Et si Internet venait à disparaître ? C’est la question posée par l’exposition The Dead Web au Festival Mirage de Lyon. Entre vestiges technologiques et vanités du Web, elle propose une courte immersion dans un monde où le grand réseau, surchargé, s’effondre.
Il y a comme un air de fin du monde dans cette petite salle sombre. Ou plutôt comme un air de fin du Web. Au festival d’art numérique Mirage, l’exposition The Dead Web semble attirer davantage de visiteurs que les autres, malgré sa petite taille. Est-ce pour la question qu’elle soulève en filigrane ou pour son potentiel instagrammable ? Les deux hypothèses se valent.
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Web à la dérive
Ici, on se croirait sur un site de fouille archéologique du futur. Câbles, écrans et bugs informatiques s’entremêlent dans une atmosphère presque apocalyptique. Mais détrompez-vous. La fin du Web est peut-être proche, mais une poignée d’irréductibles signaux de connexion luisent encore : quelques écrans, où passent images et fenêtres pop-up fragmentées, se font les médias d’un nouveau monde - un « mausolée du Web » où l’Homme n’existe plus non plus.
In Extremis, Dominique Sirois et Baron Lanteigne, Photo : L'ADN
Partagé entre réalité numérique et physique, l’espace explore un laps de temps « déconnecté » de tout serveur. Avec In Extremis, une installation à la fois sculpturale et vidéo, les artistes Dominique Sirois et Baron Lanteigne flirtent avec ces deux mondes. Des écrans épars diffusent des messages brouillés. Sur l’un d’eux, une main humanoïde fait défiler ce qu’on imagine être un fil d’actualité Facebook déformé et obsolète.
In Extremis, Dominique Sirois et Baron Lanteigne, Photo : L'ADN
Cette nouvelle forme de vacuité prend tout son sens avec la peinture à l’huile « Memento Vastum » de Julien Boily, unique œuvre du parcours utilisant une technique picturale traditionnelle. Un crâne humain y dévisage un écran DELL vierge, clin d’œil aux vanités du 17ème siècle (Souviens-toi que tu vas mourir ! ) symbolisant la mort inéluctable – ici de l’Homme et de sa création ? - et le temps qui passe.
« Memento Vastum », Julien Boily /Photo : L'ADN
Les festivités continuent avec Infinitisme.com, une plateforme autonome au webdesign douteux dont le but est de générer des compositions virtuelles aléatoires en piochant dans une base de données de GIF, d’images, de sons, de textes et de vidéos. Dénué de toute fonctionnalité, ce site autonome en « éternel progrès » laisse l’utilisateur errer et cliquer au hasard, sorte de radeau de fortune dérivant dans un océan de données anonymes.
Capture d'écran : Infinitisme.com
On touche à la fin du parcours avec le fameux mausolée du Web, baptisé « L’objet de l’Internet » . Il se compose d’une structure métallique dans laquelle les visiteurs sont invités à entrer individuellement. À l’intérieur, une roue faite de miroirs s’agite autour de leur tête. Grâce à un procédé cinétique et optique, leur reflet se décompose en une multitude de fragments, métaphore des réseaux sociaux et de nos avatars virtuels gonflés à l’ego dérivant, eux aussi, dans le vide d’Internet.
La fin du Web n’aura pas lieu ?
Selon la commissaire de l’exposition Nathalie Bachand, tout a commencé en mai 2015 lorsque elle prend connaissance d’un article du Monde sur la fin d’Internet. Après quelques recherches, nous en déduisons qu’il s’agit probablement de celui-ci : « Internet congestionné d’ici à 2023 ? Pas si vite ! » . À cause d’une augmentation spectaculaire du volume de données, des chercheurs alarmistes annoncent la déchéance proche du Net, la « Capacity Crunch » ou « crise de capacité » comme l’appelle la Royal Society, institution scientifique britannique.
« Dans un contexte où le réseau pourrait s’effondrer avant même la fin de son « adulescence », on peut tenter de figurer la chute et une forme d’après-monde du Web », explique la commissaire. Carcasses vides de serveurs et mers de déchets électroniques ? Néant numérique des écrans ? Machines imitant le Web ? Internet artisanal ? », se questionne-t-elle.
Alors que le scénario relève de la science-fiction, il fait pourtant écho à un enjeu bien réel, celui de notre empreinte numérique et du péril écologique qui en découle. Dans certaines parties du monde, l’obsolescence programmée et déchets électroniques qui en résultent font déjà des ravages. Quand ce ne sont pas des petites mains qui s’échinent à les désosser pour en récupérer les composants, laptops et smartphones finissent irrémédiablement à la décharge. La fin du Web, ce n’est pas encore pour tout de suite. En revanche, les cimetières numériques existent bel et bien, et leur épitaphe est le suivant : « nous survivrons aux Hommes et marquerons la planète pour toujours ».
La première itération de l’exposition The Dead Web – La fin a été présentée en 2017 au Eastern Bloc (Montréal, Québec, Canada). Ce projet a obtenu le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec et du Conseil des arts du Canada.
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