
Alexa, Siri et Google ont été adoptés avec enthousiasme aux États-Unis, au point même de « faire partie de la famille ». Plongée dans un présent qui ressemble à s'y méprendre à Black Mirror...
Il est 6 heures du matin à San Mateo, une petite ville au sud de San Francisco en Californie. À l’heure où la brume matinale étreint encore les pavillons de la Fog City (la Ville du brouillard), le réveil retentit chez les Wallace. Avant de poser un premier orteil frileux sur le sol, Chris Wallace, entrepreneur de la Silicon Valley, donne des ordres non pas au personnel de maison – il n’y en a pas – mais à son équipe de majordomes numériques : « Alexa, prépare le café », « OK, Google ! Allume la lumière », continue-t-il, l’esprit encore engourdi, sur le chemin de la douche. Alors qu’il tergiverse entre une chemise légère et un pull – le temps est changeant sur la baie – « Siri, quelle est la météo ? ». Pendant qu’il enfile son tricot, il se dirige vers la cuisine. Sa femme et une tasse d’expresso fumant l’y attendent, pendant que Google Home récite les premières infos.
La scène ressemble à un épisode de la série d’anticipation Black Mirror ? Il s’agit pourtant du quotidien de la famille Wallace. Comme eux, de nombreux Américains se sont laissé séduire par un assistant vocal. On peut même parler d’une déferlante. Selon une étude menée par la NPR (National Public Radio) et l’institut de recherche Edison, 43 millions de foyers sont équipés d’une enceinte connectée depuis le lancement des assistants, outre-Atlantique. Quelque 20 % des recherches sur Google passent déjà par la voix, et une étude prédit 7,5 milliards de ces assistants d’ici à 2021 dans le monde.
Dot en stock
« Nous avons été des “early beta users” d’Alexa, explique Chris. — C’était pour nous simplifier la vie, déclare Meg, sa femme, une institutrice de 50 ans. — Et aussi pour impressionner nos amis, s’amuse l’entrepreneur, parce que en général, nous sommes la première famille de notre entourage à acquérir les derniers gadgets géniaux ! » Et la famille n’a pas lésiné. Depuis Alexa, cinq autres enceintes sont venues compléter le mobilier de la famille. « Une dans le salon, une autre dans la salle à manger, et une dans chacune des chambres. »
Une seule enceinte n’était-elle pas suffisante ? « J’ai acheté Alexa parce que je suis membre d’Amazon Prime et je voulais pouvoir accéder à Audible (livres audios, NDLR), continue Chris. Nous avons quatre Amazon Dots supplémentaires, une Google Home pour être reliés aux comptes Google type Gmail, Google Pixel Phone, Google Play pour la musique. Et j’utilise Siri en voiture, pour écrire des textos. » L’ingénieur n’a pas hésité à relier les services à des prises intelligentes pour la cafetière, les interrupteurs ou le ventilateur.
La famille Wallace reste une exception. Pour beaucoup, le service vocal se cantonne à des recherches basiques. « Je l’ai achetée sur Amazon Prime, elle était en solde, explique Linda Near. Je me réfère toujours à elle comme Alexa puisque que c’est comme ça que je m’adresse à elle, enfin à... ça, enfin heu… » La jeune retraitée hésitait même à lui dire « s’il vous plaît » et « merci » au début, pour éviter l’impolitesse. Son mari Rod et elle, tous deux ex-banquiers de 63 et 68 ans, se sont équipés il y a deux ans, « une vraie nouveauté », à l’époque. Mais Rod avoue s’être désintéressé du service rapidement. Il regarde donc sa femme « demander à Alexa de mettre de la musique ». Linda aussi confesse que se sont surtout ses neveux et nièces qui l’utilisent lorsqu’ils viennent leur rendre visite à Priest Lake, dans l’Idaho, à quelques encablures de Seattle.
J’ai surveillé le débit de data. Je n’ai pas l’impression que ça enregistre suffisamment pour que l’on s’en inquiète
Famille sous haute surveillance
Retour chez les Wallace. « On pourrait dire que c’est un nouveau membre de la famille, oui ! », s’enthousiasme Meg. L’assistant est en marche presque toute la journée, « il joue de la musique même quand nous ne sommes pas là. Il aide le petit dernier à faire ses devoirs. Et le soir à table, nous lui demandons souvent de faire une blague. Alexa est très amusante. Nous posons aussi beaucoup de questions sur les célébrités. Par exemple l’âge de la reine d’Angleterre. Et nous faisons également des quiz musicaux en famille ».
N’ont-ils pas peur d’être enregistrés ? « J’ai surveillé le débit de data. Je n’ai pas l’impression que ça enregistre suffisamment pour que l’on s’en inquiète », statue Chris, balayant la menace d’un revers de la main. Et si la surveillance ne vient pas de l’extérieur, elle peut venir de l’intérieur. « Un jour, nous sommes partis en voyage en laissant notre fille de 17 ans toute seule, se remémore Meg. Nous lui avons dit de ne pas organiser de fête, mais quand nous sommes rentrés, nous avons tout de suite senti l’entourloupe. »
Son époux a alors décidé de regarder l’application d’Alexa. « J’ai vu que de nombreux appareils avaient été connectés par Bluetooth toute la nuit pour mettre de la musique… Des gens ont même essayé de commander des gadgets via Amazon. » Rien de plus facile pour les parents d’en conclure qu’une fête avait clairement eu lieu ! Leur fille, prise la main dans l’enceinte connectée, n’a pu qu’avouer. Bienvenu dans le présent !
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