Leadership : Sanna Marin, la première ministre finlandaise, prouve qu’on peut être efficace sans être toxique

Leadership : Sanna Marin, la Première ministre finlandaise, prouve qu’on peut être efficace sans être toxique

© © Laura Kotila / Finnish Government

Son goût du dialogue et son pragmatisme l’ont fait connaître au-delà des frontières du Nord. La plus jeune cheffe de gouvernement d’Europe, sociale-démocrate et écolo, porte le visage d’une génération qui souhaite agir vite et bien.

« Nous ne devons pas répéter les erreurs du passé ». Ainsi commençait le discours de Sanna Marin, Première ministre finlandaise devant un parterre de jeunes entrepreneurs de la tech. À Slush, conférence annuelle de la start-up nation, ces 17 et 18 novembre, l'admiration pour la jeune politicienne était palpable. Représentant l'aile la plus à gauche du parti social-démocrate, Sanna Marin s’est, dès le début de son mandat, positionnée sur des sujets de société, tout en étant moins liée aux syndicats que son prédécesseur Antti Rinne, étiqueté « old Finland ».

Pur produit de l’État providence à la finlandaise, elle n’est pas issue des élites et n’en fait pas mystère. « Je viens d'une famille qui a été démunie et je n'aurais pas eu les conditions pour réussir et aller de l'avant en l'absence du système éducatif finlandais », expliquait-elle au Helsingin Sanomat, le principal quotidien du pays. Incarnant le « nouveau monde » made in Nordics, à 37 ans, Sanna Marin affirme ses convictions, comme son intention de rejoindre l'Otan, rompant avec une longue tradition de neutralité.

Comment décrire son leadership ? Le quotidien national finlandais écrivait : « Sanna Marin sait mater le chahut ». Titre illustrant une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux où elle défend fermement la construction du tram de la ville de Tampere et l’importance pour la Finlande d’atteindre les objectifs de neutralité carbone. Celle qui dirige le pays le moins dense d’Europe (5,5 millions d’habitants) a la culture du plan pour que son pays et ses voisins soient à la fois plus offensifs et plus résilients. Sa stratégie adresse plusieurs domaines : la souveraineté énergétique, alimentaire et technologique mais aussi une certaine capacité militaire. Cap sur les différentes leçons à tirer du leadership de celle qui a déjà largement fait ses preuves, aussi bien lors de sa gestion de la crise sanitaire qu'avec ses réformes majeures dans le domaine social et celui de la santé.

Créer une société de confiance, miser sur la collaboration et la coopération

Selon elle, les crises des deux dernières années ont montré à quel point l'Europe est vulnérable. « Cette vulnérabilité a été source de nombreux problèmes », déclare Sanna Marin à propos des années de pandémie. « Alors qu’une collaboration étroite entre les secteurs public et privé aurait changé radicalement la donne ». Pour cela, face aux recettes du passé qui n’ont pas fonctionné, l’Europe doit faire confiance à ses citoyens entrepreneurs, en les considérant comme des adultes autonomes dans le cadre du vivre-ensemble. La première ministre est convaincue qu’un changement d’ère culturel est nécessaire pour enrichir la pluralité et la diversité, fondées sur le collaboratif, l’écoute réciproque, le dialogue et la coconstruction de solutions communes. « Nous devons donc investir et coopérer maintenant, déclare-t-elle. Car les capacités de production nécessaires ne se créent pas du jour au lendemain ». Parallèlement à cela, l’Europe a besoin d’être dotée d’un budget qui lui permette de faire face aux défis qu’elle doit relever. La première ministre appelle également à des améliorations des critères économiques sur lesquels s’appuie l’UE, de façon à mieux prendre en compte les difficultés sociales, environnementales et d’emploi.

La construction d’une autonomie stratégique, d’une souveraineté énergétique

Autre domaine dans lequel l’Europe doit être résilient, celui de l’énergie mis en relief par la guerre en Ukraine et l’impact sur son coût et son approvisionnement dans de nombreux pays européens. « Nous ne devons pas être aussi dépendants de l'aide des autres ». Elle appelle donc à plus « d'autonomie stratégique », non seulement pour la Finlande, mais pour toute l'Europe. Même si dans ce domaine, le pays fait office de très bon élève. Avant l’été déjà, le gouvernement avait exhorté la Russie de stopper ses importations de gaz. L’année dernière le gaz russe utilisé en Finlande ne représentait qu'un peu plus de 5 % de la consommation totale d'énergie du pays, selon les données de Statistics Finland. Le pétrole, la biomasse à base de bois et l'énergie nucléaire étant les principales sources d'énergie. « À moyen et long terme, seuls les investissements dans des énergies renouvelables et décarbonées, des réseaux supplémentaires d’acheminement et des capacités de stockage mettront fin à cette crise de l’énergie, déclarait-elle. Les investissements réalisés pour soutenir la transition verte nous rendront plus autonomes. La crise actuelle n’est pas la première à laquelle l’Europe doit faire face, et ce ne sera pas non plus la dernière », a déclaré la Première ministre finlandaise. C’est la raison pour laquelle elle a incité l’Europe à résister au chantage à l’énergie mené par la Russie, à rester unie et à défendre ses valeurs : la démocratie, l’État de droit et les droits humains.

