un vieil homme porté sur une croix comme Jésus

Qui sont ces hommes persuadés d'être la réincarnation du Christ ?

© Jonas Bendiksen

Parti à la rencontre de gourous affirmant être la réincarnation du Christ, le photographe Jonas Bendiksen dévoile un reportage bouleversant et questionne nos systèmes de croyances en profondeur. 

Ils s’appellent Vissarion, INRI Cristo, Matayoshi, Moses, Kitwe, Dolores et Apollo. Ils ne se connaissent pas, mais partagent la même certitude : celle d’incarner le Jésus de la fin des temps annoncé dans la Bible, « l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin ».

Le photographe Jonas Bendiksen est parti à la rencontre de ces sept hommes pour vivre avec leurs communautés et photographier leur quotidien. Après trois ans d’immersion, il publie The Last Testament, un recueil rassemblant leurs Écritures. On y découvre la spécificité de chaque culte. On passe de l’écovillage autosuffisant de Vissarion, perdu dans la taïga sibérienne, au personnage haut en couleur de Moses en Afrique du Sud autour de qui l’on chante et danse joyeusement en attendant la fin du monde. Au Japon, on retrouve Matayoshi, vieil homme triste dont personne n’écoute les allocutions quotidiennes. Au Brésil, INRI Cristo et ses disciples publient des parodies musicales sur YouTube. Cet été, aux Rencontres d’Arles, nous avons découvert les photos de Jonas Bendiksen. Un choc. On navigue d’un scepticisme clairement amusé – « Comment peut-on sérieusement croire à un messie qui gère ses communautés en ligne et roule en scooter électrique ? » – à une mise en abyme plus âpre : « Pourquoi serait-il plus aberrant de croire en un illustre inconnu que de communier dans une église millénaire ? »

En quelques clichés, l’exposition interroge en profondeur nos systèmes de croyances.

Il existe beaucoup de prophètes, de gourous, de leaders spirituels qui proclament être Jésus. Sur quels critères avez-vous choisi sept d’entre eux ?  

JONAS BENDIKSEN : J’ai dû effectivement définir certains critères. Je voulais rencontrer des gens qui aient eu une révélation depuis longtemps, que cette dernière soit constante et cohérente. Il fallait qu’ils aient systématisé leur théologie via des Écritures ou toute forme de représentation cohérente, qu’ils aient une vraie communauté de fidèles. J’en ai trouvé d’autres, mais je ne pouvais pas toujours avoir accès à eux, et pour certains j’avais effectivement le sentiment qu’ils n’étaient pas toujours sains d’esprit. J’ai donc fini avec le chiffre 7. C’est un chiffre sacré dans la Bible. Peut-être n’était-ce pas si anodin. 

Vous êtes vous-même athée. A-t-il été difficile de mettre vos convictions de côté ?

J.B. : Je n’ai pas fait semblant, j’ai essayé de rester moi-même. Une fois au sein de leur communauté, je considérais tout ce qu’ils me disaient comme étant la seule et unique vérité. J’ai adopté la même méthode avec chacun d’entre eux. Je ne posais pas de question critique, je voulais essayer de décrire ce à quoi ressemble le monde depuis leur perspective. Journalisme, expérimentation, une bonne histoire à raconter…, appelez ça comme vous voulez ! La vérité, la fiction, la narration religieuse… tout cela se mélange à l’intérieur du projet.

Jonas Bendiksen - The Last Testament, fidèles de Vissarion

Ces leaders spirituels sont-ils  « sains d’esprit » selon vous ?

J.B. : Il est très difficile de répondre à cette question, d’affirmer que quelqu’un est fou ou non. Les discours de ces hommes pourraient être associés à de la folie. Plus vous creusez le sujet, plus vous réalisez qu’il est impossible de répondre à cette question : où est la limite entre foi et illusion ? Il n’y a rien de plus normal, de plus accepté socialement, que d’aller à une messe à Notre-Dame de Paris.... et pourtant quoi de plus étrange ? C’est le genre de réflexion que j’ai ressassé maintes et maintes fois sans jamais pouvoir y répondre. 

L’un de ces Messies vous a-t-il marqué en particulier ?

J.B. : Ils m’ont tous marqué à leur manière. Moses, en Afrique du Sud, s’habille comme un gangster au style hip-hop et sa façon de prêcher est très spectaculaire (rires). C’est un homme passionné, avec un cœur énorme. Il est impossible de ne pas sympathiser avec lui. Vissarion, lui, a perfectionné l’esthétique de ses rites, il utilise des références aux peintres de la Renaissance dans ce cadre magnifique qu’est la nature sibérienne. J’ai été touché de vivre avec eux et cela m’a surpris. Avant de partir, j’avais des préjugés bien sûr. Je représente le sceptique, le mec aliéné par sa propre logique, sa propre rationalité. Quand je suis arrivé au Brésil chez INRI Cristo, il y avait des murs de 4 mètres de haut avec des barbelés électrifiés et uniquement des femmes dans l’enceinte du bâtiment… Forcément, il est légitime de se poser des questions. Une fois à l’intérieur, je n’ai pas ressenti de manipulation, de danger mais la passion de gens ouverts. C’était une expérience profonde. Leur réalité est bien plus magique que la mienne. Quand je marche dehors et que je vois les forces de la nature à l’œuvre, les causes, les conséquences, eux voient la science de Dieu, une connexion à une signification cosmique. Moi, le sens de ma vie, je dois le créer moi-même !

