Après de longues années dans l’industrie de la mode, un burn-out et une prise de recul drastique, l’entrepreneuse Laura Brown aide aujourd’hui les marques des industries créatives à repenser leurs missions et fondements culturels. En bref, à mourir pour mieux renaître au profit de modèles plus durables.
Passionnée de mode mais essoufflée par les biais de cette industrie, l’entrepreneuse Laura Brown a lancé Phoenix Paris, un organisme d’accompagnement des industries créatives à travers le spectre de l’innovation et de la RSE.
En apprenant de schémas qu’elle ne veut plus jamais reproduire - perte de sens, érosion de nos capacités d’empathie, fatigue nerveuse - elle accompagne les entreprises vers des modèles plus sains et vertueux. Avant d’être sociale, environnementale ou numérique, la révolution doit être culturelle et reprendre de zéro tout ce que nous prenons pour acquis, à commencer par notre manière d’interagir avec autrui, salariés, managers et boss compris !
Laura Brown
Qu’est-ce que la « transformation culturelle » signifie pour vous ?
Laura Brown : En France, les entreprises ne jurent que par le mot « transformation ». Transformation numérique, sociale, environnementale… Mais avant toute chose, cette transformation doit surtout être culturelle. Déjà parce que nous vivons dans un pays dans lequel différentes cultures se côtoient, qu’il s’agisse de questions générationnelles ou de nationalité. J’ai toujours été la seule fille noire de ma classe et c’est cette singularité qui me permet de prendre de la hauteur. Je suis issue d’une triple culture. Mes parents sont du Liberia, une ancienne colonie américaine située en Afrique de l’Ouest. Ils ont fui une guerre civile pour venir s’installer en France. Un choc socioculturel qui a eu beaucoup d’impact sur la personne que je suis aujourd’hui. J’ai grandi dans l’est de la France. Donc, en plus du choc culturel, il y a aussi un vrai choc thermique (rires). Ça ne vous laisse pas indemne, mais ça vous rend tenace et ça vous fait prendre du recul. En France, on me prend pour une Africaine. Les Africains, eux, me prennent pour une Française. Et pour les Américains, je ne suis pas non plus Américaine. J’accepte d’être à la croisée de cette hybridation culturelle, c’est une force et c’est ce que j’essaye de transmettre. J’aime appliquer cette prise de recul personnelle aux enjeux professionnels des entreprises.
Pourquoi a-t-on besoin de ce type de transformation en entreprise ?
L. B. : Le principal problème aujourd’hui, c’est que nous sommes englués dans un système qui ne nous permet pas de prendre de recul. Sur le modèle d’une entreprise, mais aussi sur les personnes avec lesquelles nous travaillons au quotidien. Les bugs, les incompréhensions, la perte de sens viennent de là. J’ai longtemps travaillé en grand magasin, au Printemps Haussmann en tant que manager des ventes. Et j’y ai tout appris, surtout en matière de relations humaines. Jusqu’au moment où j’ai fait un burn-out. Non pas pour une question de surcharge de travail, mais parce que je ne réfléchissais plus. Je n'arrivais plus à penser, je me levais tous les matins pour courir après mon chiffre d’affaires. Je me sentais vide de sens. Aujourd’hui tout le monde en parle, mais il y a cinq ans, on en parlait bien moins. Puis, il y a eu un deuxième signal. Un jour, j’ai foiré une opération commerciale, humainement parlant. Ça m’a dévastée. La saison d’après, je me suis dit que j’allais me rattraper en donnant plus d’autonomie aux managers. Cette saison-là, nous avons cartonné. J’en ai tiré un immense plaisir. Mais il me manquait quelque chose, je ne savais pas vraiment quoi. Puis j'ai réalisé que le manque de reconnaissance de ma boss m’avait fait défaut. J’avais le sentiment qu’elle se sentait menacée par ce succès. J’ai commencé par lui en vouloir, naturellement. Puis, je me suis mise à sa place. C’était une femme de plus 40 ans, avec un poste à haut niveau et un enfant en bas âge. Quand vous arrivez aussi haut, il vous faut constamment faire vos preuves, surtout quand vous êtes une femme. Et ça m’a fait relativiser. J’avais seulement manqué d’empathie vis-à-vis de sa situation. Je pense que nous avons besoin de revenir à ça, à quelque chose de plus essentialiste dans la manière de manager. Écouter l’autre, c’est d’une puissance inimaginable et on a tendance à l’oublier. Je crois que c’est la combinaison de toutes ces choses qui m’a fait monter ma boîte.
