
Les patrons de Meta, Snapchat, TikTok, X et Discord se sont fait étriller par des sénateurs américains gonflés à bloc et des familles d’ados suicidés.
« Monsieur Zuckerberg, je sais que vous ne le pensez pas, mais vous avez du sang sur les mains… Vous avez un produit qui tue des gens. » Si vous avez l’habitude de suivre un peu l’actualité tech, vous savez à quel point les auditions de CEO des grosses plateformes sociales devant des sénateurs américains sont des moments de politique spectacle. Ce mercredi 31 janvier, Marc Zuckerberg (Meta), Linda Yaccarino (X), Evan Spiegel, (Snapchat), Shou Zi Chew (TikTok) et Jason Citron (Discord) étaient tous réunis pour répondre aux questions concernant le sujet délicat de l’exploitation des enfants en ligne. En plus des questions vindicatives posées avec un débit de mitraillette, les dirigeants avaient dans leur dos des familles d’enfants victimes d’exploitation sexuelle et de suicide qui brandissaient des portraits de leurs proches, un dispositif lourd de symboles.
De plus en plus de photos pédocriminelles sur le Web
L’audition s’est ouverte sur le discours du sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham. Après avoir indiqué que les CEO avaient « du sang sur les mains », il a estimé qu’il fallait abroger l’article 230. Cette loi fédérale qui immunise les sites Web et les plateformes sociales contre des poursuites judiciaires découlant du contenu généré par les utilisateurs. Le sénateur a aussi rappelé une anecdote personnelle ; le suicide du fils d’un législateur d’état qui a été pris au piège d’une extorsion à la webcam démarrée sur Instagram. Cette technique consiste à inciter un jeune à se masturber face caméra puis à le menacer de la diffuser pour obtenir de l’argent.
La question de l’exploitation sexuelle des enfants, longtemps restée dans les limbes, est revenue sur le devant de la scène il y a plus d'un an, suite à la prise de parole de la lanceuse d'alerte Frances Haugen (ex-salariée de Facebook), l'action de diverses ONG, et la publication de rapports sur le sujet. Dernier en date : celui de l’Internet Watch Foundation, une organisation britannique qui lutte contre la pédocriminalité. D’après ce dernier, publié en janvier dernier, il n’y a jamais eu autant d’images d’abus sexuel d’enfant sur le Web en 2023 avec 392 660 signalements. L’âge des enfants concernés a lui aussi fortement baissé avec 107 615 pages Web contenant des images d’enfant de moins de 10 ans, soit une augmentation de 66 % par rapport à 2022.
La grande majorité de ces images sont autogénérées, c’est-à-dire qu’elles sont faites par les enfants eux-mêmes après avoir subi du grooming (une technique de manipulation consistant à gagner la confiance contre des attentions et des cadeaux) ou du chantage. Alors que la tendance des usages est de privilégier les échanges privés et chiffrés, l’IWF indique qu’il sera de plus en plus difficile de repérer ce type de pédocriminalité.
Des excuses publiques mais peu d'engagement
C’est sur ce point en particulier qu’a insisté le sénateur républicain et ultra-conservateur Ted Cruze en dévoilant au public un message d’avertissement qui apparaît sur Instagram au moment où un utilisateur lance une requête pouvant montrer des images pédocriminelles et qui laisse le choix entre regarder les résultats ou être dirigé vers des ressources d’aide. De son côté le sénateur Josh Hawley a rappelé que 24% des utilisatrices âgées entre 13 et 15 ans avaient reçu des avances sexuelles non sollicitées durant les sept derniers jours. Quelques instants plus tard, le même sénateur a demandé à Marc Zuckerberg de s’excuser publiquement auprès des familles présentes dans la salle. Sur Twitter, la lanceuse d’alerte Frances Haugen a relayé ce moment incroyable, indiquant qu’elle n’avait jamais imaginé assister à une scène pareille.
Le PDG de TikTok, Shou Chew n’a, lui non plus, pas été épargné par les sénateurs. On lui a demandé à plusieurs reprises les liens de son entreprise avec la Chine, via la société mère ByteDance puis a été mis au pied du mur pour déclarer publiquement que la répression des étudiants de Tiananmen en 1989 avait été un massacre. Le PDG de Snapchat, Evan Spiegel a lui aussi dû présenter des excuses auprès des familles pour les enfants qui ont pu acheter de la drogue via sa plateforme. Tous ont été rappelés à leur devoir de ne plus s’opposer aux différents projets de loi voulant mieux réguler l’activité des plateformes.
En fin de compte, que retenir de cette séance de fessée collective et publique ? Yaccarino de X a annoncé que son entreprise allait soutenir le projet de loi STOP CSAM, une législation introduite par le sénateur démocrate Durbin qui vise à tenir les entreprises technologiques responsables des contenus pédopornographiques et permettrait aux victimes de poursuivre en justice les plateformes technologiques et les magasins d'applications. Les autres CEO n’ont pas donné leur avis et vont sans doute continuer à se battre pour garder leur société hors d’atteinte de la justice.
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