaux. L’une de mes amies l’avait alors commentée en disant qu’elle lui faisait penser à « des neurones venus de l’espace ». Elle a fait le jeu de mot « interstellate ». À l’époque, le film Interstellar était déjà sorti, et le terme « stellate » correspond à une catégorie de cellules (cellules stellaires ou étoilées, en français, ndlr). J’ai combiné ces deux idées, et c’est ainsi que le nom du projet est né !

C’est ludique et très enrichissant de pouvoir interagir avec des chercheurs du monde entier. Cela me donne de nouvelles pistes pour mon propre travail.

Sur tous les clichés, on voit un très large éventail de couleurs. Que signifient-elles ?

C. V. W. : Cela dépend de l’expérimentation en cours. Les cellules cérébrales sont connectées les unes aux autres et il y a différentes méthodes pour les distinguer. Certaines comportent telle ou telle protéine ou tel ou tel neurotransmetteur… Ce qu’on fait en général, c’est qu’on les marque avec des protéines fluorescentes. C’est ce qui génère ces couleurs et ces ondes lumineuses particulières. La protéine fluorescente va s’exprimer dans la cellule, que l’on place ensuite sous un microscope. Ce procédé chimique est un premier moyen d’y parvenir, mais on peut aussi utiliser des virus pour affecter et « faire parler » des cellules, contrôler leur activité ou simplement les visualiser. On peut également réaliser un scanner cérébral ou colorer les images après l’expérimentation.

Knockout, Lindsay Scharw, Luo Lab, Stanford University

Beaucoup de chercheurs vous envoient leurs travaux. Comment vivez-vous ces échanges ?

C. V. W. :  Je dois déjà avouer que, au départ, ce projet était surtout un moyen pour moi de procrastiner sur ma thèse (rires). Lorsque je l’ai lancé, je me suis rendu compte que j’avais déjà une grande bibliothèque d’images sur certaines cellules et régions du cerveau. J’ai décidé de faire appel à d’autres neuroscientifiques pour avoir une matière plus diversifiée. En général, je leur demande de remplir un questionnaire sur la façon dont ils ont généré ces images, sur ce que les couleurs signifient. Je pense avoir reçu au moins 300 images d’environ 80 scientifiques différents. Israël, Australie, Canada, États-Unis, Allemagne, France, Finlande…, à ce jour, une dizaine de pays ont participé. C’est ludique et très enrichissant de pouvoir interagir avec des chercheurs du monde entier. Cela me donne de nouvelles pistes pour mon propre travail.

Pour moi, c’est comme de l’art ! J’ai une autre photo dans mon téléphone qui ressemble à un Van Gogh. Pourtant, elle représente des récepteurs neuronaux en charge de communiquer la douleur. L’idée que quelque chose d’aussi beau puisse représenter une chose aussi nuisible et anxiogène me sidère.

Quelles sont les images qui vous ont le plus marquée ?

C. V. W. :  Ma préférée se trouve dans le premier numéro d’Interstellate. Elle s’intitule Work in Progress et a été envoyée par le laboratoire d’un ami, Jeremy Day. On y voit une catégorie de neurones qui existe dans le striatum, une zone du cerveau impliquée dans la génération d’émotions et la prise de décision. Durant ces expérimentations, l’équipe a essayé de faire pousser des neurones à l’extérieur du cerveau, dans une boîte de Petri. L’image montre des regroupements de cellules amassées les unes sur les autres. C’est ce qui nous montre que l’expérience n’a pas fonctionné puisque les neurones sont censés être toujours soigneusement répartis. Ce fut un tel échec que les scientifiques ont refusé de voir leur nom associé à l’image. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas qui a réalisé cette prise de vue, mais la photo est accrochée dans ma chambre. Pour moi, c’est comme de l’art ! J’ai une autre photo dans mon téléphone qui ressemble à un Van Gogh. Pourtant, elle représente des récepteurs neuronaux en charge de communiquer la douleur. L’idée que quelque chose d’aussi beau puisse représenter une chose aussi nuisible et anxiogène me sidère.

Substratum, Gillian Matthews & Caitlin Vander Weele, Tye Lab, MIT

Beaucoup de jeunes scientifiques se sentent concernés par votre démarche et le font savoir en ligne. Est-ce qu’une génération de chercheurs plus ouverte sur le monde se dessine ?  

C. V. W. :  Je pense qu’il y a assurément un changement. Sur Twitter, on voit effectivement émerger des communautés de scientifiques. Sur Instagram, l’une de mes bonnes amies, Samantha Yammine, anime le compte science.sam qui cumule plus de 36 000 abonnés. Elle y publie des vidéos de ses expériences et explique concrètement sa démarche. Elle démocratise des sujets complexes et le fait très bien. Durant mon PhD, je tweetais aussi beaucoup au sujet de mes expériences au MIT ou sur des sujets plus intimes tels que la difficulté d’être une femme scientifique. J’avais souvent le sentiment de ne pas être entendue, qu’on ne me prenait pas au sérieux, et ça me rendait très anxieuse. Je pense que beaucoup de gens avaient besoin d’entendre ça. La science a longtemps été vue comme une communauté très fermée, et il est vrai que les scientifiques sont mal à l’aise vis-à-vis des médias. Ils redoutent de voir leur travail mal interprété. Je pense que cela doit changer. La science bénéficie de financements publics, et il me semble légitime que les gens sachent où va leur argent, comment il est utilisé. Il faut seulement trouver le moyen de communiquer ce savoir.

Life Lines, Caitlin Vander Weele & Gillian Matthews, Tye Lab, MIT

Quelle suite imaginez-vous pour Interstellate ?

C. V. W. :  Après deux numéros en autoédition, j’ai envie d’assembler une équipe et de me consacrer au développement du projet : collecter des fonds, négocier les coûts d’impression... L’équipe pourra de son côté élargir le concept d’Interstellate. Il y a tellement de sciences différentes à étudier et j’aimerais m’y intéresser aussi. Je vais avoir besoin de scientifiques qui peuvent m’aider. Qui sait à quoi ça pourrait ressembler ! J’adorerais lever assez de fonds pour développer un programme de formation pour boursiers. Cela me permettrait de faire appel à des scientifiques qui s’intéressent à la communication des sciences. Assembler une équipe, sortir le troisième numéro d’Interstellate, leur passer le flambeau et voir comment ça se profile, c’est le plan. Le sens de la communauté a toujours été au centre de ce projet et j’aimerais que cela continue. 


CAITLIN VANDER WEELE

Neuroscientifique diplômée du MIT, Caitlin Vander Weele possède plus de dix ans d’expérience dans la compréhension de nos émotions et de la façon dont elles influencent nos prises de décision. Soucieuse de décloisonner l’univers des sciences, elle lance Interstellate en 2016, un mouvement et un magazine alliant art, cerveau et biologie. Elle y compile la beauté d’images prises lors d’expérimentations ratées et issues de laboratoires du monde entier. Experte des médias sociaux, Caitlin anime aussi des communautés de patients dans le domaine de la santé. Elle vit et travaille à New York.

Site : interstellate.com

Twitter : @caitvw + @interstellate

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Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.

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