montage d'une femme avec une statue antique

Événementiel : marques et lieux culturels peuvent-ils vraiment s’entendre ?

© Lambada via Getty Images

Investir un musée ou un théâtre pour un événement professionnel : l'idée n’est pas nouvelle, mais hérisse encore le poil de certaines institutions françaises. Il est pourtant possible d’imaginer des relations plus vertueuses entre marques, agences et lieux de culture.

D’un côté, le besoin de s’ouvrir aux investissements privés face à l’érosion des subventions culturelles. De l’autre, la peur d’un éventuel « droit de regard » des marques sur les œuvres, voire celle de perdre la crédibilité de tout un patrimoine... En France, c’est sûr, les relations entre lieux de culture et entreprises sont encore pétries de complexes.

Pour Nicolas Laugero Lasserre, collectionneur d’art et directeur de l’Institut des Carrières Artistiques (ICART), elles sont pourtant nécessaires. « Bénéficier de plus d’argent privé, ce n’est pas sale, ça ouvre l’esprit et c’est un complément économique non négligeable, assumait-il au salon Museva qui se déroulait au Carrousel du Louvre les 28 et 29 janvier 2020. C’est certain, les lieux de culture vont devoir s’ouvrir et s’oxygéner. » En 2019, il lançait Fluctuart à Paris, un centre d’art urbain public et gratuit dont la moitié des prestations est dédiée aux événements privés. Preuve que la culture s’y met et que la filière évènementielle peut faire office de liant entre les deux mondes.

Audi et sa programmation de talents au Palais de Tokyo, Accenture et son « mécénat de compétences » au Louvre, la Nef du Grand Palais et son défilé de marques… Face à cette nécessité financière, les politiques de mécénat, de partenariats et d’événementiel se développent et s’hybrident. « Et lorsque les lieux culturels ont du mal à développer leurs projets, la relation agence-marque-institution peut être vertueuse dans les deux sens », explique à son tour Stéphanie André, directrice associée de l’agence Double 2. À quelques conditions près.

Vers des lieux culturels de plus en plus modulables  

Les espaces culturels deviennent des prestataires que les marques mettent en compétition.

Il faut dire qu’hier, les lieux de culture avaient surtout une mission : sanctuariser et délimiter un parcours pour protéger leurs collections. À mesure qu’ils s’ouvrent aux entreprises, ils deviennent des espaces flexibles aux fonctions multiples.  « Les bâtiments anciens sont pleins de contraintes car ils n’ont pas été pensés dans une optique événementielle, rapporte Aleksandra Smilek, directrice artistique de l’agence Auditoire. Aujourd’hui, on remarque une rupture dans la manière de concevoir les bâtiments culturels. On a de très bons exemples comme Fluctuart ou la Cité de la Mode qui sont des lieux très amovibles. »

En avril 2012, le Palais de Tokyo rouvrait ses portes après dix mois de travaux pour devenir l’un des plus grands centres d’art contemporain d’Europe. Il s’étend aujourd’hui sur près de 22 000 m², soit sur tout l’espace de son bâtiment d’origine fondé en 1937. À l’époque, le directeur du projet de rénovation Olivier Kaeppelin en parlait déjà en ces termes : « il faut en faire un lieu vivant qui ne soit pas un musée » . Espaces d’exposition et de projection, parvis gigantesque, salle de concert, restaurants, librairie… le lieu devient suffisamment hybride pour élargir ses offres et faire de la place aux marques.

Une mutation que Nicolas Laugero Lasserre dédramatise et interprète de façon rationnelle : « les espaces culturels deviennent des prestataires que les marques mettent en compétition. Et si l'on doit évidemment s’adapter, ça ne remet pas en question notre intégrité. »

Quelle stratégie pour quel lieu ?

Mais cela ne veut pas pour autant dire que les lieux dits « anciens » doivent renier leur patrimoine. « Parfois, les marques viennent chercher un lieu pour s’imprégner de sa culture, ajoute Aleksandra Smilek. En événementiel, on n’utilise pas juste un espace mais une histoire, on travaille chaque espace in situ. » L’un des grands mécènes du Louvre, Accenture, accompagne le musée avec un programme de transformation numérique depuis 2001, ce qui lui permet de goûter aux charmes du lieu lors de ses dîners annuels.

Mais bien souvent, politiques de mécénat et événements ponctuels ne suffisent pas. Certaines marques cherchent en effet à établir des partenariats culturels moins ostentatoires, mais plus durables. C’est le cas du programme Audi Talents qui accompagne des artistes émergeants depuis 2007 et leur permet d’exposer dans des lieux emblématiques comme le Palais de Tokyo, la Philharmonie de Paris ou la Friche la Belle de Mai à Marseille.

« L’intérêt ici n’est pas d’être mécène ou d’apposer le logo de la marque partout. Avec ce genre de projet, on raconte un engagement artistique et sociétal», complète Stéphanie André qui a participé à la construction du programme. « On met en place un calendrier de rendez-vous et on intègre la programmation du lieu sur la durée et de façon assumée. » Le tout est évidemment accompagné d'événements et de dispositifs de com' soigneusement distillés sur l'année. Selon la communicante, ces schémas sont intéressants pour les institutions culturelles car ils font preuve d’une certaine maturité.

Lieu culturel ou lieu événementiel ?

Est-ce que c’était un lieu de culture ? Est-ce que c’était un lieu événementiel ? La limite du modèle est peut-être là…

Bien sûr, certains lieux sont encore réticents, le risque étant que les prestations événementielles cannibalisent les programmes culturels ou empiètent sur l’ouverture au public. Un risque que Nicolas Laugero Lasserre a expérimenté par le passé lorsqu’il était à la tête de l’Espace Pierre Cardin, un théâtre, un cinéma, une salle de concert et un lieu d’exposition qu’il a dirigé pendant 15 ans. « C’était un lieu de mécénat qui ne bénéficiait pas de subventions publiques et produire autant de spectacles nous coûtait très cher », rapporte le collectionneur.

Très vite, il décide de changer de modèle en se tournant vers les marques et l’événementiel. « Il y a 15 ans, on était pratiquement les seuls à le faire. On enregistrait près de 2 millions d’euros de recette événementielle avec 100 ou 150 événements par an, mais on a rapidement été critiqués. Je crois qu’on y allait trop fort, qu’on dénaturait le lieu. Est-ce que c’était un lieu de culture ? Est-ce que c’était un lieu événementiel ? La limite du modèle est peut-être là… »

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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