
L'après-Covid est un virage difficile à négocier pour les acteurs de la presse indé. Le nombre d'abonnements est en baisse et la guerre en Ukraine a fait exploser les prix du papier. Décryptage.
« On n’est pas mort. On est dans la merde, mais on n’est pas mort. » Ce constat un brin amer, c’est celui d’Ivan Gaudé, directeur de la rédaction de Canard PC, un magazine papier et indépendant dédié aux jeux vidéo. Le 20 juin dernier, il annonçait la mort dans l’âme le départ de quatre collaborateurs, dont trois salariés à temps plein, et la réduction de la pagination du magazine. Les raisons invoquées ? Deux ans après le Covid et 3 mois après le début de la guerre en Ukraine, les difficultés s’accumulent dangereusement sur le secteur de la presse indépendante.
« Il n’y a plus de papier ! »
Comme l’explique Ivan Gaudé dans un long échange qu'il a eu avec ses lecteurs sur Twitch, plusieurs facteurs expliquent ces difficultés. Il y a bien évidemment les confinements qui ont bloqué les ventes en kiosques pendant plusieurs mois. C’est notamment le cas pour beaucoup de magazines papier qui sont consommés pendant les transports quotidiens ou durant les vacances. S’ajoute à cela une conjoncture particulière pour le secteur du jeu vidéo. « On a eu de grosses pénuries de matériel informatique et électronique qui nous ont pénalisés dans l’actualité du hardware (la société qui édite Canard PC publie aussi un magazine spécialisé sur le matériel informatique, ndlr), mais aussi au niveau publicitaire puisque certains annonceurs n’avaient rien à vendre. »
Par ailleurs, une première crise du papier dès le début de l’année 2021 a tiré les prix vers le haut. La raison est purement mécanique : l’industrie pharmaceutique et le secteur de la logistique avec notamment la livraison à domicile ont vu leurs besoins en carton exploser. Les fabricants ont préféré se placer sur ce créneau, diminuant la production de papier et augmentant donc son coût. Puis ce fut l’embargo commercial, mis en place depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine. Ce dernier a pour effet de bloquer l’exportation de bois venant de Russie, exportation qui avait déjà été fortement taxée par le pays début 2022. Enfin, de nombreux éléments nécessaires à l’imprimerie comme des plaques d’aluminium, des produits chimiques ou l’encre par exemple, étaient produits dans des usines de Marioupol. Résultat : le prix de l’impression a explosé. « Je travaille dans la presse depuis 25 ans et je n’ai jamais vu ça, commente Ivan Gaudé. On parle d’une augmentation entre 80 % et 100 % en l’espace de 8 mois. »
La presse en ligne en perte d’abonnés
Canard PC a toujours demandé à ses lecteurs de soutenir le magazine papier, notamment via les abonnements. À présent que le papier est devenu une matière rare, Ivan Gaudé demande de privilégier les abonnements numériques qui reviennent moins cher. Si ce fleuron de la presse vidéo ludique existe depuis une vingtaine d’années, c’est grâce à sa communauté engagée toujours prête à mettre la main au porte-monnaie. En mai 2021, la rédaction avait récolté plus de 334 000 euros en crowdfunding (sur un objectif de 80 000) pour démarrer sa « révolution » numérique.
D’autres médias indépendants souffrent aussi de la baisse des abonnements numériques. C’est notamment le cas du site Les Jours qui a lancé une nouvelle campagne de recrutement avec pour objectif d’avoir 1 500 abonnés en plus pour 2022 afin de terminer l’année à l’équilibre. Dans un article évoquant avec transparence la santé financière du média, Isabelle Robert indiquait que le journal en ligne avait perdu des lecteurs en 2021 en passant de 13 000 à 12 000 abonnés. Dans l’émission Club Indé produite par le site Arrêt sur Images, la cofondatrice explique aussi que la campagne présidentielle, qui d’habitude permet aux médias d’augmenter ses ventes, a produit en 2022 une sorte de « fatigue démocratique » et a généré l’effet inverse. Par dégoût ou lassitude, les gens ont donc aussi arrêté de lire la presse. De son côté, Mediapart a perdu 2,1 % d’abonnés en 2021 avec cependant un score très honorable de 213 533 lecteurs payants. Arrêt sur Images, qui comptait 23 300 lecteurs payants en ligne en 2020, essuie une perte de 800 abonnés pour 2022. Pour rappel, ces médias qui ne comptent bien souvent que sur leurs abonnés pour vivre ne bénéficient pas des aides à la presse données par l'État. La seule solution pour les aider est donc de s'abonner.
Canard PC ? bof bof bof. J'aimais mieux "le virus informatique", qui a apparemment sombré corps et bien.