Vous avez monté Phoenix Paris il y a un peu plus d’un an. Comment aidez-vous les marques à comprendre et à appliquer cette résilience ?
L. B. : J’ai mis au point une méthode en cinq étapes pour aider les marques à se transformer culturellement, un peu comme j’avais réussi à le faire personnellement :
1) Se libérer de ses croyances, c’est-à-dire prendre du recul. Ce qui existe aujourd’hui ne sera peut-être plus là demain.
2) Prendre son pouvoir : quelles solutions puis-je apporter à mes problèmes ? Comment puis-je m'en emparer ?
3) Renaître : comment puis-je repenser mes modes d’organisation, la manière dont les gens sont traités, la manière dont je communique ?
4) Se réinventer, comprendre que la pyramide de Maslow ne se regarde pas de face, mais du dessus, comprendre que j’évolue dans un écosystème et que mes actions ont toujours des conséquences.
5) S’élever et apprendre en permanence de ces changements !
Quels sont les grands enjeux des entreprises en matière de management, d’innovation et de RSE ?
L. B. : D’après ce que je vois, le shift culturel en entreprise se fait autour de la définition même du travail et notamment sur la notion du « temps ». On ne devrait plus parler de temps de travail, mais de résultats. Ce qui soulève de nombreuses questions sur le bien-être et la productivité en entreprise : est-ce que l’on doit encore penser avec le système des 35 heures ? Qu’est-ce que signifie travailler aujourd’hui ? Je bosse personnellement 70 heures par semaine, mais ces 70 heures incluent de nombreux temps de pause, de réflexion et de lecture. Comment on insère plus de liberté ? Comment on arrête cette culture du petit chef ? Comment les boss peuvent réussir à lâcher prise et à donner plus de place à leurs salariés ? Ce sont des synergies d’apprentissage constantes. Pareil, comment est-ce qu’on pense en symbiose avec les consultants et les freelances, de plus en plus nombreux sur le marché ? Quel est le rôle d’un DRH si le consultant peut faire le même boulot ? Comment s’enrichit-on, se fait-on du bien ? Ce sont de grands chantiers organisationnels !
Vous vous êtes naturellement spécialisée dans le secteur des industries créatives. Est-ce qu'il est possible de transformer tous les secteurs ?
L. B. : J’en suis convaincue. Il y a cette pureté, cet esprit pionnier, propre à l’artisanat qui inspire naturellement et peut infiltrer d’autres secteurs. Personnellement, je m’intéresse beaucoup à l’industrie de la musique, à la beauté et à la food, notamment en matière de business model. Prenez, par exemple, le « Global Citizen Festival » en Afrique du Sud. Un festival de musique qui s’est donné pour mission de vaincre la pauvreté dans le monde. Derrière cet évènement annuel, il y a des marques comme Johnson & Johnson, des fondations, le grand public et les plus grandes stars mondiales du moment (Beyoncé et Ed Sheeran ont participé à la dernière édition, le 2 décembre 2018, ndlr). Pour obtenir des places, il vous faut compléter un certain nombre d’actions engagées dont certaines sont relatives au programme de développement durable de l’ONU. Plus vous vous engagez, plus vous gagnez de points et plus vous avez de chances d’y participer. C’est très intelligent et super inspirant ! Lorsque je travaille avec des clients, je fais beaucoup de transfert de compétences, je leur parle de stratégies, d’outils et de modèles d’entreprises différents. De livres aussi ! À ce sujet et si ce n’est pas déjà fait, vous devriez lire La Théorie du Donut de Kate Raworth, un ouvrage qui pense le monde en équilibre entre économie, bien-être social et environnement. Une vraie source d’inspiration pour les entreprises.
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