
Pour la droite américaine et certains chefs d’entreprise, les politiques d’inclusion sont la nouvelle « idéologie » à abattre.
Diversité, Équité et Inclusion. Le sigle DEI aux États-Unis désigne les politiques dites inclusives en entreprise, à l’université et dans tout type d’organisation. Et pour une partie de la droite américaine et du monde de l’entreprise, c’est la nouvelle « idéologie totalitaire » à abattre. « DEI est tout simplement un autre terme pour dire racisme. Honte à tous ceux qui utilisent ces politiques », a par exemple lâché récemment Elon Musk sur X.
Les arguments de ses contempteurs : les mesures pour favoriser les personnes racisées et LGBTQ+ ne sont qu’un moyen de juger les gens par rapport à leur race. Elles défavorisent par ailleurs certaines personnes (les blancs et les hommes, notamment). Et puis aussi : l’idéologie DEI serait anticapitaliste, voire communiste.
La démission de la présidente d'Harvard relance le débat
Le backlash contre ce terme dure depuis plusieurs mois. Mais il a été particulièrement vif sur les réseaux sociaux ces derniers jours, suite à la démission le 2 janvier 2024 de Claudine Gay, présidente d’Harvard. Cette dernière, qui était la première dirigeante noire de la prestigieuse université, est partie après plusieurs semaines de vives critiques à son encontre. Notamment depuis une audition au Congrès américain sur l’antisémitisme au sein du campus, durant laquelle elle n’a pas clairement condamné l’appel au génocide juif.
Cette décision a amené Bill Ackman, PDG de la société d’investissement Pershing Square (qui détient notamment des parts de Universal et Vivendi), a publié un « essai » sur X, vu plus de 35 millions de fois et aimé par 85 000 utilisateurs. Dans cette diatribe, il explique que l’antisémitisme à Harvard n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les vraies racines du mal sont ailleurs selon Bill Ackman, qui a « fait ses recherches ». Elles émanent d’« une idéologie promulguée sur le campus ».
Cette idéologie serait donc le DEI, ce cadre utilisé dans les organisations pour favoriser la diversité. Ces mesures auraient, selon ce dirigeant, connu un déploiement sans précédent suite à l’assassinat de George Floyd par un policier en 2020. Selon le DEI, « les Blancs, les Juifs et les Asiatiques sont considérés comme des oppresseurs, et un sous-ensemble de personnes de couleur, de personnes LGBTQ et/ou de femmes sont considérées comme opprimées (...) et une personne est soit raciste soit antiraciste, vous ne pouvez pas être pas raciste », décrit Bill Ackman. « Par conséquent selon le DEI, le capitalisme est raciste, (...) les tests de QI sont racistes, les entreprises sont racistes, ou en d'autres termes, tout programme, système ou organisation basé sur le mérite qui a provoqué ou provoque des résultats pour différentes races qui sont en désaccord avec la proportion que ces différentes races représentent dans la population en général est par définition raciste selon l'idéologie de la DEI », analyse-t-il.
Une machinerie pour rendre la société antiraciste
Toujours selon ses dires, le DEI serait une machinerie conçue pour rendre la société couramment raciste en société « antiraciste ». Rendez-vous compte, quel enfer ! Et bien sûr on ne peut rien dire, car sinon on se fait cancelled, se plaint Ackman. L’investisseur s’agace des « safe spaces » (ces espaces où les minorités peuvent s’exprimer sans craindre des torrents de haine), et autres « trigger warnings » (des alertes en cas de publication de contenus problématiques) mis en place par cette infâme idéologie pour protéger les élèves. Au bout de quelques paragraphes, l’argument massue tombe : ce cadre entraverait la liberté d’expression. Mieux encore : cette idéologie en voulant effacer le racisme serait elle-même raciste, envers les Blancs. Et Akman ne manque pas de citer Martin Luther King pour appuyer son propos.
Suite à cette publication, Elon Musk, comme évoqué plus haut, s’est joint à la fronde anti DEI. D’autres dirigeants d’entreprise s’expriment sur le sujet. Dans son manifeste techno optimiste, l’investisseur Marc Andreessen, place les politiques ESG (équivalent de RSE) et la « responsabilité sociale » dans la catégorie « ennemis » du progrès.
Le « régime » DEI décrié sur Fox News
Plusieurs médias américains conservateurs se sont également emparés de ce débat. Sur la chaîne Fox News, on entend parler de « régime DEI » dont la démission de la présidente d’Harvard serait le signe. Dans le NY Post, on peut lire une tribune assurant que l’antisémitisme sur les campus n’est que le résultat des politiques de DEI…
Les arguments n’ont rien de très neuf. L’entrave à la liberté d’expression, le communautarisme, le racisme anti-Blanc c’est déjà ce que la droite reproche à la prétendue idéologie dite « woke » qui gangrènerait elle aussi le monde universitaire et celui de la culture. Mais cette vague réactionnaire s’attaque ici à un cadre bien plus défini. Elle s’en prend à des règles qui sont appliquées dans les organisations. Dans son post Twitter, Ackman plaide d’ailleurs pour la fermeture du département « DEI » d’Harvard. Ce backlash va par ailleurs au-delà des discours. En juin dernier, la Cour suprême américaine a révoqué, le 29 juin, la discrimination positive dans les universités américaines, mesure progressiste pour favoriser les élèves afro-américains et latinos, instaurée depuis les années 1960.
Quelles conséquences pour les entreprises ?
Joelle Emerson, PDG de l’entreprise de conseil Paradigm (spécialiste du DEI) interrogée par Axios, note que ces critiques contre l’inclusion ne concernent plus seulement l’extrême droite, mais aussi « des personnes de tendance libérale dont les valeurs sont alignées sur le DEI en principe, mais qui sont mal informées sur son application ».
Un récent sondage montre toutefois que pour le moment la polémique n’atteint pas le déploiement des politiques d’inclusion dans les entreprises. Axios rapporte que selon Littler 57 % des cadres américains ont étendu les mesures dites « DEI » en 2023.
Le combat contre le wokisme ne fait que commencer. Mais cette nouvelle forme de racisme et de discrimination ne peut désormais plus avancer masquée.