
À l’heure où plus de 10 millions de Français ont voté pour le Rassemblement National, il est temps de faire le bilan médiatique de cette campagne.
« Face à l’extrême droite, pas de neutralité. » Dans une lettre ouverte publiée le 2 juillet sur le site de l’intersyndicale SNJ/CGT, un collectif de 62 journalistes de 20 Minutes s'est élevé contre la direction du journal gratuit qui « s’entête à réclamer une ligne qu’elle estime “neutre”. » Rappelant son ADN progressiste et sa Une de 2002 qui appelait les lecteurs à « ne pas faire les cons » face à Jean-Marie Le Pen au second tour, le collectif rappelle que la charte de son média l’engage à « ne pas faciliter l’expression des convictions extrêmes et destructrices de la société. »
Inversion des valeurs
Cet appel à éviter la neutralité face aux dangers que représente l’extrême droite vous semble exceptionnel dans le paysage médiatique ? C’est normal. Depuis le début de la campagne des Européennes puis au cours de la campagne législative, on a assisté à un véritable renversement des valeurs dans les médias. Comme l’a souligné le directeur de recherche du CNRS au Centre d’Analyse et de Mathématique Sociales David Chavalarias dans son rapport sur les ingérences russes, le traitement antirépublicain habituellement réservé par les journalistes à l’extrême droite semble être à présent réservé aux dirigeants de La France Insoumise. Il semble loin le temps où des médias accueillaient les dirigeants du RN avec des questions pugnaces et frontales. On se rappelle le fameux « Bonjour Marine Le Pen, vous n’avez pas honte ? », lancé par Jean-Pierre Elkabach en début d’interview pour souligner l’absence de la dirigeante aux manifestations de soutien à Charlie Hebdo.
La qualification même du Rassemblement National comme parti d’extrême droite n’est plus assurée par certaines personnalités médiatiques. Sur le plateau de Quotidien le 28 juin dernier, les journalistes David Pujadas (LCI), Apolline de Malherbe (BFM/RMC) et Yaël Goosz de France Inter étaient justement interrogés sur ce point. Pour le premier, le RN est tellement différent des autres partis européens du même bord, qu’il semble ne plus mériter, à ses yeux, le qualificatif d’extrême droite. Pour la seconde, elle préfère désigner les partis par leur nom plutôt que de les qualifier sur l’échiquier politique. Seul Yaël Goosz a indiqué se référer à la décision du Conseil d’État de mars 2024 qui avait définitivement classé le parti du RN sous l’étiquette « extrême droite » tout en rappelant que LFI et le PCF se sont étiquetés « à gauche », et donc non pas à l’extrême gauche.
La théorie du fer à cheval
Sur la route de cette normalisation voulue par Marine Le Pen, d’autres arguments ou biais sont avancés par les journalistes, et notamment celui de la légitimité dans les urnes. Sur BFM, la journaliste chroniqueuse Géraldine Woessner (connue pour mener des campagnes de harcèlement sur des journalistes s’attaquant aux sujets du glyphosate) s’étouffe quand l’écrivain et chroniqueur Charles Consigny souligne que le parti a été fondé par les héritiers du pétainisme et que cette idéologie antigaulliste est devenue mainstream. La journaliste rétorque en indiquant que cette phrase insulte les 11 millions d’électeurs du RN qui seraient qualifiés de « fachos ».
À l’inverse, la vision du parti de La France Insoumise comme étant « extrémiste » voire « antirépublicain » s’est imposée dans le paysage médiatique. Cette rhétorique a été poussée par le président Emmnanuel Macron lui-même qui a évoqué « les extrêmes » en parlant de ses ennemis politiques lors de sa conférence de presse le 12 juin dernier. C’est la fameuse théorie du fer à cheval selon laquelle les partis extrémistes se valent et se rejoignent, même si dans les faits, les programmes et même les idéologies du RN et de LFI sont diamétralement opposés.
Cette vision reste biaisée tant la normalisation du parti d’extrême droite et ses thématiques sur l’immigration et l’islamisme ont envahi les médias, notamment ceux de Bolloré. En juin dernier, CNews s’est par exemple classée première parmi les chaînes d’information en continu, devant BFMTV avec 2,8 % de part d’audience. Le chiffre peut sembler dérisoire mais il faut l’inscrire dans un contexte plus large comprenant aussi les émissions de Cyril Hanouna sur C8 et l’antenne d’Europe 1 où les journalistes historiques voient d’un œil inquiet le glissement de la ligne éditoriale vers l’extrême droite.
Résister, oui, mais comment ?
Pour maintenir la cadence, la concurrence s’aligne. Sur BFMTV, les invités d’extrême droite se multiplient comme ces interventions de l’influenceuse suprémaciste et masculiniste Thaïs d’Escufon le 18 décembre dernier, ou bien l’influenceuse Mila en avril dernier sur le sujet de l’immigration. Mais ce n'est pas tout. D'après un article de Mediapart, Marc-Olivier Fogiel, le patron de BFMTV, a demandé aux programmateurs de « veiller à l’équilibre des plateaux », une demande suivie de l'envoi d'une liste d’éditorialistes réactionnaires aux journalistes chargés de sélectionner les invités, comprenant un ancien communicant du RN et plusieurs journalistes de « Valeurs actuelles » et du « JDD ».
Tous les médias ne sont pas concernés. Le 19 juin dernier, une tribune publiée sur Reporterre et signée par 90 médias indépendants comme Street Press, Disclose ou Arrêt sur Image appelait à se positionner contre l’extrême droite. À France 3, cinq membres du bureau de la Société des journalistes qui ont signé cette tribune ont été suspendus de leur rédaction jusqu’au 8 juillet, date de la fin du scrutin. Ces derniers ont été accusés par leur direction d’avoir appelé à voter « en faveur de candidats aux élections législatives » et donc d’avoir nui à « l’image d’impartialité des rédactions de France Télévisions. »
"À l’inverse, la vision du parti de La France Insoumise comme étant « extrémiste » voire « antirépublicain » s’est imposée dans le paysage médiatique."
Ne s'est-elle pas aussi imposée dans l'hémicycle et dans des prises de paroles extrêmes?
Nier la bascule LFI n'est-il pas aussi dangereux et impartial que l'inversion des valeurs dénoncée dans cet article?
Je n'ai jamais voté pour le Front National, ni pour le RN.
Je ne suis pas concerné par le vote de dimanche prochain, à la suite de l'élection au premier tour du candidat de mon secteur ; mais s'il m'avait fallu choisir entre le RN et le NFP, j'aurais sans doute voté " blanc ". Désolé de vous contredire mais, pour moi, il existe bien une extrême gauche - que je rejette carrément.
« Seul Yaël Goosz a indiqué se référer à la décision du Conseil d’État de mars 2024 qui avait définitivement classé le parti du RN sous l’étiquette « extrême droite » tout en rappelant que LFI et le PCF se sont étiquetés « à gauche », et donc non pas à l’extrême gauche » : c’est également le Conseil d’État qui a étiqueté LFI et PCF à gauche, ils ne l’ont pas fait eux-mêmes comme selon semble sous-entendu