Jonas Bendiksen - The Last Testament, INRI Cristo

Quelle était leur réaction quand vous leur expliquiez que d’autres qu’eux pensaient être le nouveau Jésus ?

J.B. : C’était toujours un moment un peu angoissant mais c’est la première chose que j’expliquais. Certains d’entre eux savaient déjà. Curieusement, les réactions étaient souvent positives. J’ai souvent entendu : « C’est une bonne chose qu’il y en ait d’autres, cela veut dire que la prophétie biblique est vraie ! » Dans la Bible, il est en effet écrit qu’il y aura de faux prophètes avant l’arrivée du vrai Messie.

Quelles sont les principales réactions du public face à vos photos ?

J.B. : Je n’ai jamais réalisé un projet qui suscite autant de réactions différentes. Certains rient, certains sont émus… Cela fait partie de la nature même du projet j’imagine. La foi, la vérité qui est chérie par les uns peut paraître totalement aberrante et insensée pour les autres. Et… c’est ce qui a toujours caractérisé la religion. En ce qui concerne l’humour qui peut se dégager de mes photos, cela a été délicat. Je n’ai jamais eu l’intention de présenter ces Messies de façon sarcastique ou de me moquer d’eux. J’ai moi-même ri à certains moments, mais j’ai toujours essayé de faire en sorte que cette touche d’humour ne vienne pas de moi. Au Brésil, les fidèles d’INRI Cristo dansent et chantent dans des vidéos YouTube, eh oui, il est presque impossible de ne pas sourire quand on les voit. Ils ressentent le devoir d’utiliser ce moyen de communication pour diffuser leur message et ils génèrent des millions de vues ! « Pourquoi l’humour ne pourrait-il pas figurer dans la boîte à outils de Dieu ? », m’ont-ils dit. J’ai trouvé ça drôle et étonnant.

Jonas Bendiksen - The Last Testament, Moses

Avez-vous eu des retours de la part de communautés de croyants ?  

J.B. : Oui et ce sont peut-être les retours les plus intéressants que j’ai eus sur mon travail. Lors de ma première exposition à Oslo, j’ai demandé au porte-parole d’une organisation locale de mission religieuse de venir s’exprimer. Il est venu, s’est assis au premier rang avec sa Bible et m’a dit qu’il nourrissait une certaine ambivalence vis-à-vis du projet. D’un côté, il savait qu’il pouvait être interprété comme une critique de la religion. De l’autre, il pouvait aussi le percevoir comme une célébration de la foi. Il n’était pas sûr de savoir si c’était l’un ou l’autre ! (Rires.) Pour moi, c’est en cela que c’est une réussite. À l’issue de la discussion, il me dit : « Vous savez, j’ai attendu toute ma vie le retour de Jésus, et je n’ai jamais imaginé à quoi il pourrait ressembler ! » Beaucoup de gens me contactent aussi pour me dire qu’il n’y a qu’un véritable Messie, que j’ai tout faux, qu’il est bien que je m’intéresse à la question car je semble « ne rien y connaître » … D’un autre côté, je reçois aussi énormément de retours positifs de personnes croyantes, notamment parce que le projet prend le sujet de la théologie très au sérieux. J’ai d’ailleurs été invité à animer un séminaire à la faculté de théologie d’Oslo et dans beaucoup de communautés d’Églises pour en parler.

Vous souvenez-vous de qui vous étiez avant de vous lancer dans ce projet ?

J.B. : Avant de me lancer dans le projet, je me posais toujours la même question : est-ce que c’est vrai ou est-ce que c’est faux ? J’ai appris que ce n’est peut-être pas la plus importante des questions. Peut-être qu’il n’est pas si important que ça de savoir si Dieu existe ou non. Peut-être que ces hommes redonnent du sens à la vie de ces gens et qu’il y a une certaine beauté là-dedans. Aujourd’hui, je dois admettre que tout me semble pâle en comparaison de ce j’ai vécu avec cette aventure. Quand vous retrouvez le reste de l’humanité, tout vous semble étonnamment gris !

Jonas Bendiksen - The Last Testament, Fidèles de Vissarion

 


À LIRE

Jonas Bendiksen, The Last Testament, Aperture, 2017.

À VOIR

Série documentaire Messiah : tv.nrk.no/serie/the-messiah

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Gianni dit :

    N'as-tu pas fait cela car tu pensais que tu l'étais ?

Laisser un commentaire