
En 2020, des cyberplaisantins popularisent le « Zoom trolling ». La pratique, un temps oubliée, connaît un regain de popularité en 2024, et est aussi bien utilisée pour rigoler qu’à des fins de déstabilisation politique.
« I’m a trans god hater! Twerk on the devil! Hahahaha! Woke! »,s’égosille le troll masculiniste Sneako, en pleine visioconférence organisée par une Église américaine. Torse nu, l'œil fou, il débite ses provocations. Son audience est hilare, mais sur l’écran, c’est la panique. Une dame répète en boucle « Jesus! Jesus! Jesus! ». Sitôt Sneako viré de la réunion, un participant lâche : « What the hell was that? » C’était un Zoom bombing (ou « Zoom trolling »), cette pratique qui a tout du prank, ces canulars vidéo bien connus de YouTube... Mais ici, c’est en format visio que ça se passe.
C'est quoi le Zoom bombing ?
Issu de la culture des forums, le Zoom bombing est pratiqué par des forumeurs du quotidien, pour s’amuser, seuls ou en raid. Chaque plateforme peut être un terrain pour ces trolls qui viennent parfois pourrir les lives TikTok, Insta ou YouTube, s’infiltrer dans les sections audio de serveurs Discord, ou sur des lives de cam girls. Leurs vidéos sont reprises en best of sur tous les réseaux, sur YouTube, ou sur TikTok, où les hashtags regroupent des centaines de millions de posts. Dans un best of YouTube comptant 3,5 millions de vues, Sneako infiltre des clubs de lecture, des cours, des réunions d’amateurs de vin, etc. Il se lève parfois d’un coup et danse tout en rappant des paroles improbables, se travesti et dit n’importe quoi. De quoi alimenter la légende de ce streameur sulfureux et masculiniste. La cote du Zoom bombing avait eu tendance à baisser après la pandémie, mais elle remonte, et de gros youtubeurs s’y mettent, tels Moist Cr1TiKaL ou Kai Cenat. Mais le « Zoom trolling » n’est pas uniquement utilisé pour faire des vues et amuser les internautes.
City Council Death Squad
Depuis l’année dernière, la Californie subit une vague de Zoom bombing politique. Des trolls de l’alt-right s’infiltrent dans les visios des conseils municipaux pour y tenir des propos de suprémacistes blancs, homophobes et mysogine et exercent ainsi une déstabilisation de la vie de la cité. Uniquement à l’automne 2023, plus d’une cinquantaine de villes californiennes ont été touchées, et ces attaques auraient pris de l’importance depuis début 2024. D’après le journaliste Dale Dougherty du média local Sebastopol Time, ces méfaits seraient l'œuvre d’un groupe nommé le « City Council Death Squad », dont il a trouvé des traces dans le podcast « It Could Happen Here ».
On y entend que « (Zoom) a été une aubaine pour la démocratie locale, mais il a également créé une opportunité unique pour ceux qui veulent la ruiner. Ainsi, l’année dernière, Scotty Big Balls, Mr. Big Balls, le pseudonyme en ligne d’un nazi autoproclamé nommé Harley Ray Petero Jr., a lancé le City Council Death Squad (CCDS). (...) Le groupe s’organise en ligne pour trouver des réunions gouvernementales, principalement des réunions de conseils municipaux et départementaux dans tout le pays, qui permettent au public de commenter via Zoom. Ensuite, il coordonne ces membres pour qu'ils s'inscrivent à des plages horaires de parole, éliminant ainsi les membres réels de la communauté qui tentent de s'exprimer sur des questions réelles d'intérêt local. » Un simulacre de guerre civile numérique ? Presque.
Voix en IA & usurpation d’identité
Et si ces trolls utilisent parfois des voix en IA afin de se faire passer pour des personnes présentes – ou non –, des journalistes américains ayant enquêté sur le « Zoom trolling » se sont à leur tour fait usurper leur identité, au sein de réunions publiques à travers tout le pays. Ces attaques ont donc incité des localités, comme Sacramento ou Walnut Creek, à arrêter l’usage de la visio. Certains redoutaient que cela n’incite les trolls à se pointer IRL. Et c’est bien ce qu’il s’est passé en février à Walnut Creek. Le leader de la City Council Death Squad est arrivé en personne, tout de noir vêtu, avec un T-shirt nazi et des lunettes noires, et a pu – car protégé par le 1er amendement – déblatérer ses énormités racistes devant une audience impuissante. Verra-t-on bientôt la même chose chez nous ? Oui.
En juin dernier, une réunion Zoom officielle des Nations unies a été infiltrée par des trolls y ayant diffusé des images pornos. Et en France, pendant les législatives de juillet, le ministre et candidat franco-canadien Roland Lescure s’est lui aussi fait « Zoom bomber ». Représentant des Français d’Amérique du Nord, il s’est fait attaquer durant un visio-meeting avec 200 électeurs, qui a été inondé de vidéos pornos violentes. Des cabinets antitrolls font leur apparition çà et là ; on n’a sûrement pas fini de gérer ces opérations de Zoom bombing et de ses mutations.
Participer à la conversation