Mettre l’innovation technologique à caractère social et l'environnemental au cœur des préoccupations

Elle consacre également beaucoup d'importance au dynamisme en matière d’innovation technologique du pays et de l’Europe. En effet dans ce domaine, l’UE a dû affronter ses propres vulnérabilités dans sa quête de réponses face à la crise sanitaire. Limitée par ses compétences peu étendues en matière de santé publique et fragilisée par les réflexes nationalistes de ses États-membres. Et selon elle, le recours au numérique dans la gestion des crises fait partie intégrante de leur résolution. Elle souhaite également s’attaquer aux problèmes liés au commerce des produits dérivés. « Nous sommes trop dépendants des importations en provenance de l’Asie, notamment de Taïwan. C’est le cas dans le secteur des puces informatiques et des semi-conducteurs, décrète-t-elle. En Finlande, nous avons des technologies de pointe et un grand savoir-faire en matière d'IA ou de technologies 5G et 6G. Nous avons des entreprises comme Nokia et même notre propre ordinateur quantique ». L’entrepreneuriat en Finlande possède, en effet, un fort potentiel et de nombreux fonds publics (Business Finland, Sitra…) sont débloqués pour le financer. Près de la moitié des start-up finlandaises sont sans but lucratif et possèdent une finalité sociale ou environnementale. « Mais nous sommes un petit pays de seulement 5,5 millions d'habitants et nous disposons comparativement de moins de capitaux disponibles que les autres pays de l'UE », constate la première ministre. Elle suggère d’ailleurs, d’utiliser 4% du PIB de l’UE en innovation et recherche et développement.

Être proche du peuple, avec la transparence pour maître-mot

Pour être en résonance avec la nouvelle génération, Sanna Marin se tient proche de ses concitoyens et se décrit comme une femme « ordinaire ». D’ailleurs, elle revendique son « parcours typique » au sein du parti social-démocrate, en réaction à un article d’un journal local décrivant les politiques comme des « animaux politiques », sans expérience « de la vie professionnelle ordinaire de ses habitants ». Elle n’hésite pas à parler de son enfance compliquée : une mère ayant grandi dans un orphelinat, un père alcoolique, le divorce de ses parents quand elle était petite, et sa mère étant tombée amoureuse d’une autre femme. « Et cela, bien sûr, modifie ma vision de l'égalité des sexes, l'égalité en général et les droits humains sont donc très importants pour moi », a ainsi précisé celle qui est aussi jeune maman, comme la Première ministre de Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardren à qui on la compare déjà.

Mais cet été, elle avait atteint le statut de célébrité après la fuite d’une vidéo, la montrant en train de danser avec des amis et des personnalités du showbiz, lors d’une fête privée. De quoi ravir la droite conservatrice qui a souligné le caractère inapproprié de cette attitude pour une Première ministre. L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais une photo prise par une de ses amies dans la résidence officielle partagée sur TikTok, le 23 août a relancé les polémiques. On y voit deux femmes, les seins nus, en train de s’embrasser, derrière une pancarte « Finlande ». Un cliché pour lequel la Première ministre a dû présenter de nouveau ses excuses, mais sans se défiler : « Je suis un être humain. J'aspire parfois aussi à la joie, à la lumière et au plaisir au milieu de ces nuages sombres », déclarait-elle, les yeux embués. Avant d'ajouter : « C'est privé, c'est de la joie et c'est la vie. Mais je n'ai jamais manqué un jour de travail ». Et de nombreuses célébrités l’ont d’ailleurs soutenue. Hillary Clinton lui avait adressé un post Twitter avec un cliché la montrant en train de danser, accompagné de ces mots : « Comme l’a dit Ann Richards, Ginger Rogers a fait tout ce que Fred Astaire a fait. Elle l’a juste fait à l’envers et avec des talons hauts. Me voici à Carthagène alors que j’y étais pour une réunion en tant que secrétaire d’État ! Continue à danser Sanna ».

Visage d'une nouvelle génération connectée, Sanna Marin maîtrise à la perfection sa communication via les réseaux sociaux. Sur Twitter comme sur Instagram, elle partage avec ses abonnés son quotidien : qu'il s'agisse de rencontres officielles, comme sa venue à Reykjavik cette semaine, ou encore des photos d’elle en train de déguster un donut avec un ami. Un professeur à l’Institut universitaire européen de Florence écrivait dans une tribune du Monde : « Un des paradoxes de la démocratie moderne est que les politiciens sont houspillés pour leurs commentaires insipides ou lorsqu’ils jouent un rôle. Mais quand ils parlent franchement et montrent leur vraie personnalité, la critique est pire ». Mais Sanna Marin n'a que faire de ses détracteurs. Au début de son mandat, elle postait une photo d’elle petite : « J'ai toujours pensé que tout était possible, parce que ma mère me disait que je pouvais devenir ce que je voulais (…). Il faut encourager les filles, parce qu’elles changent le monde ».

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Anaïs Farrugia

Après un master de droit et management de la culture et des médias, Anaïs intègre la rédaction de L’ADN pour un stage de 6 mois. Elle passera ensuite par le monde des agences, notamment en tant que consultante éditoriale chez Brainsonic. Elle réintègre L’ADN en 2019 au poste de Journaliste.
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  1. Avatar robert haudry de soucy dit :

    un espoir face a la pauvrete humaine et conceptuelle des classes politiques

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