Sur Twitch, les bombardements de Gaza politisent les streamers

Souvent cantonnés à l’entertainment et à quelques émissions caritatives, les streamers de Twitch assument de plus en plus leurs convictions.

« Moi, je politise le mouvement, j’emmerde l’extrême droite, j’emmerde le gouvernement français, j’emmerde le gouvernement états-unien, j’emmerde tous les fachos. » Sur X, ce coup de gueule extrait de l’émission du streamer Ponce a tourné quelque temps dans les trending topics.

Pointée du doigt par quelques comptes situés à droite de l’échiquier politique mais aussi par d’autres streamers populaires comme Sardoche, cette vidéo a fait réagir car, sur Twitch, les prises de position politique engagées sont de plus en plus nombreuses.

Le tabou de l'opinion politique sur Twitch

Ce coup de gueule n’est pas venu seul. Il s’inscrit dans le contexte d’une récolte de fonds à destination de l’ONG Médecins du Monde pour soutenir son travail en Palestine. Organisé à l’initiative de la streameuse Baghera_Jones, l’évènement a duré du 31 mai au 5 juin et a recueilli plus de 600 000 euros. Parmi les participants, on trouvait Natoo, LittleBigWhale, AngleDroit, Clément Viktorovitch, Doigby ou bien MisterMV. La plateforme de stream a l’habitude d’accueillir ce genre de levées de fonds engagées. En janvier 2023 déjà, un collectif de streamers s’était mobilisé pour alimenter les caisses de grève durant le mouvement social contre la réforme des retraites. Pourtant, une telle prise de parole, que certains jugent opportuniste ou radicale, est rare dans ce milieu.

Dans un article du Monde consacré au rapport compliqué qu’entretiennent les streamers avec la politique, le journaliste Vincent Manilève soulignait que la peur de cliver son public ou de se couper de ses sponsors avait généralement tendance à freiner les ardeurs des streamers. Même pendant les évènements caritatifs comme le ZEvent, la plupart des créateurs évitent les commentaires ou les mouvements de colère. Seul coup d’éclat de ces dernières années : le streamer Antoine Daniel, suivi par un million de personnes, qui avait traité Emmanuel Macron de « bâtard », alors que le président avait tenté une récupération médiatique de l’évènement.

La cause palestinienne consensuelle chez les jeunes

Au-delà de ces rares coups de gueule, les bombardements massifs sur les populations civiles de Gaza poussent certains streamers sur un terrain politique qu’ils n’auraient jamais abordé en temps normal. C’est le cas de Sam Zirah, un youtubeur et streamer qui mène des interviews people avec des influenceurs issus de la téléréalité. Le 1er juin, il a publié une longue interview de la candidate insoumise Rima Hassan dans laquelle il n’hésite pas à aborder les questions du racisme de la classe politique française ou de la qualification des évènements de Gaza.

Pendant longtemps, Twitch était considéré comme un repère de geeks obsédés par les jeux vidéo, davantage que comme un repère d’éditorialistes gauchistes. Seuls quelques streamers comme Jean Massiet avaient tenté, dès 2015, d’importer un peu d’actualités et de commentaires politiques sur la plateforme. À partir de 2021, les lignes ont commencé à bouger avec l’arrivée de streamers à l’audience plus large, comme le journaliste Samuel Étienne et les premières interviews de personnalités politiques en live. Mais ce sont surtout les streamers spécialisés dans les formats "React" et bien ancrés à gauche comme Dany et Raz, Ostpolitik ou Usul qui ont libéré une parole plus engagée. Et la France n’est pas le seul pays concerné. Aux États-Unis aussi, la cause palestinienne a trouvé des échos sur la plateforme avec une cagnotte organisée par la youtubeuse Nikki Carreon, qui a récolté 1,5 million de dollars. Là encore, des créateurs de contenu qui n’avaient rien à voir avec la politique – comme Frederic Chen, spécialisé dans le maquillage – ont apporté leur voix sur des sujets qu’ils évitent la plupart du temps. Pour cela, il aura fallu attendre la mort de plus de 31 000 personnes.