
Les images générées par IA relèvent-elles de la photographie ? Pour l’artiste allemand Boris Eldagsen, c’est de la « promptographie ». Entretien.
Son The Electrician a perturbé le monde de la photographie lors des Sony Awards 2023 qui a réuni la crème de la profession. La photographie à l’esthétique rétro représente une femme au regard perdu blottie contre une jeune femme. Sur le côté, la main d’un homme repose sur son épaule. Ce cliché rafle un prix que Boris Eldagsen refusera. Sa photo est une œuvre générée par IA. Il voudrait, par son geste, provoquer un débat sur la place à donner aux images générées par ordinateur.
Votre œuvre The Electrician a remué la scène artistique. Lorsque vous avez généré cette photo sur Dall-E, où se logeait votre geste artistique ?
Boris Eldagsen : Dans le fait même de créer l’image ! Je n’appuie pas simplement sur un bouton et une image née. Pour The Electrician, j’ai dû passer par une vingtaine d’étapes. Le travail avec l’IA est très complexe. D’abord je conçois mon prompt puis l’IA. Mais ça ne suffit pas. S’ensuit une série de questions : que manque-t-il à cette image, comment changer le résultat par un autre prompt, ai-je besoin d’une autre plateforme ou d’un autre générateur ? Il n’est pas rare que je passe par une centaine d’étapes différentes, par d’innombrables propriétés piochées sur plusieurs plateformes avant d’arriver à un résultat satisfaisant. Chaque étape est une décision artistique. Avec l’IA, je deviens un chef d’orchestre, un réalisateur de films.
Par ailleurs, mon refus d’accepter le Sony Award ne relevait pas de la performance. J’ai renoncé à ce prix parce que j’avais demandé aux organisateurs de débattre sur cette question de l’IA et de la photographie. Pour moi, il y avait urgence à ce que la profession se penche sur ce sujet. Il y a un fossé entre ces avancées technologiques et la communauté des professionnels de la photo. Ce prix était l’occasion parfaite d’initier une vraie discussion. Les organisateurs n’ont pas souhaité la saisir.
L’utilisation de l’intelligence artificielle a-t-elle changé votre esthétique, vos motifs ou vos obsessions ?
B. E. : Non, mes obsessions artistiques n’ont pas changé. En revanche, l’IA m’offre une plus grande liberté créative. La mise en scène a toujours occupé une grande part de mon travail, mais je me sentais frustré par les circonstances : le lieu, l’équipement pour shooter, les aléas de la météo. Avec l’IA, c’est sans limites. On peut tout tenter. Si je pouvais travailler avec l’IA 48 heures par jour, je le ferais !
Qu'est-ce qui vous a amené à l'IA ?
B. E. : En avril 2022, un de mes amis photographes expérimentait l’IA depuis un certain temps. À l’époque, Dall-E n’était accessible que sur candidature. J’ai essayé. Et depuis, je suis mordu. Dès mes premiers clics, j’ai trouvé dingue le fait de pouvoir générer des images à l’envi, simplement armé de mots et de son imagination. Depuis janvier 2023, je centre exclusivement ma pratique autour de l’IA. C’est une recherche continue qu’on me demande de partager lors d’ateliers, de discussions. Tous les trois mois, je découvre quelque chose de nouveau. Je suis de la deuxième génération des artistes qui utilisent l’intelligence artificielle, de ceux qui ont découvert cette technologie avec Stable Diffusion ou Dall-E. (La première génération utilisait les GAN, à l’instar de Mario Klingemann ou Obvious, ndlr).
L’artiste français Grégory Chatonsky émet l’hypothèse que de cette forme d'art émerge une forme de nouveau réalisme. Qu’en pensez-vous ?
B. E. : Je me demande s’il n’y a pas un malentendu autour du réalisme. Historiquement, le réalisme défend une représentation du peuple, des gestes du quotidien pour offrir une image authentique de la vie. Cette idée de donner à voir le monde dans son authenticité, est toujours le lot de la photographie contemporaine. Pour ma part, avec l’IA, je ne crée pas de réalisme, mais des rêves. Si vous générez une image de la tour Eiffel, elle paraîtra réelle au premier regard. Mais si vous zoomez sur les détails, vous voyez bien que c’est une machine qui hallucine. C’est encore plus flagrant lorsqu’on zoome sur des portraits d’humains générés par l’IA. Toutes ces histoires de style, d’esthétique copiés ou de réalisme importent peu si on considère le potentiel transformatif de l’IA. Comment créera-t-on demain avec ces outils ? Quel sera le rôle des artistes et des professions créatives ? En tout cas, c’est ce que je trouve le plus excitant. On peut tous créer avec de l’IA. Plus vous expérimentez, plus ce que vous générez s’éloigne d’un résultat statistique, plus vous contrôlez l’IA et non l’inverse.
