En 2017, Emmanuel Macron disait vouloir que la France soit un pays de licornes. Deux ans plus tard, force est de constater qu’on en est bien loin. Certains experts pensent avoir trouvé la recette pour y parvenir.
« Je veux que la France devienne un pays de licornes, de grands groupes nouveaux, le pays des géants de demain », réclamait Emmanuel Macron au salon VivaTech en 2017. Ambitieux. Un peu trop même puisqu’en août 2018, sur 266 licornes recensées dans le monde, seules 14 étaient européennes… et une seule française.
Pour Alain Dupas (physicien et consultant spécialisé des ruptures technologiques), Jean-Christophe Messina (conseiller stratégique de dirigeants et élus territoriaux) et Cyril de Sousa Cardoso (expert en conduite de projets d’innovation), c’est parce que… nous n’avons rien compris. Problème de culture, mais aussi d’un système handicapant pour les entrepreneurs.
Question de principes
Dans leur ouvrage Innover comme Elon Musk, Jeff Bezos et Steve Jobs (ed. Odile Jacob), ils s’opposent à une croyance bien répandue. Celle qui veut qu’il soit impossible de répliquer les pratiques entrepreneuriales des GAFA et autres success stories américaines en Europe pour des raisons sociales et culturelles. « Cela n’interdit pas d’essayer de comprendre comment il serait possible de s’inspirer de ces pratiques, tout en respectant les modèles sociaux européens », estiment-ils. Ils identifient ainsi 9 principes « de base » pour être un génie de l’économie numérique. Parmi ceux-ci : penser en principes premiers, passer du soft au hard, réaliser des choses complexes de manière simple et esthétique, viser une croissance exponentielle, s’organiser en ruche, procéder par design itératif, organiser des commandos de forces spéciales, être un innovateur-entrepreneur, mais surtout, surtout, avant toute chose… vouloir changer le monde.
Vouloir changer le monde
Le number one, évidemment… Ça fait sourire, parfois un peu amèrement – changer le monde, oui, mais encore faut-il le changer en bien. On a trop vu les GAFA s’empêtrer dans de sombres affaires pour pouvoir adhérer au propos en toute naïveté. Et puis, changer le monde avec un smartphone, il faut être sacrément culotté pour y croire vraiment.
À grands renforts d’exemples, les auteurs redonnent du sens à la formule. Le superman qui l’incarne le plus aujourd’hui, c’est évidemment Elon Musk, l’homme qui veut carrément changer de monde. Avec SpaceX, son objectif est clair : permettre à l’humanité d’avoir une présence permanente et autosuffisante sur Mars. Qu’il s’agisse de jolies promesses marketing ou d’une réelle ambition, ce que notent Dupas, Messina de Sousa Cardoso c’est une vraie volonté de modeler le futur.
Les discours s’accompagnent d’actions, de plannings concrets. Et selon eux, ça marcherait surtout parce que ça permet de motiver les équipes. « La capacité d’une entreprise ou d’une organisation à susciter cette motivation intrinsèque est une des clés de la performance en matière de créativité et d’innovation. Elle se développe avec l’implication des individus ou des équipes au sein des projets qui leur donnent le sentiment de se surpasser au service d’une vision ambitieuse et qui compte pour eux. » En gros, un manager qui vise la Lune (ou Mars, en l’occurrence), donnera à ses employés l’envie de se dépasser.
Créer des mythes communs
Une autre vertu de ces ambitions démesurées est de réunir les gens autour d’un mythe commun. Concrètement, l’Homme parle d’aller sur Mars alors qu’il n’y a jamais mis les pieds. « Un groupe développe sa capacité à coopérer d’autant mieux qu’il se réfère aux mêmes mythes, valeurs et règles. La manière dont les individus coopèrent est définie par les réalités intersubjectives auxquelles ils se réfèrent. » Elon Musk n’est évidemment pas le seul à rêver de conquête spatiale. Mais il a fédéré des milliers de salariés en créant une réalité qui n’existe pas – et qui n’existera peut-être jamais – mais dont il est facile de s’emparer grâce à des promesses concrètes et un agenda établi.
La vision est ambitieuse, oui, mais elle est définie par des termes simples qui lui permettent « de recruter et de motiver, notamment, de brillants et jeunes diplômés ». Il y a un défi posé, une rupture annoncée avec les entreprises traditionnelles du secteur, la possibilité de réussir là où d’autres se sont contentés d’essayer. « SpaceX se présente comme un attractif contre-pied et un vent de fraîcheur pour les passionnés de l’univers spatial. »
En définitive, vouloir changer le monde est plutôt un bon argument de recrutement qu’une promesse marketing ridicule. Le credo en dit plus sur la personnalité des leaders que sur le produit d’une boîte – puisque l’on peut vouloir changer le monde à coup de sites web, de téléphones plus ou moins smart, ou de fusées. Et puis, si vous n'avez pas pour ambition d'être une licorne, sachez que les cafards c'est très bien aussi.
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