L’invention de la photographie dans les années 1840 a beaucoup inquiété les peintres. C’est ce qui se passe avec l’IA ?
B. E. : Pour Charles Baudelaire – qui a adoré se faire photographier par Nadar, ndlr – les photographes étaient des peintres manqués. Et aujourd’hui, les photographes disent la même chose des artistes qui ont recours à l’IA. Pourtant, la photographie a libéré les peintres du travail de représentation. On pouvait prendre en photo quelqu’un plutôt que le peindre. L’histoire de la peinture a évolué grâce à ce progrès technologique. Les peintres du XXe siècle ont été libres d’explorer d’autres voies. Ce qui se passe avec l’IA et la photographie, c’est le même cycle, mais en inversé : ce qu’il reste aux photographes est justement la représentation, la photo documentaire. L’IA sait générer le reste.
Est-ce pour cela que vous utilisez le terme de « promptographie » pour qualifier les photos que vous produisez avec l’IA ?
B. E. : Je vois ça comme un nouvel outil. Il induit un autre rôle de l’artiste. Désormais, on peut même s’autociter avec l’IA, créer à partir d’images qui servent de références. Aujourd’hui, j’oscille entre la génération par le prompt, ou par l’image-référence. Dans ce cas, je charge l’image, je n’ai même plus besoin de décrire l’image souhaitée, les propriétés qu’elle doit avoir. Je peux ôter les personnes, agir sur les couleurs, combiner différentes choses. Là encore, c’est mon métier de photographe qui va m’aider à concevoir la bonne image, à bien doser comme on le ferait d’un bon cocktail. Demain, avec l’IA, je serai une espèce de mixologue de l'image. C’est dommage, d’ailleurs, parce que j’aime beaucoup prompter.
Vos œuvres posent la question de la mémoire, notamment avec votre série Pseudomnesia où vous présentez une série de fausses photos du passé.
B. E. : Carl Gustav Jung (fondateur de la psychologie analytique) parle d’un inconscient collectif que nous partagerions à travers les époques et les cultures. Ça m’a toujours intéressé. J’ai passé un semestre en Inde (où la vision du temps est cyclique, et non linéaire, comme en Occident, ndlr), et je travaille en ce moment avec un artiste bangladais pour explorer ces archétypes intemporels. Dans Pseudomnesia, je poursuis l’idée – ironique - que certes, ces images semblent issues d’un autre temps, alors qu’elles n’existent tout simplement pas. Je laisse toujours un indice assez clair du fait que ces images sont fake, qu’elles ne peuvent être le produit d’un appareil photo. Je ne veux pas mentir aux gens.
Vous semblez beaucoup tenir à informer le public.
B. E. : Oui, ça me chagrine quand on n’indique pas clairement que les images ne sont pas « réelles ». C’est dangereux. Pour moi, la désinformation n’a rien à faire dans le monde de l’art. C’est aussi pour ça qu’une des expositions aux dernières Rencontres photographiques d’Arles m’a pas mal agacé (Fermier du futur, ndlr). Il faut lire le texte de présentation de bout en bout pour comprendre qu’il s’agit d’images issues de modèles d’IA. Là encore, on a raté une chance de débattre de l’IA et de la photographie. Désolé de faire le Schtroumpf grognon, mais c’est dommage ! Quand est-ce qu’on parlera de « l’éléphant dans la pièce » ?
Boris Eldagsen fait partie du collectif d’artistes IA, Année Zéro Galerie. Il sera présent au festival international de photographie Noorderlicht, aux Pays-Bas, qui consacre son édition de cette année à l’intelligence artificielle.
L'IA est comme la vérité "alternative" telle qu'exprimée par Donald Trump et tout ceux qui l'approuvent et relaient ses messages et sa vision tordus du monde.
L'IA c'est la réalité alternative comme les peintres qui produisaient des toiles abstraites en leur donnant un nom.
C'est le même débat que ceux qui prônent la lecture d'un livre papier versus une tablettes ou une liseuse.
Le monde change et on de plus en plus de mal à faire la différence entre ce qui est vrai et ce qui est faux c'est juste un sujet de plus.